Chez Allard, Alain Ducasse ré-invente la proximité sans nuire à la convivialité !

 Chez Allard, Alain Ducasse ré-invente la proximité sans nuire à la convivialité ! 

Dans la vie il y a ceux qui parlent et ceux qui agissent ! Et comme à son habitude, Alain Ducasse qui a toujours été dans l’action montre qu’il ne fait pas les choses à moitié et ce, dans tous les sens du terme ! Ouvertement critiqué par certains durant le confinement, n’oublions pas qu’Alain Ducasse à toujours eu un longueur d’avance sur bon nombre d’entre-nous et qu’il faudrait quelques fois plus tendre sa seconde oreille lors qu’il parle de ses projets plutôt que d’aller quelques fois par simple principe à son encontre. 

Car c’est alors que les restaurant d’Ile de France n’ont ce soir et encore l’autorisation de n’ouvrir que leur terrasse avec une séparation d’au-moins un mètre de distance entre les tables qu’Alain Ducasse présente l’objet d’une nouvelle collaboration avec son designer star Patrick Jouin mais aussi avec l’architecte Arnaud Delloye et le Professeur David Khayat, le Professeur Thomas Similowski et le Professeur Jérôme Robert.

Et l’objectif est simple : apporter au client un maximum de sécurité dans un espace clos accueillant un grand nombre de personnes sans nuire à la convivialité du lieu ! Et de plus limiter l’impact des mesures barrieres sur le chiffre d’affaires en augmentant le nombre de tables dans des établissements historiques à l’image d’Allard. Une solution transposable à de nombreux autres établissements Parisiens.  

UN CONSTAT : « C’est l’air qui porte les aérosols potentiellement porteurs du virus. »

UNE RÉALITÉ : Le seul fait de parler suffit à diffuser des aérosols. Dans un lieu confiné comme une salle de restaurant, tout le volume d’air peut ainsi devenir rapidement saturé d’une charge virale susceptible de se disperser.

UN FAUX-AMI : La climatisation qui génère un déplacement rapide des aérosols de table en table.

UNE CONTRAINTE : Le problème ne se pose pas simplement en termes de surface ou de distance mais en termes de volume d’air brassé à vitesse élevée.

UNE SOLUTION EXPÉRIMENTALE : Limiter au maximum le déplacement de l’air dans la salle,
par le système mis en place, tout en conservant une ventilation climatisée constante afin d’éviter la propagation des aérosols potentiellement contaminés.

Pour en savoir plus : retour sur la chronologie des événements et sur les challenges rencontrés par les équipes dans la réalisation de ce projet >

Mi-avril, après plusieurs semaines d’arrêt d’activité pour cause de Covid 19, Alain Ducasse ne se résout pas à voir disparaitre, pour de longs mois voire plus, l’art de vivre à la française. Il réfléchit avec Patrick Jouin à une solution pérenne, permettant d’assurer en tout temps et en tout lieu, un espace sanitaire sécurisé, tout en préservant la capacité d’exploitation et la convivialité du lieu.

Dès le 24 avril 16h, Patrick Jouin planche et les croquis des premières approches sont finalisés le 25 avril minuit.

Pour valider la démarche sur le plan scientifique, Alain Ducasse grâce à sa re- lation de longue date avec le Professeur David Khayat, obtient la mise en re- lation avec deux médecins de l’hôpital Pitié-Salpêtrière : le Professeur Thomas Similowski, chef de service de pneumologie, médecine intensive et réanimation, et le Professeur Jérôme Robert, chef du service de bactériologie et d’hygiène hos- pitalière. L’avis des deux experts tombe, en synthèse « C’est bien, mais cela n’est pas suffisant ! ».

C’est le départ d’une réflexion ingénieuse. Alain Ducasse fait appel à l’architecte Arnaud Delloye et les trois « chercheurs réunis » vont alors constituer autour d’eux une équipe pluridisciplinaire de choc unie et soudée pour travailler de concert dans un temps record.

UNE MISE EN ŒUVRE D’UNE COMPLEXITÉ REDOUTABLE 

Prenons une image : le vent qui souffle. On sait que le phénomène est provoqué par la différence de pres- sion entre une zone de haute pression atmosphé- rique (un anticyclone) et une zone de basse pression (une dépression). De la même façon, limiter dras- tiquement la vitesse de déplacement de l’air dans une salle exige d’établir et de maintenir une pres- sion d’air identique en tous points de la salle. Pour rendre le problème encore un peu plus complexe, il faut aussi, en même temps, renouveler l’air pour qu’il reste respirable et à la bonne température. Les deux exigences sont contradictoires : pour renouveler l’air, il faut en souffler et en extraire, ce qui crée une dif- férence de pression.

La solution imaginée par Arnaud Delloye est un Mec- cano savant qui repose sur deux piliers : l’équilibre aéraulique dynamique et la filtration.

L’équilibre aéraulique est obtenu par l’installation, à 2,20 m au-dessus de chaque table, d’une bouche de soufflage d’air neuf et d’une bouche d’extrac- tion individuelles. Toutes ces bouches sont dotées d’un module de régulation qui permet d’équilibrer automatiquement les apports et les débits de façon parfaite. Les bouches de soufflage d’air neuf sont équipées de chaussettes filtrantes dont la surface (supérieure à 100 cm2) a été calculée pour assurer une vitesse extrêmement basse (0,07 m/s) et une dif- fusion uniforme de l’apport d’air.

La filtration de l’air est assurée à la fois dans le réseau d’apport d’air neuf et dans celui d’extraction.

Cette installation, additionnée à l’effet des paravents entre chaque table et des séparateurs au centre de chaque table permet de maintenir une vitesse de dé- placement d’air inférieure à 0,1 m/s en tous points statiques, c’est-à-dire mesurée aux places occupées par les clients immobiles. Chaque convive se trouve ainsi dans une sorte de bulle d’air dynamique quasi- ment autonome.

« Chez Allard, le dispositif mis en place rend visible une architecture invisible. ».

Pour Arnaud Delloye, « Tout se passe comme si chaque table était placée sous une cloche virtuelle dynamique. » Et il ajoute « En général, l’architecte que je suis conçoit des volumes qui se voient avec des matériaux qui se voient. Chez Allard, le dispositif mis en place rend visible une architecture invisible. » Cette performance représente un record absolu pour un volume traité de cette dimension.

L’USAGE AU SERVICE DU PROJET

Patrick Jouin est designer. Avant toute chose, ce qui guide sa réflexion est l’usage, et de penser une ergonomie du projet. Dans ce contexte spécifique, au-delà des gestes barrières, il est essentiel d’apporter un confort optimal tant pour le client que pour les équipes du restaurant, et principalement au service en salle.

Patrick Jouin étudie l’idée d’une séparation phy- sique entre les tables et entre les couverts. L’option des paravents et des centres de table sont la bonne façon de conserver le maximum de couverts dans la salle de restaurant et, en même temps, faire obstacle à la circulation des aérosols, complément indispen- sable à la gestion du flux d’air.

À côté du défi technique, cette démarche répond à un autre pari : conserver à Allard le charme légendaire qui est le sien. Autrement dit, faire en sorte que la technique ne tue pas le rêve. Cette solution présente aussi un avantage économique. En espaçant les tables d’un mètre, on perd pratiquement la moitié de l’activité, ce qui n’est pas tenable. Les paravents, eux, autorisent une utilisation à plus de 80% de la capacité et permettent une certaine flexibilité dans la configuration de la salle.

Patrick Jouin a créé une nouvelle ambiance en as- sumant crânement la présence de la tuyauterie et des coffrages de la climatisation. « J’aime ce côté industriel des tôles galvanisées. Graphiquement, ça fonctionne bien » dit-il. Il a dessiné et fait réaliser les paravents qui séparent les tables et les milieux de table qui protègent les convives. Le résultat, tout en légèreté, ajoute au sentiment d’intimité qui était déjà dans l’esprit de ce très ancien bistrot chic.

« Nous avons recherché des illustrations issues de l’imaginaire de l’Opéra »

Ici encore, l’union fait la force. Patrick Jouin collabore avec des partenaires proches, voire très proche, car c’est son père Jean-Claude Jouin, ingénieux artisan, qui fabrique les centres de table avec la complicité de Jean Bertaud de la société Ingénierie & Culture, et Paul Champs agenceur à Brest qui prend en charge les paravents de séparation de table en utilisant un matériau issu de la voile, le Mylar. Avec la complicité de Pierre Tachon (Directeur artistique Ducasse Paris) ils ont sollicité une illustratrice de talent, Julie Serre, pour mettre en valeur les « chaussettes » disposées à la sortie d’arrivée d’air. Il faudra lever un peu la tête pour contempler les illustrations aériennes qu’elle a exécutées : le souffle, le battement d’aile, les nuages chassés au loin… « Nous avons recherché des illustrations issues de l’imaginaire de l’Opéra » aime à préciser Patrick Jouin.

LES ENSEIGNEMENTS : UN DISPOSITIF PÉRENNE ET TRANSPOSABLE

L’aménagement du restaurant Allard est un véritable prototype qui ouvre une voie nouvelle pour le traite- ment de l’air dans un espace clos recevant du public. Ses concepteurs ne prétendent certainement pas en faire un modèle. En revanche, il constitue à coup sûr un exemple. À ce titre, son intérêt est double. D’abord parce qu’il a été conçu et réalisé dans des délais très serrés. Ensuite parce qu’il s’applique à un espace non seulement déjà existant dont la confi- guration ne se prêtait pas, a priori, à un tel exercice.

Cette méthode dans sa globalité (traitement de l’air et installations spécifiques) est transposable : elle pourrait ainsi être intégrée dès la conception de constructions neuves, qu’il s’agisse de restaurants ou de n’importe quels lieux dans lequel séjourne un grand nombre de personnes de façon statique.

Ce caractère pionnier du prototype Allard, Alain Ducasse le revendique :

« Si je me suis posé la question de la sécurité sanitaire, c’est évidemment pour mes clients et pour mon personnel. Mais si nous sommes allés si vite et si loin, c’est parce que je veux toujours aller au bout de mes idées. »

Food&Sens / Guillaume Erblang

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