À travers son restaurant Fleur de Loire, le chef doublement étoilé, Christophe Hay incarne une vision profondément humaine de la gastronomie où chaque assiette raconte une histoire et porte un message. Originaire de la région Centre–Val-de-Loire et issu d’une lignée agricole, Christophe Hay a su intégrer dans sa cuisine les valeurs d’authenticité, de respect du terroir et de transmission. Pour lui, la cuisine va bien au-delà de la technique ; elle est un art de vivre, un moyen de connecter les gens à la nature, à leur histoire et aux autres.
Dans cet entretien réalisé par FoodandSens, il partage avec passion sa philosophie, son attachement aux produits locaux, ses relations avec les producteurs et son désir de transmettre bien plus que des recettes ! Christophe Hay défend une approche où la bienveillance et le respect sont au cœur du travail en équipe, où chaque membre de sa brigade est encouragé à s’épanouir personnellement et professionnellement. En valorisant les poissons d’eau douce, trop souvent oubliés, et en sublimant les produits de sa région, il nous rappelle également que la gastronomie est avant tout un acte de partage et de transmission, un héritage à bâtir pour les générations futures.
Loin du simple « spectacle » de la haute cuisine, Christophe Hay souhaite offrir à ses convives une expérience authentique, empreinte de sens et de simplicité. Cette interview dévoile un chef visionnaire, dont l’engagement pour le terroir et l’humain redéfinit les contours de la cuisine française contemporaine.
>>>>> Interview de Christophe Hay : La Transmission au Cœur de la Gastronomie
La transmission est au cœur de la cuisine. Si vous deviez sélectionner la valeur la plus importante à transmettre à vos équipes, laquelle serait-ce ?
« La bienveillance est pour moi la valeur fondamentale à transmettre. C’est quelque chose qui dépasse la simple relation hiérarchique ou professionnelle : il s’agit de créer un environnement où chacun se sent respecté, écouté et soutenu. En cuisine, la pression est intense et si le respect mutuel et la bienveillance sont absents, les équipes s’étiolent et perdent en motivation. J’ai observé que lorsque nous instaurons un climat bienveillant, les équipes deviennent plus solides, plus unies. La bienveillance contribue à bâtir une “maison” forte, un endroit où chacun a sa place et où l’on prend soin autant des produits que des personnes. C’est cette atmosphère positive que je m’efforce de cultiver chaque jour, et je crois sincèrement qu’elle est la clé de la réussite collective !»
Quel est le principe de vie que vous aimeriez transmettre à une nouvelle génération de chefs ?
« J’ai appris de Paul Bocuse l’importance de connaître les individus qui composent notre équipe, au-delà de leur simple rôle en cuisine. Lorsque je recrute quelqu’un, je prends le temps de m’intéresser à sa vie, à son équilibre personnel, car je crois que pour bien travailler, il faut se sentir bien dans sa vie en dehors de la cuisine. Ce principe de vie consiste à ne pas être “marié” à son métier de manière exclusive, comme cela pouvait être le cas auparavant. Les jeunes chefs doivent trouver un équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle, car c’est en étant épanoui dans les deux sphères qu’on peut donner le meilleur de soi-même en cuisine. J’encourage les membres de mon équipe à construire une vie riche et équilibrée, car c’est ainsi que l’on peut véritablement s’investir sans se perdre. »
Y a-t-il eu un moment ou une rencontre marquante dans votre parcours qui a changé votre approche de la transmission ?
« La rencontre avec Monsieur Paul Bocuse a profondément influencé ma manière de voir la cuisine et de transmettre mon savoir. Sa manière d’aller à la rencontre des clients, de prendre le temps de discuter avec eux, de s’intéresser à leur expérience, m’a ouvert les yeux sur l’importance de créer un lien, une ambiance chaleureuse dans mon établissement. Ce n’était pas seulement une question de cuisine, mais d’accueil et de générosité. Monsieur Paul m’a appris que le chef ne se limite pas à sa technique, mais qu’il est aussi un hôte, un créateur d’émotions pour ses convives. C’est cette vision que je m’efforce d’instaurer à Fleur de Loire, où chaque membre de l’équipe est impliqué dans cette mission de bienveillance et de partage. »
Vous travaillez avec des producteurs locaux. Comment ces relations influencent-elles votre vision de la cuisine ?
« Travailler avec des producteurs locaux, c’est avant tout un hommage à mes racines. Je viens d’une famille agricole, et j’ai vu mes grands-parents travailler dur pour produire de la nourriture de qualité. Collaborer avec ces artisans de la terre est pour moi une manière de reconnecter la haute gastronomie avec le monde agricole, de montrer que les deux univers peuvent se compléter et s’enrichir mutuellement. Ces relations sont bien plus que des partenariats professionnels ; elles sont des échanges de savoir-faire et de valeurs. Les producteurs me transmettent leur passion, leur dévouement pour le terroir, et cela nourrit mon propre engagement envers une cuisine authentique et respectueuse de l’environnement. Ces échanges renforcent ma conviction que la gastronomie doit valoriser les richesses locales et soutenir les petits producteurs qui font vivre notre région. »
La cuisine implique un équilibre entre la quête personnelle et le travail d’équipe. Comment parvenez-vous à gérer cela ?
« Pour moi, la cuisine n’a jamais été, et ne sera jamais, une réussite solitaire. Ce qui me passionne dans ce métier, c’est justement cette dimension collective, ce travail d’équipe où chacun apporte sa pierre à l’édifice. J’ai besoin de cette énergie partagée, de cet échange permanent avec mes collaborateurs. Je ne suis pas de ces chefs qui préfèrent travailler seuls dans leur coin ; j’aime transmettre, partager mes convictions et impliquer tout le monde dans notre succès commun. Si Fleur de Loire est aujourd’hui une “maison” accueillante, c’est parce que nous avons construit, ensemble, une atmosphère chaleureuse et solidaire. Mon rôle est d’orchestrer tout cela, de fédérer, et de montrer à chacun qu’il a un rôle indispensable à jouer dans notre réussite collective. »
Au-delà des techniques, quel aspect de votre savoir aimeriez-vous transmettre pour que votre héritage perdure ?
« Je souhaite transmettre avant tout le respect du produit. Dans les établissements gastronomiques, on parle souvent de technique, mais pour moi, c’est le produit qui doit être au centre de l’attention. Il ne s’agit pas de créer des plats extravagants, mais de sublimer ce que la nature nous offre, en respectant chaque ingrédient, en suivant les saisons et en favorisant la proximité. Je veux que mes équipes apprennent à valoriser chaque produit, à comprendre sa provenance et son histoire. Ce respect du produit, ce lien avec le terroir, c’est l’essence même de ma cuisine, et je souhaite que cela continue d’habiter ceux qui passent par ma cuisine, même après leur départ. »
Qu’est-ce qui vous motive à continuer de vous surpasser, et comment transmettez-vous cette envie à vos équipes ?
« J’ai une profonde envie d’aller toujours plus loin, de chercher sans cesse à m’améliorer. La gastronomie est un monde exigeant et chaque reconnaissance, chaque étoile est une étape, mais pas une fin en soi. Mon ambition est de progresser, de viser de nouvelles étoiles, mais aussi de transmettre cette flamme à mes équipes. Je veux qu’ils ressentent cette passion, cette soif d’excellence qui m’anime, car c’est cela qui permet de se dépasser jour après jour. Ce n’est pas une question de compétition, mais de désir de s’élever ensemble, de réaliser des choses belles et intenses. »
Comment concevez-vous votre élévation personnelle en cuisine ? Est-ce une recherche de simplicité ou de perfection ?
« Mon parcours m’a amené à simplifier ma cuisine. Au début, j’étais dans une recherche d’éblouissement, de technicité, je voulais montrer tout ce que je savais faire. Mais avec le temps, j’ai appris à épurer, à me concentrer sur l’essentiel. Aujourd’hui, ma cuisine est plus sobre, elle cherche à magnifier les goûts de manière pure. Ce processus de simplification est en réalité une recherche de perfection, où chaque élément de l’assiette a une raison d’être, où chaque saveur est concentrée. En simplifiant, on atteint une forme de plénitude, une beauté qui se trouve dans la sobriété et le respect du produit. »
En quoi la cuisine et l’art de partager un repas peuvent-ils être des vecteurs de dépassement de soi ?
« Partager un repas, c’est bien plus qu’un simple moment de dégustation. C’est une expérience sensorielle et émotionnelle. J’aime que mes convives ressentent un bien-être profond, qu’ils lèvent la tête de leur assiette pour observer, respirer l’ambiance, et qu’ils se sentent enveloppés d’une atmosphère chaleureuse et bienveillante. Pour moi, la cuisine est une alchimie de bien-être, de sourire, de passion et de partage. Je ne veux pas que ce soit un spectacle, mais une expérience humaine qui laisse une empreinte. Quand mes convives repartent avec de belles images en tête, je sais que j’ai réussi à leur offrir quelque chose d’unique. »
Quel message ou quelle émotion espérez-vous que vos convives emportent en quittant votre table ?
« Au-delà de la cuisine, c’est ce lien avec la nature et notre histoire que je veux leur transmettre. Mon plus grand souhait est que mes convives découvrent la richesse de notre terroir, notamment les poissons d’eau douce que je mets à l’honneur. Ces poissons ont été dévalorisés pendant longtemps, alors qu’ils font partie intégrante de notre patrimoine culinaire. En les travaillant avec respect, je veux changer la perception qu’on peut avoir d’eux. Quand mes convives quittent ma table, j’espère qu’ils ont ressenti cette connexion avec la Loire, avec notre terre, et qu’ils partent enrichis de cette expérience. »
Christophe Hay, un ambassadeur du terroir et de la bienveillance
À travers cette interview, Christophe Hay nous révèle une approche de la cuisine qui dépasse la simple recherche de perfection technique. Pour ce chef passionné, la gastronomie est avant tout un moyen de renouer avec ses racines, de célébrer les produits de sa région et de créer des liens humains profonds. Hay place la bienveillance et le respect au cœur de son travail, que ce soit dans la gestion de son équipe ou dans ses relations avec les producteurs locaux. Chaque plat est une ode au terroir et un hommage aux savoir-faire traditionnels.
En sublimant des produits souvent négligés, comme les poissons d’eau douce, et en valorisant les artisans qui les fournissent, Christophe Hay réaffirme l’importance de la transmission. Il souhaite laisser un héritage qui ne se limite pas à des techniques culinaires, mais qui inspire un véritable amour de la nature et un profond respect des autres.
À Fleur de Loire, l’expérience culinaire se veut immersive, porteuse de sens et ancrée dans une histoire. Loin des effets de mode, Hay nous montre que la vraie richesse de la cuisine réside dans sa capacité à rapprocher les hommes et à susciter des émotions durables. Son parcours et sa vision rappellent que la gastronomie française, pour rester vivante, doit savoir s’ancrer dans son terroir tout en continuant de se réinventer avec humanité et simplicité.
Interview réalisée par Guillaume Erblang – FoodandSens