Fooding d’été à Paris : la (ca)fête nationale

La verdure à Paris, c’est magique, et le parc des Buttes-Chaumont en est une des plus charmantes illustrations. C’est là, au Pavillon Puebla, que Le Fooding a décidé d’offrir sa grande (ca)fête nationale en l’honneur du 14-juillet. À la Petite Cuillère y était et vous raconte tout.

L’été à Paris est toujours une fête ; même avant août, le rythme se calme un peu, les corps se détendent. Les pelouses s’offrent aux repos momentanés, aux pique-niques et aux siestes yeux grands ouverts sur le ciel qu’on est tout étonné de contempler. Le Fooding d’été se déroule par une soirée ensoleillée, douce et presque fraîche, au sein d’une verdure préservée par un été pour l’instant pas trop caniculaire.

Le Pavillon Puebla était naguère un restaurant chic. Je l’avais visité il y a longtemps, quand Madame ornait les fenêtres d’énormes rideaux verts bouillonnants et que le chef, retranché dans sa cuisine, creusait des mini-potirons qu’il remplissait de potage tout en pestant contre le mauvais goût de sa femme. Mais à présent, la grande maison IIIe République est devenue un espace tapissé de kilims où l’on déguste des pizzas et des cocktails en mode chill out et où l’on a gardé un peu du décor d’origine pour faire genre.

La dernière soirée Fooding à laquelle j’avais assisté ne m’avait pas convaincue. Mais cette fois, c’est tout autre chose. L’endroit est bien choisi, romantique et labyrinthique. L’ambiance est détendue. Tout le monde est calme. Une fois l’accordéon de la première heure rangé dans sa boîte — les poncifs, ça fait du bien quand ça s’arrête —, la playlist est créative et narquoise.

Opportunément, les cocktails sont bleu, blanc, rouge : le sponsor bibine, cette fois, c’est Ricard. Perroquet (bleu), mauresque et tomate constituent le drapeau mixologique de la soirée. OK, les verres sont trop petits et les éléments difficiles à doser : la rasade de sirop est trop généreuse et les cocktails sont trop sucrés. Comme la dernière fois. Le sucre, c’est le naufrage des barmen contemporains. Mais l’idée est bonne.

Je ne fais pas le parcours dans l’ordre, car dès l’entrée, le petit salut d’Inaki Aizpitarte m’attire. Quelques secondes plus tard, j’ai en main une barquette de crevettes grises de Dieppe frites croustillantes, légèrement panées à la farine de maïs basque et aux épices tandoori. C’est du pur Inaki : décalé, simple et bon. Avec un sérieux goût de reviens-y.

Dans l’ordre, j’aurais commencé par les huîtres Royales de Prat-ar-Coum. Mais rien n’empêche d’enchaîner, elles sont excellentes — quoique un peu maigrelettes pour la saison, à mon goût.

Et l’on continue avec les impeccables et croustillantes frites-ketchup maison de Xavier Thiery, chef du restaurant de l’hôtel Edgar.

Les agapes se poursuivent avec les délicieuses merguez agneau-bœuf, juteuses et croquantes, de David Azoulay, du restaurant Merguez & Pastrami. La merguez bien épicée est adoucie par un excellent chutney yaourt-coriandre, tout aussi réussi que le ketchup maison aux épices de la tente précédente.

Sont-ils pas gentils avec leurs petits pains ? Pourtant, j’ai dû demander ma merguez sans pain, m’étant fait arracher deux molaires l’avant-veille.

Sylvestre Wahid, de Thoumieux, était là avec une partie de son équipe pour confectionner un croissant bagnat. Croissant léger et rebondi de Gâteau Thoumieux, évidemment, garni d’ingrédients de haute qualité. Cette création m’est apparue comme la première belle expression du sandwich gastronomique, genre qui a inspiré beaucoup d’horreurs telles que les tristement célèbres « sandwichs les plus chers du monde » (avec, en vrac : caviar, bœuf wagyu, foie gras, truffe, feuille d’or, etc. — branlette first world anticulinaire par excellence).

Rien de tout ça avec Sylvestre : pas de bling-bling mais de la délicatesse et de l’harmonie. Thon Ortiz, œuf de caille, anchois mariné, cresson frais, tomate séchée (de la bonne), copeaux de parmesan Reggiano, émincé de fèves et de radis roses. C’est croustillant, frais, généreux, savoureux, et ça passe comme une lettre à la poste, contrairement à la plupart des sandwichs français où il y a décidément trop de pain. Si la cuisine de Sylvestre est tout entière comme ce croissant-là, il est grand temps d’aller faire un tour chez lui.

Le croissant bagnat fermé…


… le même ouvert, avec vue plongeante sur sa garniture.

Yann Couvreur, qui a ouvert depuis peu sa pâtisserie avenue Parmentier, est chargé du dessert. Nous échangeons quelques mots. J’évoque la beauté graphique de sa carte de visite dont le fond vert d’eau est parcouru de petits renards d’or. « Pourquoi le renard ? — Parce qu’un renard, c’est fin, c’est rapide, c’est rusé… « Et c’est roux, comme vous. » (Je vous assure que ce n’est pas moi qui ai dit ça, ce sont mes copains.)… « Et ce renard, d’ailleurs, est en train de courir avec quelque chose dans la gueule, il vient de voler… — Une viennoiserie, parfaitement ! » explique-t-il.

Yann présente son caramel aux ciseaux (non, pas aromatisé aux ciseaux).

Le dessert de Yann est une barre de caramel fraise-rhubarbe enveloppée dans du papier sulfurisé, à couper aux ciseaux.

On sent d’abord le goût frais et complexe de la rhubarbe, soutenu par l’onctuosité du beurre. Ensuite, la douceur de la fraise qui arrondit l’ensemble. C’est à peine sucré, c’est d’une fraîcheur délicieuse, qualité rare en confiserie.

Pour résumer, c’était un Fooding très réussi et surtout très gourmand. Sans prise de tête, sans surenchère sur la mise en scène et sans aucun souvenir des pensums vegans de la dernière fois : juste d’excellentes denrées à savourer tranquillement entre amis dans un cadre vert et relaxant. Le Fooding n’est plus un mouvement jeune. Il accuse un âge, une expérience. Il semble avoir compris qu’il n’est pas nécessaire de mettre de la tendance en tout. Parfois, il suffit de rassembler de très bonnes choses préparées par de très bons artisans dans un très bel endroit, et tout le monde est content.

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

 

 

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