Début juin, le Mandarin Oriental Londres fermait ses portes précipitamment, suite à un incendie spectaculaire (mais qui n’a fait aucun blessé). Six mois plus tard, le luxueux palace rouvre enfin, plus éblouissant que jamais. C’est à la veille de cette réouverture que l’on a rencontré Ashley Palmer-Watts, le chef-directeur du Dinner by Heston Blumenthal. Cette table mémorable, doublement étoilée Michelin, fêtera ses huit ans d’ouverture en 2019, et ses sept ans en tant qu’étoilée (elle a reçu sa première étoile un an après l’ouverture, puis la seconde l’année suivante). Pour Food&Sens, le chef Palmer-Watts a levé le voile sur ses nouvelles créations, entre invention permanente et quête de goût insatiable. Il est revenu également sur ses nombreuses participations dans des shows culinaires (MasterChef Royaume-Uni et MasterChef Australie), ainsi que sur les projets du groupe, dont l’ouverture fin 2019 d’un Dinner à Dubaï. Récit.
Nous sommes tout début décembre. Le Mandarin Oriental Londres tend sa façade rutilante aux passants, à deux pas du grand magasin Harrods. À l’intérieur, les décors de saison ont pris d’assaut le lobby : arbre de Noël bardé de guirlandes, cheminée centrale croulant sous les boules or et vert. Le tout a belle allure. Je contemple un instant ces décors oniriques, puis gagne le Dinner by Heston Blumenthal, vaste restaurant de 120 places, que l’incendie a laissé intact. C’est là que le chef Palmer-Watts m’accueille, selon sa bonhomie habituelle. « Cette réouverture début décembre, c’est un bon timing ; la période des fêtes est opportune », débute-t-il, content. De fait, le carnet de réservation du lendemain est plein à 90%. « C’est une belle nouvelle ; ça veut dire que le restaurant attire son propre public » ; indépendamment de l’hôtel, donc (dont les chambres sont fermées jusqu’au printemps. Pour l’heure, seuls les restaurants, bars, et le spa de l’hôtel fonctionnent.)
La cérémonie de lancement du Guide Michelin Grande-Bretagne et Irlande 2019 ayant eu lieu il y a peu (le 1eroctobre), c’est tout naturellement que nous évoquons les deux étoiles du Dinner. « Nous avons reçu la première en 2011, et la seconde en 2012. Vous savez, chaque année c’est toujours une belle émotion de se voir confirmer ces deux étoiles. » Pour autant, l’heure n’est pas au laisser-aller : « d’année en année, mon exigence reste toujours aussi haute ; avoir deux étoiles ne signifie aucunement qu’on peut se reposer sur ses lauriers. Au contraire. Il faut continuer d’écouter les retours des clients, de l’équipe, et des proches du restaurant. Il faut toujours aller de l’avant. D’autant que le but premier n’est pas d’obtenir des récompenses ; celles-ci viendront si le travail est bien fait. L’essentiel consiste à se concentrer sur les assiettes. »
Lorsqu’il évoque les nouveaux plats de la carte, le chef Palmer-Watts se fait intarissable. Les photos défilent sur son iPad, les explications fusent. Salamagundy, Chocolate Drops, ou encore Sambocade, sont quelques-uns des mets au parfum historique remis au goût du jour.
Après les nouveaux plats, le chef passe aux anciens ; ils sont désormais porteurs d’un autre twist. Les présentations se succèdent ; le Rice and flesh, déjà présent l’année dernière, nous revient remanié, nouvelle saison oblige. « Dans sa version précédente, c’était le safran qui dominait, secondé par une nuance d’amande ; cette fois, on a fait l’inverse. » Justement : c’est dans cette gymnastique de la réinvention que réside tout l’enjeu du Dinner. « Mis à part quelques plats phares qui demeurent inchangés, on se renouvelle tout le temps. Réinventer nos classiques, c’est comme réassembler les pièces d’un puzzle. Il s’agit de faire table rase de la version précédente, de reconsidérer ses ingrédients, et de les assembler différemment. » Pour surprendre, encore et toujours. Et tant pis si, au passage, certains clients changent de tête lorsqu’ils découvrent, en lieu et place de l’habituel Meat Fruit trustant une mandarine en trompe l’œil, un Plum Meat Fruit, ou parfait de foie de poulet enrobé de vin rouge épicé. La robe hivernale du trompe-l’œil, d’un beau pourpre sombre, fait écho à l’hiver. Au final, les clients sont ravis. « Dans un premier temps, certains sont déçus ; ils attendaient tellement leur parfait façon mandarine, qu’ils sont forcément circonspects en voyant la nouvelle version. Et puis, une fois qu’ils l’ont goûtée, ils n’arrivent plus à choisir laquelle est leur préférée ! »
C’est donc sur la vague d’un succès bien assis, entretenu notamment par des clients fidèles, que le Dinner vogue depuis 8 ans. À tel point, qu’un second Dinner, à Melbourne cette fois, a ouvert il y a 3 ans. Ce récent établissement a été le théâtre de plusieurs shows télévisés, à l’instar de son grand frère le Dinner de Londres. « Cela fait longtemps que je participe à MasterChef, Royaume-Uni puis Australie ; j’ai même été juge », raconte le chef, qui a été entraîné par son mentor et ami, Heston Blumenthal, dans le sillage du télévisuel. Puis d’évoquer l’intérêt qu’il trouve à ces émissions grand public : « selon moi, le plus intéressant dans ces émissions, c’est qu’elles nous permettent de montrer au public l’envers du décor. Les gens sont fascinés par les coulisses d’une grande cuisine ; ils aiment voir tous les préparatifs qu’un plat a nécessités. » Autre avantage de ces émissions, le fait qu’elles redorent l’image des chefs. « Vous savez, jusqu’à récemment, beaucoup de gens voyaient les chefs comme des personnages autoritaires, durs, voire même parfois méchants. Grâce à ces émissions, le public se rend compte que les chefs sont des gens comme les autres, capables d’être décontractés, tout en gérant la pression, la concentration, les équipes et le timing. » Et de fait, force est de reconnaître la relax attitude du chef Palmer-Watts. « En 20 ans de métier, je me suis énervé deux fois seulement. » Tout est dit.
Cette année, le Dinner de Londres a été classé à la 45è place du World’s 50 Best Restaurants 2018. Le chef Palmer-Watts s’en réjouit ; « faire partie du 50 Best depuis les débuts du Dinner, ça a été une grande chance, et l’opportunité d’une belle visibilité pour nous. D’autant que la première année, le Dinner a figuré à la neuvième place du classement, en 2012… » En filigrane, cette présence persistante au sein du 50 Best vient adouber un état de fait : « elle confirme que le Dinner a créé une niche ; celle mêlant grandeur et accessibilité, pureté et saveurs, simplicité mais excellence. Et ça reconnaît aussi que le Dinner est un restaurant innovant, original et créatif. Pour moi, c’est très important. » Un soupir, puis le chef ajoute : « nos créations sont souvent copiées. En général, on les retrouve six mois plus tard dans d’autres restaurants. Mais bon ; au fond, ce n’est pas si important. L’essentiel, c’est qu’au départ, le plat copié ait été créé par nous, ici, au Dinner. Historiquement, cela demeurera. » Le reste n’est que poussière…
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Bel endroit, chef talentueux et constamment dans l'innovation, un lieu attractif