La multiplication des scènes sur le festival (non seulement salé et sucré, mais aussi artisan, avant-garde, territoires et cocktail) matérialise cette évolution. Tout au plus — c’est juste une parenthèse — puis-je regretter la disparition de la Dive, cette réunion de vignerons nature hébergée à Deauville à l’occasion d’Omnivore. Pas la place, plus d’actualité, c’est dommage. Mais aussi la relative absence des vins — réduits à quelques interventions sur la scène artisan — au profit de tout un étage consacré au cocktail. Ne vous méprenez pas, l’art du cocktail me fascine et je l’ai assez prouvé, mais cette année, le vin brillait par sa discrétion.
Il y a beaucoup à raconter ; un peu trop pour le temps dont je dispose. Comme j’aime bien étudier les choses en profondeur, j’ai voulu explorer un aspect en particulier, celui des Fucking Dinners d’Omnivore, dîners à quatre mains réunissant deux chefs/équipes de cuisine, le plus souvent éloignés par la géographie et, peu ou prou, proches par le concept. Les cuisiniers se rencontrent, échangent, travaillent en commun : il y a un côté expérience, une pulsation que j’adore. Cette année, il y en avait quatre, et je me suis inscrite à trois. Comme il est difficile de rendre justice à ces trois excellents repas en un seul papier, je ferai ici le compte rendu du premier et les deux autres seront décrits dans un article ultérieur.
FUCKING DINNER N° 1 : BAO LA (LE GARÇON SAÏGON) ET TAKU SEKINE À DERSOU
Taku Sekine sert à Dersou une cuisine riche et colorée, remarquable par les grillades et les rôtisseries, accompagnée des cocktails de son barman Amaury, assisté d’Arthur (qui préfère qu’on l’appelle Touré).
Ce soir, Bao La, son second Kirk Lau, Taku et les barmen œuvrent de concert à un menu dégustation ébouriffant. Un article sera consacré à Taku et à Dersou ; quant à l’invité, il est pour moi une des grandes révélations de cet Omnivore 2017. Né à Brisbane d’une maman cuisinière et d’un papa francophile, tous deux vietnamiens, ce jeune homme dont le visage rayonne de gourmandise et de gentillesse explique sa brasserie hongkongaise Le Garçon Saïgon par la filiation : « Ma mère est à la retraite, elle ne cuisine plus, je lui succède. Je cherche à élever les saveurs traditionnelles en utilisant des produits exceptionnels. » Dans le mille : c’est probablement là le seul vrai secret culinaire dont un chef ait besoin.
Mis en pratique, ce principe fait exploser, scintiller le goût des plats vietnamiens et, oui, les élève à l’état de chef-d’œuvre. Lorsque j’évoque son infiniment succulente interprétation du bo la lot (brochettes de bœuf en feuilles de bétel) au bœuf de Galice, il répond : « Je fais la cuisine que j’aime. Le bœuf élevé à l’herbe, c’est ce que j’aimerais manger sur mon lit de mort. À Hong Kong, j’utilise de l’excellent bœuf australien. Sur place, les poissons et fruits de mer sont de premier ordre. »
Plus tard, sur la scène salé d’Omnivore, on lui demandera le principe de son restaurant. « Quand on parle de cuisine vietnamienne, répondra-il, on pense toujours au phở. Phở par-ci, phở par-là, mais il n’y a pas que le phở ! » Un coup d’œil à la carte de sa brasserie — où le Viêt-nam est loin d’être la seule inspiration — révèle son amour des grillades. « Mon idée de la bonne cuisine ? Tout ce qu’on peut griller et rouler dans une feuille de riz ! »
À table, on comprend vite ce qu’il entend par « élever les saveurs traditionnelles ». En soi, elles n’en ont pas besoin. Mais quand nous nous régalons dans un bon restaurant vietnamien, les ingrédients n’y sont pratiquement jamais de qualité supérieure. C’est bon quand même : l’art de cette cuisine peut transcender des produits de qualité courante ; mais quand on se sert, comme Bao La, d’un bœuf de Galice maturé et idéalement persillé, d’une échine de porc ibérique, d’une dorade royale de ligne ou d’un thon rouge de qualité sashimi, le goût explose et le plaisir est démultiplié. Soudain, la cuisine vietnamienne, que nous croyions connaître, nous est révélée. Suggestion de sujet pour le bac : par l’excellence des produits, une cuisine exprime sa vérité. Vous avez quatre heures.
L’exercice cocktail est remarquablement mesuré : contrairement à beaucoup de barmen contemporains qui « tombent dans le sucre » et produisent des verres trop doucereux, Amaury et Touré jouent sur l’acidité, la fraîcheur, un peu d’amertume et de salinité, et sur un dosage modeste afin que personne ne termine son repas à l’horizontale. Ce sont des cocktails de goût. Essayez, vous verrez.
La prochaine Petite Cuillère sera consacrée aux deux autres Fucking Dinners auxquels j’ai assisté : Mauricio Zillo et Alberto Landgraf à A Mere ; et Sugio Yamaguchi, Alexandre Philippe et Yohan Lastre à Botanique. Restez connectés.
À la Petite Cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
Voir les commentaires (1)
très bel article !
Les viandes de Chavassieux sont vraiment terrible. Je les ai découverte il y a peu.. Je vous laisse regardé ce site web qui les commercialise. Testé et approuvé c'est vraiment top : https://www.tetedelard.com/17_salaison-echavassieux
Je recommande à tous les amateurs de bonnes charcuteries