Dépôt Légal (Paris), par Christophe Adam

 Naguère encore, c’était un coin de rue près du Palais-Royal, élégant mais endormi. Un beau local néoclassique dont le papier s’écaillait à l’enseigne. Le Dépôt légal de la Bibliothèque nationale de France — siège du service où tout éditeur, imprimeur, producteur a l’obligation de déposer son document — s’est délocalisé, atomisé, modernisé. Le lieu était dans l’attente d’un repreneur. Christophe Adam, créateur de L’Éclair de Génie, s’en est emparé pour y dispenser une forme très classieuse de snacking parisien.

(Nota bene : en refusant catégoriquement d’intituler cet article Dépôt Légal, ça dépote, non seulement je sauve l’honneur, mais en plus j’empêche tout le monde — blogueurs, journalistes, etc. — de se servir de ce titre, car il est déjà éventé. Bien fait.)

Christophe Adam et Élise Lepinteur, sa chef pâtissière, qui donne un gros coup de main pour l’ouverture.

Ceux qui connaissent Christophe en tant que pâtissier ignorent une partie de l’histoire. On pourrait le définir comme un pâtissier-cuisinier, avec une petite dose de punk par-dessus. Esthète et designer autant qu’officier de bouche, il a toujours eu la passion des contenants, des boîtes, de l’emballage. Il a un talent certain pour servir à manger dans des récipients inattendus mais qui se révèlent adaptés au contenu. Il est aussi l’inventeur de l’éclair salé — c’est lui qui a osé l’éclair jambon-beurre-cornichon, pour cela seul il mérite la gloire. Cette nouvelle adresse, chaleureuse et vivante, amplifie son image et l’éloigne du monoproduit éclair-chocolats. Il a manifestement veillé à tous les détails. On sent qu’il déploie une nouvelle dimension de son talent.

La salle est vaste et lumineuse, profitant de la double exposition offerte par la situation d’angle. On peut venir pour le petit déjeuner, le déjeuner, le goûter, le dîner, pour prendre un café, pour boire un verre de vin. Dépôt Légal est ouvert tous les jours, du matin au soir. Les prix sont doux, le choix généreux.

C’est beaucoup de choses en un seul espace : restaurant, café, salon de thé, pâtisserie, épicerie fine. Les produits favoris de Christophe, rassemblés de toute l’Europe, sont disponibles à la vente, tous griffés de la main du maître mais portant avec honnêteté leurs marques, leurs fabricants et leurs régions d’origine. Conserves de poissons de Cantabrie, huiles d’olive arbequina, confitures artisanales… Pas d’usurpation, juste un désir de partager ce qu’on aime et de rendre hommage à ceux qui le font. Le graphisme, le design de chaque produit est d’une grande beauté.

C’est aussi — jusqu’à preuve du contraire — la seule pâtisserie-salon de thé parisienne où le décor des toilettes se retrouve sur l’emballage de tablettes de chocolat maison.

La fraîcheur, la préparation à la minute sont un principe du lieu. Tout est préparé et assemblé derrière un grand comptoir acajou. Vous pouvez déjà y choisir vos viennoiseries, gâteaux et — évidemment — éclairs.

La trancheuse à salaisons — pour une fois verte et pas rouge comme partout ailleurs — trône à côté de l’entrée.

Chose inhabituelle dans les lieux de snacking contemporains et belle innovation de la part de Christophe, ceux qui aiment le vin seront comblés. Le choix est relativement réduit mais il est de première classe : tout vient des Caves Legrand, juste à côté. Les vins ont été choisis au petit poil. Ici on ne boit pas d’étiquette : rien de modeux, de snob ou de convenu. Rien que des perles de pays, peu connues mais ravissantes et originales en bouche. Et à des prix plus que sympa. 

Il faut d’ailleurs noter pour ceux qui ont la ferme intention de sa taper la cloche que la maison garde en dépôt des bouteilles des caves Legrand, à boire sur place ou à emporter. Roussette-de-savoie du domaine Magnin (63 €), crozes-hermitage du domaine Pierre-Jean VIlla (45 €), château-rauzan-ségla 2012, un deuxième cru classé de Margaux à 120 €… Côté bubulles, vous avez du Bollinger et du Tarlant. Vous allez pas vous plaindre.

On appréciera ce coteaux-du-salagou mas-fabregous par exemple (22 € la bouteille).

L’excellent gris-blanc de Gérard Bertrand, rosé pâle à base de grenache noir. Mon rosé préféré, exempt de tous les défauts qu’on reproche souvent aux rosés : sec, frais, équilibré et tendu, il se boit seul, il accompagne tout, il est de toutes les occasions — très belle sélection (22 € la bouteille).

Superbe cépage fié-gris de Touraine, vieilles-vignes du domaine Preys. Un vin vert et végétal sans acidité, bourgeon de cassis, extrêmement pur et agréable à boire. 22 € la bouteille. Un véritable coup de cœur.

Ma burrata aux asperges vertes, gremolata, pousses de salade, pignons de pin. En boîte. Christophe aime les boîtes.

Un kouign-amann au petit dèj’, ça vous tente ? Ou alors des boules de brioche toastées. Des tonic bowls ou des jus frais où l’on n’a oublié ni les graines de chia ni le kale (Je pardonne à cause du kouign-amann.) Et au déjeuner ? Du frais dans l’assiette : ceviche saumon, mangue, poivron, citron vert sauce ponzu (7 €), pokeball au thon frais (18 €), burrata crémeuse en boîte (14 €) que j’ai commandée. Plus consistants, les toastés et plats signature :  big toasté jambon blanc de Paris et crème à la truffe (11 €), bœuf fumé (sandwich avec beurre Bordier et cornichon géant), croque Vivienne (15 €, croque, fromage frais à la truffe, jambon de Paris, beaufort de Miage), et un somptueux tartare bœuf (15 €) haché minute au couteau par Nicolas, le chef (ci-dessous).

Le tartare arrive copieux (et même gargantuesque) et tout frais, accompagné de chips maison (c’est bon les chips) et d’un petit bol de vinaigrette à la graine de moutarde. On assaisonne soi-même, c’est carrément délicieux. Un des meilleurs tartares de Paris.

Pas besoin d’attendre Christophe au tournant pour le sucré, on sait que ça va être bon. Mon île est sa version de l’île flottante. Très fleur bleue, il a remplacé la crème anglaise par un coulis de fruit de la passion frais et garni sa petite meringue légère de framboises et de fleurs de bourrache.

Comme c’est l’ouverture, je décide de goûter aussi au baba légal, arrosé de rhum acidulé aux agrumes et accompagné d’une crème épaisse au mascarpone et au citron vert. Mais c’est juste parce que c’est l’ouverture ; autrement, je ne me le permettrais pas.

Un mot sur le café, confié à un barista et torréfié sur place (vous pouvez voir la torréfactrice, je ne vous raconte pas de blague, c’est juste que je ne l’ai pas photographiée). Un parfait petit caoua qui respire la fraîcheur. Bon, trève de discours : allez-y, et dépêchez-vous car j’ai l’impression que ça va se remplir très vite.

Dépôt Légal – Christophe Adam. 2, rue Vivienne, Paris IIe. Téléphone à venir, pas de réservation. Ouvert tous les jours de 8 heures à 23 heures.

À la Petite Cuillère
Texte et photos : Sophie Brissaud

 

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