À Londres, le luxueux Hôtel Café Royal vient d’ouvrir une nouvelle table, confiée au chef Laurent Tourondel, qui lui a donné son nom. Lové à deux pas de Piccadilly Circus, le Laurent est un élégant restaurant, et premier opus du chef Tourondel en Europe – il dispose par ailleurs de 43 établissements dans le monde, ayant essentiellement bâti son empire aux États-Unis. Food&Sens a rencontré cet homme prolixe en projets, en marge d’une ouverture des plus attendues. Récit d’un échange tout en bonhomie, avec le plus américanisé des chefs français… Pour qui cette ouverture prend la forme d’un retour aux sources, puisque du temps où il était jeune commis, celui qui est désormais une star culinaire des fourneaux officiait en effet à Londres, comme extra à… l’Hôtel Café Royal. Tout un symbole !
F&S : Chef Laurent, vous qui vivez aux États-Unis depuis si longtemps, vous sentez-vous plus anglo-saxon que Français, ou vice-versa ? (Rires)
Certes, tous mes restaurants sont aux États-Unis. De plus, je ne cuisine pas français dedans. Ceci étant dit, on ne peut pas faire plus Français que moi ! Je suis Auvergnat, tout de même ! (Rires.) Et puis j’ai débuté chez de grands chefs français ; les Troisgros, Robuchon…
F&S : Qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes orienté vers le grill à l’anglo-saxonne ?
La cuisine est un domaine que j’envisage aussi sous l’angle du business. Quand j’avais vingt ans, j’ai noté que les restaurants dédiés à la grande gastronomie française ne faisaient plus vraiment recette ; du coup, je me suis réinventé. Je me suis orienté alors vers un style de cuisine que j’aime beaucoup, qui touche la masse et non pas l’élite : le grill. Après avoir défini ce qui serait dorénavant mon style, je suis resté concentré sur cette veine, et n’en ai plus dévié. Certains chefs veulent faire de tout, et à force, leur cuisine finit par devenir confuse. C’est un écueil que je souhaitais éviter.
F&S : Un chef qui réussit a donc une double casquette, celle de chef et d’entrepreneur ?
Tout à fait. La recette du succès réside dans un objectif : construire sa carrière. Cela commence dès vingt ans, et se poursuit encore trente ans plus tard.
F&S : Parlons du Laurent, votre nouvelle table. Quels sont son concept et son ambition culinaire ?
On a voulu créer un menu qui soit fun. L’idée, c’est que chacun puisse y manger ce qu’il souhaite, du repas consistant à l’en-cas plus léger. Et puis, le Laurent est un Grill, ce qui suppose qu’il soit décontracté culinairement. De ce fait, la carte est simple et sans complications. Le client peut y choisir les légumes et les sauces accompagnant ses plats. Ce qui aboutit à une carte pleine de diversité, où les envies sont multiples, et le choix large. Les aficionados de viande, les végétariens et vegans, ou celles et ceux désireux de manger sainement et léger, auront tous de quoi être contents. Avec ça, on espère faire du Laurent LE restaurant du quartier ! (Rires.)
F&S : Côté produits, comment sont-ils sourcés ?
Nos produits sont essentiellement sourcés localement. Nos crabes, par exemple, sont issus des Cornouailles. Même chose pour le poisson. Le wasabi est d’ici aussi ; figurez-vous que c’est un des excellents produits d’Angleterre ! (À noter, son goût diffère légèrement de celui d’Asie). Le beurre est local aussi, ainsi que le lait. Sinon, il y a quelques produits que je fais importer, comme le bœuf Wagyu d’Australie. J’achète aussi d’autres produits à Rungis, comme les fraises des bois par exemple.
F&S : Et le fromage ? (Il y a cette idée tenace en France, selon laquelle les bons fromages ne peuvent qu’être français…)
C’est une idée reçue, car il y a vraiment d’excellents fromages en Angleterre. Ceux que l’on sert au Laurent nous sont fournis par Paxton & Whitfield, un cheese store de très grande qualité. Et d’ailleurs, je vous le recommande !
F&S : L’ouverture du Laurent me fait penser à une autre ouverture à Londres, qui a eu lieu l’année dernière à la même date, et qui a été signée par un chef français lui aussi, comme vous très connu aux États-Unis. Je pense bien sûr au Jean-Georges au Connaught, autre hôtel de luxe de Londres. Que pensez-vous de ces similitudes ?
C’est juste, il y a en effet une similarité entre nos parcours. Cela tombe bien : Jean-Georges Vongerichten et moi sommes très copains ! Je l’apprécie beaucoup. Autre similarité, lui comme moi sommes tous deux confrontés à la récente nécessité de réaliser de très bons plats vegan – ce régime alimentaire ne cessant de croître aux États-Unis et en Angleterre. Notre autre point commun consiste à avoir relevé le challenge de créer un menu pour un hôtel (ce qui est bien différent d’un menu de restaurant).
F&S : Vous êtes très connu à New-York, ainsi qu’ailleurs aux États-Unis ; parlez-nous de cette réussite américaine.
Et bien par exemple, au Rockerfeller Center, je tiens une brasserie très courue, la Brasserie Ruhlmann, qui dispose du plus grand patio de New-York. L’été, on y fait même un BierGarten, de juin jusqu’à la mi-septembre. Cette formule plaît beaucoup !
F&S : Et ici en Angleterre, quelles sont vos recettes préférées ?
Il y a des recettes vraiment bonnes ici ; la sheperd pie par exemple, mais aussi bien sûr le Fish & Chips, ou encore le Steamed Pudding (j’en ai mis un au menu du Laurent, d’ailleurs.)
F&S : Comment évaluez-vous la scène culinaire londonienne, par rapport à Paris par exemple ?
A Londres, les opportunités sont plus nombreuses ; cette ville est une véritable plaque tournante des influences. Ce qui se voit dans le menu du Laurent, d’ailleurs ; j’ai voulu l’élaborer sur le modèle new-yorkais, c’est-à-dire avec la possibilité de manger différent tous les jours au même endroit.
F&S : Vous avez eu, un temps, un restaurant au Kazakhstan ; parlez-nous de cette destination ?
C’est un coin du monde fort intéressant ; on y mange plus sain, car là-bas les produits ne sont pas traités aux pesticides. Leurs produits sont incroyables, et les marchés fascinants. On y trouve des piles d’épices, des melons exceptionnels, des framboises succulentes, des herbes à foison… Ces marchés sont très inspirants pour cuisiner.
F&S : D’autres projets à venir ?
Oui, l’ouverture imminente d’un restaurant aux Hamptons… Encore un projet plein de charme !
Propos recueillis par Anastasia Chelini