Après quatre années de travaux spectaculaires, l’Hôtel de Crillon a rouvert l’été dernier, plus chic et plus splendide que jamais. Illuminant de son faste la place de la Concorde, cet hôtel de grand luxe dispose d’une table gastronomique étoilée, L’Écrin, signée par Christopher Hache. Outre ce lieu au prestige inventif, l’Hôtel de Crillon propose également une autre table, parfaite pour le midi et pour l’après-midi : la très bucolique Brasserie d’Aumont. C’est là que je me suis attablée pour déjeuner, dans la vaste cour intérieure arborée, où le temps semble s’être envolé. Difficile de dire, au final, ce qui m’a le plus enchantée : l’imprenable spot façon terrasse idyllique en plein Paris, qui vous fait oublier jusqu’au monde alentour ; le très graphique pâté en croûte, agrémenté d’une frise à l’encre de seiche (Paris s’y profile selon ses monuments emblématiques) ; ou encore, l’atmosphère entêtante du beau « Jardin d’Hiver », un salon richement orné qui se profile à la suite de la terrasse. Quant à Justin Schmitt, le jeune chef à la tête de cette brasserie réussie, il s’est plié gentiment à l’exercice de l’interview. À découvrir ci-dessous !
F&S : Bonjour Justin ; vous avez 32 ans, et c’est là votre premier poste en tant que chef de restaurant. Parlez-nous de votre parcours.
Justin Schmitt : J’ai commencé à Gaya Rive Gauche (de Pierre Gagnaire) en 2001, puis j’ai rejoint le 3 étoiles Lucas Carton ; je suis ensuite allé chez Michel Guerard dans le sud, avant de rejoindre Le Grand Vefour à Paris, puis La Grande Cascade, puis le Bristol en 2008, où j’ai intégré le restaurant gastronomique en 2010. J’ai ensuite rejoint l’Hôtel de Crillon en février 2010.
F&S : L’hôtel a fermé 4 ans pour une complète rénovation ; qu’est-ce que cette fermeture vous a permis de faire ?
J.S. : Pendant les deux premières années de la fermeture, j’ai voyagé. Je suis allé en Australie, puis j’ai passé six mois à Londres, au Rosewood London (un autre palace du groupe Rosewood, qui compte également l’Hôtel de Crillon, NDLR). Je suis ensuite allé à New York, puis à Vancouver, au Hotel Georgia (lui aussi un hôtel du groupe Rosewood). Après ces deux belles années passées à me peaufiner auprès de grands chefs, j’ai mis à profit les deux autres années restantes pour élaborer en profondeur la carte et le concept de la Brasserie d’Aumont. En parallèle, j’ai pu mettre en place un système de sourcing particulièrement poussé. De fait, la Brasserie d’Aumont présente des produits uniques, qu’on ne trouve qu’à l’Hôtel de Crillon. C’est notamment le cas de nos huîtres, issues d’un petit parc à huîtres totalement dédié à l’hôtel. De plus, j’ai profité de cette fermeture temporaire pour me former auprès d’un boucher parisien, afin de disposer d’une ouverture sur les éleveurs et leur métier. Grâce à cela, mon équipe et moi-même sommes parfaitement aptes à recevoir une carcasse de bœuf entière, et à en utiliser toutes les parties. De la sorte, j’ai appris à limiter les pertes. Aussi, je peux servir à nos clients nos propres steak hachés ; et proposer à nos habitués des morceaux précis. Rien de tel pour les chouchouter !
F&S : Parlez-nous de la carte de la Brasserie d’Aumont.
J.S. : On y retrouve les produits habituels d’une vraie brasserie parisienne, mais avec un twist différent, pensé à l’aune de mon parcours gastronomique. Dit autrement, je m’emploie à être créatif à partir d’une base classique, que je cherche à sublimer. Parmi les plats qui ont fait la réussite de la Brasserie cette année, on retrouve le pâté en croûte, l’œuf mimosa, le poulpe (rôti au piment de la Verra). J’ai revisité également une blanquette de veau, ou encore la grenouille traditionnelle, servie ici avec une émulsion très crémeuse. Au final, cela donne une carte lisible, très ciblée sur le produit, le goût ; et dont l’ambition consiste à aller à l’essentiel.
F&S : Quel type de clientèle cherchez-vous à séduire avec la Brasserie ?
J.S. : On a voulu viser une clientèle plus jeune, plus parisienne, mais qui soit à la fois très cosmopolite. Pour l’attirer, nous avons rendu nos prix plus attractifs, moins conséquents. (Le menu du lunch est à 44 Euros, NDLR.) Autre élément caractéristique de notre approche à la Brasserie d’Aumont, c’est son focus sur la cuisine française. Lorsqu’elle vient à Paris, la clientèle internationale a envie de découvrir le terroir français, dans une version réactualisée – mais française toujours. Nos hôtes sont à la recherche de la France, de ce qui constitue son âme. C’est ce que nous leur servons ici. En dernier lieu, il faut aussi noter que dans sa nouvelle version, l’Hôtel de Crillon bénéficie d’un bar directement situé à l’entrée ; il constitue un avantage de taille pour attirer cette clientèle locale, jeune et voyageuse. Et puis, l’hôtel présente dans sa globalité une atmosphère lumineuse, plus décontractée que la précédente. Tel qu’il est aujourd’hui, l’Hôtel de Crillon correspond aux attentes de confort et de chic avenant qui sont en vogue dans l’hôtellerie de luxe.
F&S : Votre créativité s’exprime aussi au travers de la vaisselle, que vous avez en partie dessinée.
J.S. : En effet, j’ai dessiné les assiettes, et c’est sur la base de mes dessins qu’une céramiste les a réalisées. De la sorte, non seulement j’incorpore ma touche personnelle à la cuisine, mais aussi à son service. Voilà un exemple de plus des efforts que nous faisons à l’Hôtel de Crillon ; en servant les clients dans une vaisselle unique, sur-mesure, c’est une attention supplémentaire que nous leur offrons. Et puis, en ce qui me concerne, j’ai un côté artistique que je souhaitais exprimer ; je voulais surprendre mes clients. Qu’ils puissent être mis en présence du fait que la créativité d’un chef ne s’arrête pas à sa cuisine.
F&S : Quel bilan tirez-vous de votre première année d’exercice au Crillon ?
J.S. : C’est ma première place de chef, donc forcément, c’est là pour moi une vraie satisfaction. Et puis, je suis fier de l’année qui vient de s’écouler, car elle a été riche et pleine de réussites. En plus, j’ai une très belle équipe en cuisine et en salle, et ces deux équipes communiquent bien ensemble. La situation pour moi est optimale. D’autant qu’avec Christopher Hache, le chef exécutif de l’hôtel, nous avons une grande complicité ; il sait comment je travaille, donc il me laisse totalement signer ma carte. Pour conclure, je dirais que je suis très fier d’être le chef de la réouverture de la Brasserie d’Aumont. C’est là un gros tournant dans ma carrière.
F&S : À terme, quelles sont vos ambitions en tant que chef ? Obtenir un titre ou une récompense, cela fait-il partie de votre stratégie ?
J.S. : Je cuisine pour me faire plaisir et faire plaisir aux clients, pas d’abord pour faire partie d’un guide ou d’un classement ; si ça plaît, c’est l’essentiel…
F&S : L’Hôtel de Crillon est situé dans un triangle d’or riche en hôtels de luxe, où la forte condensation géographique de ces établissements rend difficile les efforts de différenciation. Comment tirez-vous votre épingle du jeu ?
J.S. : On se distingue par la magie du lieu ; la Brasserie d’Aumont, c’est à la fois un bar, une cour intérieure, et… une terrasse. Car à l’arrière, nous disposons en effet d’une terrasse secrète, où des animations éphémères et autres activités se succèdent, selon les thèmes sportifs du moment. Ils y sont retransmis en direct, et ils se regardent depuis des chaises longues customisées, avec cocktails et tapas en accompagnement. Rien de tel pour plaire aux Millenials ! (Rires.)
F&S : Le fait de travailler pour un hôtel de luxe, en quoi est-ce selon vous un avantage ?
J.S. : C’est très formateur ; on passe dans les mains de très grands chefs, auprès desquels on apprend des techniques formidables. On y développe de très bonnes bases, qui nous ouvrent le champ. Et on y apprend aussi le respect des produits. C’est fondamental…
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Un endroit visiblement redevenu enchanteur