LES AUTEURS – ROGER MOREAU, l’ami fidèle qui a recueilli les confidences et les souvenirs partagés quand elle a eu le temps de raconter, juste quand elle a pris sa retraite qui était pour elle « une malédiction »– ROGER GARNIER, son neveu, qui fut son chef de cuisine – JACOTTE BRAZIER, l’héritière qui préserve le patrimoine culinaire et la mémoire de sa grand-mère à travers l’association qu’elle a créée, Les Amis d’Eugénie Brazier.
LE LIVRE – LES SECRETS DE LA MÈRE BRAZIER (2ème édition sous l’œil pointu de son arrière petite-fille Marion) – 288 pages et 999 grammes de souvenirs, d’histoire. Le destin d’une femme. Le livre commence par trois hommages – Paul Bocuse qui a vécu un apprentissage à la dure chez la « mère Brazier », états d’âme et douleurs interdits il fallait être efficace de 5 heures à minuit sans se plaindre, travailler touts simplement pas de 35 heures pas de jours de repos sous l’oeil de la mère « rude et pudique » qui cachait son coeur de maman et ne voulait pas laisser transparaitre émotion ou tendresse. Mais savait se montre généreuse avec les « petits marmitons » qu’elle formait. Bernard Pacaud aujourd’hui chef du restaurant l’Ambroisie, trois étoiles, a vécu mes mêmes exigences et mêmes contraintes que Monsieur Paul. Matthieu Viannay a racheté la maison de la rue Royale à Lyon en 2008 et a décroché des étoiles, deux, en perpétuant, la tradition d’Eugénie Brazier « bonne humeur et bonne chair » et en ajoutant sa touche personnelle sans trahir les grands classiques de la célèbre Mère. Suivent des témoignages, la vie de la Mère Brazier et des menus. Puis en onze chapitres – Soupes et potage, hors-d’œuvre et entrées, œufs, poissons, viandes, volailles, gibier, légumes, beurres, sauces, et desserts – les Recettes et menus ayant fait la renommée du restaurant du Col de la Luère.
LE SUJET – Eugénie Brazier,1895-1977, sa famille et la cuisine qui est une… histoire de famille – un vrai brasier, cette mère lyonnaise, une boule d’énergie et de volonté, de savoir-faire et de métier. Un personnage. Une pionnière. Fille de la campagne née dans l’Ain, dans une famille fort modeste. Elle grandit en pleine après-guerre, placée dans une ferme bressane, où règnent restriction, privation et pauvreté. Dès ses cinq ans, elle sait garder les cochons, traire des vaches et donner des graines aux poules. Mais la vie lui joue de vilains tours. Eugènie devra vite prendre la poudre d’escampette abandonner les clés de la campagne pour celles de la ville car elle a « fauté » et en ces temps-là, les filles-mères étaient chassées. Elle laisse son enfant, Gaston, à une nourrice et monte à Lyon. Elle devient elle-même nourrice et cuisinière chez des bourgeois lyonnais, elle apprend sous les ordres de la maîtresse de maison pas toujours commode. Elle quittera le « confort » de cette famille pour travailler dans un restaurant tenue par une femme, Benoite Fayolle dite « la reine des poulardes » « la mère Fillioux ». Eugénie apprend vite, elle n’est pas sotte, elle est fort dégourdie, rêve de liberté et d’indépendance, veut être son propre chef… et la cuisine est devenue pour la jeune femme, une passion voire une vocation. Elle » entre » en cuisine et ne quittera jamais les fourneaux. Eugénie Brazier ouvre son son restaurant, son « bouchon » en 1921, rue Royale à Lyon. Vite, très vite sa table connait gloire et renommée. Les prix sont timides et la cuisine canaille. Elle ouvre une deuxième adresse, au col de la Luère, à quelques jets de pierre de la ville. Les grands de France et de ce monde se pressent chez elle, qui n’a rien à faire de la célébrité, de la presse dont elle se méfie. Tous les jours, elle porte chignon perché, blouse banche et tablier blanche et est la maitresse de ses cuisines où elle peut vociférer, crier. Donner des ordres aux équipiers de maintenir une propreté irréprochable. Poussière et désordre interdits. Comme le gaspillage, on ne compte pas le temps, on ne jette rien, yen cuisine on recycle pour les employés les restes des plats de retour…
Le Guide Michelin lui octroie trois étoiles en 1933 pour les deux établissements. Ses spécialités, elles sont tout simplement lyonnaises, bonjour veau, vache, cochon, langouste, volaille… elles sont la cuisine familiale généreuse et la cuisine de tradition, la cuisine populaire mais qui sait se faire gastronomique chic et frôler le luxe avec des produits nobles comme la truffe et le foie gras. Ses plats sont faits pour rassasier, assouvir les appétits, remplir les estomacs qui ne se laissent pas conter la légèreté. Fond d’artichaut au foie gras, volaille de Bresse demi-deuil « Mère Brazier » et ses petits légumes, gâteau de foie de volaille et de lapin, crêpes au Grand-Marnier… 1946, un jeune homme se présente, il vient juste d’être démobilisé, la guerre est terminée, la Mère Brazier embauche un nouvel apprenti, il s’appelle Paul Bocuse…
Elle prend sa retraite en 1974, fatiguée par sa vie dure. Elle entretient la discrétion, mais ne supporte pas l’inaction. Elle n’écrira jamais ses mémoires mais accepte de confier à son ami Roger Moreau, ses souvenirs d’enfance – sa jument Pâquerette, les bruits de premières voitures, les « roustes » et les rares jours d’école, les sabots et les engelures, son premier chapeau et sa première communion – de jeunesse, la naissance de son fils – sa vie de cuisinière d’abord chez la Mère Filloux qui la jalousait furieusement, à la brasserie du Dragon, l’achat d’une épicerie-comptoir qui sera sa première maison avec son premier menu « audacieux » comme elle l’avoue, langoustes mayonnaise, pigeons, petit pois, son illustre client le président Herriot, l’ouverture du restaurant du Col de la Luère, la vision de son travail et de sa cuisine. « La cuisine, ce n’est pas compliqué, il faut savoir s’organiser, avoir de la mémoire et un peu de goût. »
LES RECETTES – 350 recettes iconiques à la sauce d’aujourd’hui, d’une cuisine authentique et généreuse, traditionnelle, savoureuse – Soupes et potages, « Velouté de volaille façon Mère Brazier » – Hors-d’œuvre et entrées, « Coquilles Saint-Jacques », « Quenelles au gratin », « Soufflé au fromage », « Fonds d’artichauts au foie gras » – Œufs, « Œufs brouillés », « Omelette » – Poissons – Viandes – Volailles, « Poularde de Bresse », « Volaille demi-deuil »– Gibier – Légumes – Beurres – Sauces – Desserts, « Chabraninof », « Galette bressane »…
L’AVIS DE LA POULE SUR UN MUR – bel hommage à celle qui fut une des premières femmes (avec La Mère Bourgeois), à voir le Michelin lui accorder ces 3 étoiles – le graal magique que tout chef rêve de décrocher – non pas une fois mais deux fois. Une femme dont l’ombre plane sur les têtes et les cuisines de toutes les cheffes à qui elle a ouvert la voie, a prouvé qu’avec travaille et volonté, courage et talent, obstination, elles pouvaient entamer le dur parcours de « cuisinière », être égales des chefs, sous le regard sans complaisance des hommes qui ont fait de la cuisine gastronomique un monde réservé qui désormais se voit bousculer par toutes ces femmes décidées à faire bouger les lignes et les codes, font de leur passion, de leur savoir un métier, mêlant vocation et passion pour donner du bonheur.
LES SECRETS DE LA MÈRE BRAZIER – ROGER MOREAU, ROGER GARNIER & JACOTTE BRAZIER -SOLAR – 29€