Christophe Hay, portrait d’un chef paysan amoureux de la Loire
À « La Maison d’à Côté » puis à « Fleur de Loire« , qui comptent parmi les meilleurs restaurants près des châteaux de la Loire, le chef Christophe Hay collectionne les étoiles et les récompenses, à la hauteur de sa cuisine terroiriste et jusqu’au-boutiste. Aussi à l’aise derrière ses pianos qu’une canne à pêche ou une bêche à la main, ce chef paysan se plaît à maîtriser de bout en bout le produit, de la terre à l’assiette. Rencontre.
F&S : Christophe, vous êtes l’un des chefs français les plus reconnus pour votre engagement local. Où cela prend-t-il racine ?
Christophe Hay : Je suis né à Vendôme, au nord de la Loire, issu d’une famille agricole depuis 5 générations. Ma famille possédait une ferme de 120 hectares avec des vaches laitières. J’ai vu mes grands-parents passer par toutes les phases et connaître la crise des quotas laitiers dans les années 80 en devant jeter le lait, cela m’a beaucoup marqué. J’ai été bercé dans cet environnement jusqu’à mon intégration à l’école hôtelière de Blois, suite à laquelle j’ai commencé à travailler dans des établissements étoilés avant de m’envoler pour la Floride et la maison Bocuse. J’ai ensuite pris un poste – très formateur pour moi – de chef exécutif pour un groupe d’hôtels restaurants à Paris, puis fondé La Maison d’A Côté en 2014 à Montlivault, sur mes terres de prédilection. L’envie de pouvoir participer à valoriser les producteurs en tant que chef est un élément important pour moi, ce sont à la fois des rencontres humaines et une manière de faire évoluer ma cuisine sans cesse.
F&S : Comment est née Fleur de Loire et quelle est sa raison d’être ?
CH : Fleur de Loire rime avec la concrétisation d’un formidable coup de cœur et d’une belle opportunité de faire revivre les anciens hospices blésois à l’architecture historique, au pied de la Loire. Il était primordial pour moi de muer ces lieux en havre éco-responsable par excellence, que mes équipes s’y sentent bien et que la bâtisse soit végétalisée au maximum. De la climatisation à eau en circuit fermé, en passant par la récupération des eaux de pluie, jusqu’aux produits d’accueil de l’hôtel 5 étoiles conçus à base d’huile de colza, de vinaigre et des essences de nos agrumes et des bords de Loire… Rien n’a été laissé au hasard… La Loire est aujourd’hui le seul fleuve classé en Europe – depuis 2020 – avec une faune et une flore unique en son genre. Nous cohabitons avec les castors, les oiseaux et de nombreuses espèces que nous nous devons de respecter à travers notre démarche et bien évidemment notre cuisine. “Je suis passionné par tout ce que je fais. J’aime mettre un nom sur tout ce que je travaille. Je veux que l’on puisse retrouver un voyage, le goût d’une sensation, un producteur, dans chacune de mes assiettes.”
F&S : Que produisez-vous par vous-même et pourquoi cette casquette de chef paysan ?
CH : Nous cultivons aujourd’hui sur un hectare et demi avec 4 jardiniers et j’aime être un peu “le Christophe Colomb de la Loire” en ramenant quelques graines ou boutures de mes voyages pour en exploiter les saveurs. Nous produisons tous nos légumes et toutes nos herbes aromatiques nous-mêmes à l’instar d’une vingtaine de variétés d’asperges, certains fruits comme des variétés de pommes ou de poires anciennes de la région… Ou encore, parmi les plus exotiques, des mangues du Canada, des figues, des grenades et des baies de goji. Nous avons une belle collection de poivriers (Sichuan, Népal, Américain, Timut…). Nous avons mis en place une belle serre aux agrumes avec de superbes variétés dont certaines assez rares (entre autres cédrats, oranges, yuzus, pomélos, citrons et oranges caviar, mains de Bouddha, ou encore l’un des derniers Cédrats de Collioure…). Mon papa était boucher et le boeuf Wagyu est importé en Sologne depuis les années 90, j’avais découvert cette viande d’exception en Amérique… Nous avons démarré avec 27 bêtes en 2018, le cheptel en compte 90 désormais. J’ai confié cette exploitation à Charlie et Nicolas Presles, des amis d’enfance à l’exploitation totalement préservée qui produisent eux-mêmes leurs céréales. Je leur rends visite tous les deux mois tandis que les boeufs pâturent 24 mois en prairie avant d’être nourris au lin et massés en écoutant de la musique classique pendant 14 mois. Cela développe un côté persillé et une longueur en bouche incroyables !
Il y a deux ans, j’ai également repris une truffière de 5 hectares entre Blois et Cheverny avec mon chef exécutif Baptiste, passionné également.
F&S : Qu’est-ce-qui fait, selon vous, la singularité du « locavorisme ligérien » ?
CH : Plus jeune, j’étais champion cadet de pêche au coup en étangs, fleuves, rivières, mais je n’avais pas une très bonne connaissance des poissons d’eau douce. Gardons, tanches, brèmes, brochets, sandres, barbots, carpes, silures, avaient la réputation de poissons peu ragoûtants et vaseux… Aujourd’hui, la Loire étant classée, ils ne vivent plus dans une eau vaseuse mais sur le sable, ils sont tous comestibles et je me plais à élaborer des recettes spécifiques à chaque chair pour ces poissons intéressants et techniques – parfois très longs à désarêter – que les clients viennent découvrir tout exprès car ils n’en cuisineraient pas chez eux, pour l’immense majorité. La pêche ne demande qu’à être étudiée, tout comme la faune et la flore afin d’en extraire le meilleur avec précaution et respect. Ce sont des produits anoblis et rares une fois placés dans l’assiette.
F&S : Un plat emblématique de votre cuisine à Fleur de Loire ?
CH : Avoir eu accès aux archives du Château de Chambord et avoir pu y découvrir la recette originale de la Carpe à la Chambord (sur la base d’un croquis et ses notes), plat emblématique de la région à base de carpe, de champignons, de lard, d’écrevisses en demoiselle et de truffes entières au four, et même une variante incluant le gibier en période de chasse, concoctée tout exprès au XVIIIème siècle pour le Maréchal de Saxe. J’ai mis plusieurs mois à en proposer une version contemporaine devenue un de mes plats signature. C’est une recette 100% locale et un mets regroupant tous les éléments du terroir autour du château de Chambord.
Julie Garnier
photo ©Fleur de Loire – ©Sylvain Bris