F&S : Vous revenez d’Asie, suite notamment à la sortie du guide Shanghai, et de la cérémonie annuelle du guide Singapour ; vous voici ce soir à Londres, pour la sortie 2020 du guide GBI. Notez-vous une différence dans l’approche du public anglais, par rapport au public asiatique ?
Gwendal Poullennec : Je répondrais d’un point de vue global : la qualité du public en général est en fort développement. Il y a de plus en plus d’établissements qui atteignent le niveau de l’étoile. Dans des destinations historiques comme la France et la Grande-Bretagne/Irlande, les nouveaux étoilés n’ont jamais été aussi nombreux que cette année. On constate qu’il y a des ouvertures, des jeunes équipes qui prennent le risque de se lancer, avec une vraie cohérence dans leur projet.
F&S : Quels changements éventuels relevez-vous entre la scène culinaire de Grande-Bretagne/Irlande 2019, et celle de 2020 ?
G.P. : Parmi les nouveaux étoilés, il n’y en a que quatre qui sont installés à Londres ; cela montre que la Grande-Bretagne/Irlande se développe, et qu’elle fait montre d’une grande dynamique territoriale. Londres continue de bouger bien-sûr ; mais le fait que ces nouveaux étoilés soient répartis partout en Grande-Bretagne/Irlande vient montrer qu’il se passe aussi des choses en dehors des grandes villes. Et puis, on voit que ces nouveaux chefs s’investissent vraiment dans leur terroir, qu’ils y investissent du temps, qu’ils y expérimentent ; ils présentent des démarches vraiment sincères, au plus proche du produit, avec une vraie vision et une approche durable. Il y a aussi un vrai sens à leur projet (familiaux, de couple, proches du terroir). On sent, parmi ceux qui ont passé le cap de la première étoile, un réel potentiel.
F&S : On l’a vu ce soir, l’émotion des nouveaux étoilés était très perceptible. Diriez-vous que ceux qui n’ont pas encore eu d’étoile se sentent plus encouragés par une première étoile, que ceux qui en reçoivent une seconde ?
G.P. : Non… Après, l’étoile n’est pas une fin en soi. D’ailleurs, la recommandation que le Michelin donne aux chefs, c’est : travailler pour vos clients, mettez-leur des étoiles dans les yeux, et parmi vos clients, il y aura des inspecteurs Michelin… Certes, l’étoile peut les aider à créer une émulation positive pour l’équipe ; mais la finalité de la cuisine, ça reste de satisfaire les clients. L’étoile n’a jamais été conçue comme une fin en soi. Ça fait partie de la dynamique, ça permet d’établir des points de comparaison ; mais ce n’est pas une fin en soi, c’est une recommandation à destination des clients. Ceci dit, il est certain que pour ceux qui ont reçu leur première étoile cette année, ça va être une vraie source d’encouragement, et une motivation supplémentaire ; ça va avoir un impact sur leur clientèle, ça va leur apporter une notoriété qui peut s’avérer décisive pour la suite, surtout dans des territoires un peu reculés. L’étoile leur donne une visibilité nationale. Je précise d’ailleurs que le Michelin applique les mêmes critères de jugement partout, avec la même équité pour tous ; il n’y a pas de quotas à respecter, ou autre ; tout le monde est évalué à la même enseigne.
F&S : Vous êtes revenu plusieurs fois sur le fait que les inspecteurs Michelin jugent tout le monde pareil, dans tous les pays où le Michelin existe ; et qu’une étoile à Paris a la même valeur qu’une étoile en Asie, aux États-Unis ou ailleurs. Est-ce à dire que vous craignez que certains doutent de cet état de fait ?
G.P. : Ce n’est pas ça ; si j’insiste sur ce point, c’est pour rappeler que tout chef a sa chance d’obtenir une étoile, puisqu’ils sont tous jugés à la même enseigne. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du Michelin : avoir des critères homogènes, qui sont perçus comme tels par les clients. Un trois étoiles en Chine vaut la même chose qu’un trois étoiles à Londres, par exemple ; c’est donc un point de repère pour nos clients chinois qui viennent en Angleterre, et inversement, pour nos clients anglais qui vont en Chine. De plus, le fait que ce jugement soit pareil partout est un réel élément de différenciation pour nous ; toutes les destinations dans lesquelles il y a des étoiles Michelin, sont des destinations où les clients ont conscience de la valeur de ces étoiles ; et qui vont rechercher ces éléments de repère et de confiance lors de leurs déplacements. L’étoile devient pour eux une sorte de benchmark universel.
F&S : Est-ce à dire pour autant que les destinations non couvertes par le guide Michelin ne le sont pas (encore) parce que le public présent sur place n’est pas assez conscient de ce que signifie l’étoile ?
G.P. : Non, car honnêtement, la notoriété du guide et le point de repère que constituent les étoiles dépassent largement les territoires dans lesquels le Michelin est implanté. Ceci dit, aujourd’hui il y a bien sûr beaucoup de destinations désormais gastronomiques, qui mériteraient que le guide s’intéresse à elles. Nous avons toujours des inspecteurs qui sont aux avant-gardes, et qui explorent ces différents marchés et destinations ; mais on lance nos destinations étape par étape, car nous ne faisons aucun compromis sur la qualité de nos sélections. Cela prend du temps ; dans les années qui viennent, il y aura bien sûr de nouvelles destinations qui seront couvertes par le guide. Chaque année depuis 15 ans, on lance plusieurs nouvelles sélections. La prochaine, ce sera Pékin en novembre. De fait, le développement international fait partie intégrante de l’ADN du guide Michelin ; pour rappel, 4 ans seulement après sa création, le Michelin lançait déjà son premier guide hors de France ; c’était en Belgique. Quant à des pays comme la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne, nous y sommes depuis plus d’un siècle…
Propos recueillis par Anastasia Chelini