Le quotidien en ligne « Lyon Capitale » l’a interviewé …
Le chef italien Marco Vigano, une étoile Michelin et « Grand de demain » du Gault&Millau 2019 quitte Roanne pour s’installer à Lyon en septembre. Interview extra sensorielle.
Pourquoi quittez-vous Roanne ?
Il y a trois ans, j’ai vu la vierge, c’est véridique, et elle m’a dit « viens vers moi Marco ! ». J’ai eu les apparitions de la vierge de Lourdes, de celle de Milan – la ville qui m’a vu naître – et après j’ai connu Lyon. C’est comme ça.
Pourquoi Lyon ?
J’aime Lyon. C’est une ville riche, avec une culture gastronomique très puissante. Il y a Paul Bocuse, la Mère Brazier…. et plein de jeunes qui m’excitent comme L’Etabli, Les Apothicaires, La Bijouterie…. j’en oublie. Ce sont tous des copains. Il y a, à Lyon, une nouvelle vague de cuisiniers qui a quelque chose à dire. Ça m’excite beaucoup, je suis très enthousiaste. Il y a des vibrations positives à Lyon.
C’est donc un nouveau challenge que vous vous lancez ?
Tout à fait. Dans ma cuisine, j’aimerai qu’on voit la lumière au-delà de la lumière. L’artiste italien Piero Manzoni a fait la boîte à caca (« Merde d’artiste » est une oeuvre composée de 90 boîtes de conserve cylindriques en métal, hermétiquement fermées, qui contiennent les excréments de l’artiste, étiquetées, numérotées et signées, NdlR)… Ma cuisine, c’est comme de l’art, il faut la voir au-delà de la lumière. Alors, elle devient accessible à tout le monde. Vous savez, nous les Italiens, on est des marins. Christophe Colomb a découvert l’Amérique. On va au-delà des mers.
Comment définissez-vous votre cuisine actuelle ?
Ma cuisine, on l’écoute d’abord, on la mange ensuite avec son cœur. Ma cuisine, comme dit Troigros, elle est avec mon accent italien et beaucoup de cœur. Ce sont les artisans, les petits producteurs qui nous offrent leurs produits. Nous, les cuisiniers, on ne fait que les magnifier, mais pas trop. Il ne faut jamais oublier le triangle d’or : la salle, la cuisine et le client. S’il n’y a que l’égo du chef dans l’assiette, ça ne marche pas. Le client, c’est le plus important. Dans ma cuisine, je mets cinq ou six de satellites autour du plat. Ça fait un peu dinette. On pioche ici et là. Ce sont des petites assiettes qui donnent une cohérence à l’ensemble mais qui peuvent aussi devenir une recette à part entière.
Vous vous qualifiez vous-même d’un peu « barjot »…
(rires). Grave ! Je suis barjot et barré ! Grâce à ça, je trouve l’énergie positive. C’est comme une folie douce, presque angélique. Moi, je veux raconter une histoire et des histoires j’en ai des tas dans la tête. Ma démarche un peu barjot met les gens à l’aise. Les gens ont tendance à m’écouter. Ils me croient aussi. Après, il y a de la technique. J’ai fait le Bocuse d’Or avec l’Italie, Marchesi, Gagnaire, Troisgros. Pour moi, cuisinier, j’ai deux heures pour faire oublier tous les soucis des gens. Je ne dis pas qu’après, ils n’auront plus de soucis mais au moins, pendant qu’ils déjeunent ou dinent dans mon restaurant, ils oublient tout. Vous connaissez le groupe des Doors. Jim Morrison a dit : « il y a le connu. Il y a l’inconnu. Et entre les deux, il y a la porte, c’est ça que je veux être. » Avec ma bande, mon équipe, je veux être la porte.
La porte. Un peu comme la rencontre avec celle qui est devenue votre épouse…
J’aime bien raconter cette histoire. C’était en octobre. Quand j’étais chez Troisgros, à Roanne, chef Michel me demande de préparer un risotto aux cèpes pour douze personnes. C’était un samedi soir. J’étais en discothèque, j’ai flashé sur une fille. Je dansais un peu comme John Travolta mais j’ai perdu de vue la fille. Je me suis dis tant pis. On a fait la fête jusqu’à 7h00 du matin et je suis parti au boulot après. Et au repas des copains de chef Michel, il y avait cette fille ! Je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Elle m’a dit « je suis amoureuse de toi ! ». C’est un peu Cendrillon en hiver.
Qu’avez-vous appris de vos passages chez Troisgros ?
A 13 ans, j’ai fait l’école hôtelière. A 17 ans, je suis parti chez Gualterio Marchesi, trois étoiles Michelin, un peu comme le Paul Bocuse italien. J’en ai gardé la technique, le professionnalisme. Après, j’ai continué avec le chef Paolo la Priore, avec qui j’ai participé comme commis au Bocuse d’Or 2001. C’est au Sirha, la même année, que j’ai connu les chefs Michel Troisgros et Pierre Gagnaire. Je suis venu en France pour apprendre la rigueur et la discipline car nous les Italiens, on est un peu fous. La France, je n’en suis plus jamais reparti.
Venir à Lyon, est aussi venir à la rencontre d’un plus grand public ?
Tout à fait. Soit je restais à Roanne, je continuais à faire mon truc et je tournais un peu autour du pot, soit j’évoluais. J’ai besoin, comme tout artiste, d’avoir un public un peu plus ouvert. Les Lyonnais sont très ouverts. Je suis folklorique, ça peut donner un petit quelque chose en plus. C’est en tous cas mon objectif de ce projet à Lyon.
Quel restaurant allez-vous créer ?
Je veux un restaurant très confidentiel, très intime. Il n’y aura que huit tables.
Quel est votre objectif, deux étoiles ?
Dire cela dans un journal, c’est un peu prétentieux. Je cherche à aller plus haut pour faire plaisir aux clients. Je cherche à m’épanouir. La plénitude, on peut dire ça ? Après, les récompenses, c’est pour notre ego à nous. 50Best, Michelin, on est jugé par des pros. Ces distinctions permettent de nous distinguer. Mon envie ce n’est pas tant d’avoir un jour deux étoiles que de voir mes clients s’amuser en mangeant ma cuisine.
Oser en cuisine, c’est ce qui vous fait avancer ?
Oui ! Oser c’est essayer. Prendre le risque. J’ai 38 ans, on y va, allez ! Aux Anges (le nom de son restaurant à Roanne, NdlR), c’était mon rêve à moi quand j’avais 15 ans. Aujourd’hui, c’est le rêve de toute ma famille, de ma femme et de mes enfants. Ça s’appellera Marco Vigano… ou Vigano, je ne sais pas encore. Nous serons installés dans le 6e arrondissement, je ne peux pas tout de suite vous dire où exactement. J’aimerai que le restaurant ouvre le 28 septembre, à 20h27 minutes et 54 secondes.
Le 28 septembre, à 20h27 minutes et 54 secondes, c’est une blague ?
(rires). Pas du tout ! C’est la nouvelle lune. Je crois beaucoup aux cycles. Pour un cuisinier engagé comme moi – j’ai eu ce petit don de cuisinier, je dois aider les autres, un peu comme le prêtre –, c’est important. Tu regardes la lune pour planter des plantes, pour ramasser le raisin. C’est une démarche intéressante. À la fin, la cuisine est un rituel : tu allumes le feu et tu prépares à manger.
Vous êtes un peu le Roberto Benigni de la cuisine, non ?
(rires). C’est marrant, tout le monde me dit ça. Je bouge beaucoup, je parle beaucoup. Je suis très enthousiaste. C’est magnifique notre métier : donner du plaisir ! Je suis très excité !