Le cœur historique de Périgueux est magnifique avec l’architecture Renaissance de ses ruelles, plutôt XVIIe et XVIIIe siècles sur les places. Ces places accueillent les marchés : le marché au gras sur la place Saint-Louis en période hivernale, et le marché tout court sur la place du Coderc, assorti d’une mignonne halle couverte à l’architecture néoclassique.
Dès mon arrivée place Saint-Louis, je tombe sur ces oies entières et je reçois une grande claque. Mon Dieu, que c’est beau. Que ça donne envie d’emporter ça sous le bras, de le découper méthodiquement en cuisses (pour confit), magrets, foie, cœur, gésier, ailes, cou, peau, tripes (le côlon d’oie, c’est très bon, vous savez ? Les Chinois adorent)… Jusqu’à ce qu’il ne reste que la carcasse à faire griller au four. J’avais déjà visité le marché au gras il y a une dizaine d’années et je n’en avais pas été spécialement enchantée. L’installation était différente, moins pratique, et les produits étaient moins bien exposés. Je me demande d’ailleurs s’ils étaient aussi beaux que ceux que j’ai vus l’autre jour. Il me semble que toute cette production artisanale d’oie et de canard gras n’a jamais été si splendide, que la qualité n’a fait qu’augmenter ces dernières années. Comme si les nombreuses menaces qui pèsent sur la biodiversité alimentaire, le bio et l’agriculture traditionnelle, le bio et la polyculture ancestrale ne faisaient qu’encourager les petits producteurs locaux à redoubler de zèle et d’attention. Et si tel est le cas, ils ont bien raison, car on ne s’en sortira (par « on », je pense aux vrais produits, aux produits fermiers, aux traditions culinaires, etc.) que par la qualité.
Et là, sur ce marché 2016, c’est l’extase permanente. Une splendeur rosée, dorée et nacrée s’étale devant mes yeux. Dodus, replets, sains, purs et sans tache, sans même une trace de duvet, ces oies et canards sont une tentation irrésistible pour le cuisinier ou la cuisinière. On a envie de s’en emparer, de passer la main sur cette peau grasse, fraîche et finement piquetée, de plonger les mains dedans, de jouer du couteau, de humer la fabuleuse odeur des grattons qui grésillent, des confits qui confisent, du cou farci qui mijote…
Ces cuisses de canard sont alignées pour la revue, prêtes pour la marmite à confit. Ou peut-être une bonne soupe de canard avec vin blanc ou bière, choux-raves, pruneaux, châtaignes…
Les foies, bien sûr, les foies. Frais, dodus, bien serrés dans leur film étirable, et vous avez le choix : oie ou canard. Décidément, je préfère toujours l’oie. Hygiénistes, puritains, tyrans alimentaires, peine-à-jouir et défenseurs des animaux néanmoins brouillés avec la biologie (pas un seul qui soit au courant de la physiologie des palmipèdes), prenez-vous ça dans la figure : c’est pas demain la veille qu’on interdira ça. Au moins ici.
Si l’on peut emporter chez soi son canard entier ou son oie entière, les volatiles ont aussi été débités jusqu’au plus petit morceau, exposant leur fraîcheur et leur belle santé sur les étals : magrets, aiguillettes, gésiers, cous nus, cous avec leur peau, ailerons… « Le canard se porte bien » : c’est pas moi qui le dis, ce sont les principaux intéressés. Alors, hein…
Et jusqu’aux pattes. Je constate que mes amis chinois ne sont pas les seuls à aimer ça.
Oie et canard sont les cochons du règne aviaire : rien ne se perd, tout se mange. Pour un prix modique, vous pouvez acquérir les peaux qui vous permettront de faire fondre la graisse.
Grande invention : l’oie de voyage ou oie pliante, autrement appelée « paletot d’oie ». C’est la même chose que l’oie entière, hormis la carcasse détachée au couteau. Vous avez ainsi les cuisses, les ailes, les magrets, l’arrière-train, la graisse et la peau, et vous pouvez même ranger ça dans votre valise.
Démonstration du paletot d’oie ouvert.
Et c’est aussi la foire aux abattis : ces bas morceaux dont on peut faire tant de choses, de la soupe à la grillade. Têtes, cous, ailerons ficelés en jolis petits paquets. Pour deux ou trois euros.
Il y a la version « avec gésier », et tout cela coûte trois francs six sous. Pour un bon bouillon… Ce marché est une véritable invitation au rêve.
Petits paquets : pattes, ailerons, gésier.
Il y a même deux ou trois étals où l’on vend des sanguettes, poêlées de sang de canard ou d’oie, du boudin en quelque sorte. L’analogie avec la Chine (où le boudin de sang de canard est prisé) me saute encore aux yeux. Le Sud-Ouest français et la Chine sont deux civilisations du palmipède…
Belles comme des fleurs de tulipe rouges, les carcasses attendent le gril ou le four. Ou encore la marmite à bouillon, cet ustensile de cuisine auquel on pense beaucoup, vraiment beaucoup, en visitant ce marché de conte de fées.
Bien entendu, l’homme ne vit pas que de canard ou d’oie. Il faut manger des cèpes, aussi. De préférence avec l’oie ou le canard. Et peut-être aussi des petites patates bien dorées et beaucoup d’ail. Vous avez faim ? Désolée. Ces cèpes n’ont pas été photographiés place Saint-Louis (place Saint-Louis, vous ne trouverez que du gras, rien que du gras), mais sur le marché de la place du Coderc, dont je peux faire un éloge exactement semblable à celui du marché au gras. Le salon de Périgueux a lieu tous les deux ans. Et à chaque fois que j’y viens (depuis une quinzaine d’années), je trouve ce marché du Coderc de plus en plus magnifique. Le nombre des espèces et variétés de fruits et de légumes me paraît augmenter à chaque fois. Ça rassure.
Et là aussi, quelles merveilles, ces produits ! Sauvages ou cultivés, pleins de sève et de fraîcheur, leur fermeté et leur couleur parlent d’elles-mêmes. Et donnent furieusement envie d’emménager en Périgord. Je tombe sur ce grand étal potager chargé d’une multitude de produits différents, tous récoltés dans un seul jardin et dans les forêts alentour. C’est le plus beau du marché. Il y a évidemment eu un effort de présentation de la part des producteurs, mais les produits sont si magnifiques qu’ils créent cette beauté à eux tout seuls.
Laitues fraîches de jardin en plein mois de novembre, rangées racine vers le haut parce qu’elles sont mieux protégées ainsi, c’est logique.
Une grand-mère vendait les produits de son jardin et de sa cueillette : lactaires délicieux, nèfles, kakis… Au moment où je prenais la photo, elle tendait à un client deux beaux pigeons plumés et vidés.
Et de belles courges de toutes variétés pour le tourin, dont on imagine déjà la douce odeur, la chaleur, l’intensité du bouillon (de canard, tiens !), la pointe d’ail… La petite cuillère sort sa grande cuillère…
Nous terminerons cette balade au marché par le potiron galeux d’Eysines. Pour ma part, je lui voue un immense respect. Bon mois de décembre à tous.
INFOS
Le marché au gras de Périgueux se tient place Saint-Louis, dans la vieille ville, tous les mercredis et samedis matins de 8 heures à 12 heures, à la saison du gras, c’est-à-dire entre le 5 novembre et le 18 mars. Des marchés primés ont lieu au cours de cette période aux dates suivantes : 26 novembre et 10 décembre 2016, 14 janvier et 18 février 2017. Au cours de ces marchés spéciaux où les meilleurs produits sont récompensés sont organisées des démonstrations culinaires, des dégustations, des animations musicales…
Le marché de la place du Coderc et sous la halle du Coderc se tient tous les matins, du lundi au dimanche, de 6 heures à 12 h 30 en période hivernale, et jusqu’à 13 heures en période estivale. Les mercredis et samedis de 8 heures à 12 h 30, il s’étend jusqu’à la place de l’Ancien-Hôtel-de-Ville, à la place de la Clautre et à la place Saint-Silain.
À la petite cuillère
Texte et photos : Sophie Brissaud
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La vraie France, celle que l'on aime, qui nous rapelle la vraie vie et nous raproche de nos petits agriculteurs.
Ce n'est pas le marché de Rungis….