Christophe Bacquié :  » Michelin reste un mythe, une philosophie, un graal… La troisième étoile, on tournait autour depuis deux trois ans. « 

 Le magazine LES ÉCHOS consacre un long reportage au chef trois étoiles Christophe Bacquié trois étoiles 2019 … découvrez le ci-dessous.

EXTRAITS – cliquez sur le LINK pour retrouver l’article en intégralité ….

FIN MARS, VOUS AVEZ SIGNÉ LE DINER PRIVÉ D’EMMANUEL MACRON ET XI JINPING, À BEAULIEU-SUR-MER. VOUS AVEZ POSÉ VOS CONDITIONS ?

Avant tout, c’est un grand honneur qu’on m’a fait. Ma seule « condition » était de faire ma cuisine mais c’est justement pour ça qu’on m’a appelé.

COMMENT DÉFINIRIEZ-VOUS VOTRE CUISINE  ?

Ah, question piège. Ce n’est jamais évident pour un chef de parler de sa cuisine ! Je dirais qu’elle est très typée méditerranéenne, avec une forte prononciation d’agrumes, une cuisine sincère autour de produits sains et naturels. Et avec une réelle volonté d’organiser autour de nous des mariages avec des producteurs locaux et régionaux. Chacun va découvrir le monde de l’autre. Ils viennent se rendre compte de notre métier, on va les voir pour comprendre le leur. C’est une relation de confiance, d’homme à homme.

SOUTENIR LES PRODUCTEURS, C’EST LE RÔLE D’UN CHEF 3* COMME VOUS ?

C’est celui de tous les chefs, étoilés ou pas, oui. Mais peut-être que le message passe plus facilement quand on a acquis une certaine notoriété. Hier un producteur de morilles, cultivées en pleine terre sous abri, est venu me voir. Je l’avais contacté il y a deux ans pour ses légumes, sans qu’il ne donne suite. Le fait qu’on soit mis en avant a dû jouer. Soutenir nos régions et les producteurs, c’est extrêmement important. Ce sont eux qui fournissent ces produits merveilleux que nous mettons ensuite dans les assiettes. Ils sont indispensables pour que nous retrouvions ces valeurs, ces gouts, ces produits qui avaient été perdus. Mais on est reparti de très loin.

VOS PRODUCTEURS FÉTICHES…

Pour justement marquer leur importance, j’en nomme un certain nombre sur ma carte comme la famille Pilato de Sanary-sur-Mer pour la pêche locale, Pascal Migliore pour les huitres de la lagune de Thau, les maraichers Jean Baptiste Alfonso, Bruno Cayron, Sébastien Coudray… Et bien d’autres. Je n’ai pas le même fournisseur, par exemple, pour les asperges blanches et vertes…

VOUS SUIVEZ LES SAISONS, BIEN SÛR…

C’est, la nature qui dicte le tempo et il va falloir s’adapter de plus en plus. Je fais hyper attention à la saisonnalité. En ce moment, il y a déjà les premières courgettes, c’est normal il a fait beau depuis fin janvier, mais on ne trouve pas encore de fèves et de petits pois. Donc, on s’en passe. L’an dernier il a plu très tôt, on a eu très tôt des cèpes et après, plus rien. A l’inverse, cette année, il ne pleut pas depuis des semaines. C’est comme ça, on doit faire avec. Je l’exprime dans mes menus. « Au fil des années » reprend les créations antérieures, qu’on fait évoluer. Mon tourteau-caviar, par exemple reste le même dans ses ingrédients mais est régulièrement bouleversé dans ses états. « Promenade en mer », comme son nom l’indique, c’est ce que veut bien nous donnee la mer un jour. C’est une suite de crustacés, de coquillages, de poissons qui varient selon les arrivages : denti, pagre, rouget… Et « au fil des saisons », est celui qui va le plus évoluer dans les produits et les garnitures.

C’EST UNE VRAIE GYMNASTIQUE POUR UN CHEF…

Pour une cuisine comme la mienne, très axée et production locale, oui. C’est pour cela qu’il est nécessaire de nouer des relations durables avec les producteurs. L’ADN du métier reste le produit, de sa plus grande simplicité à sa plus grande complexité.

EN QUOI LA TROISIÈME ÉTOILE A-T-ELLE CHANGÉ VOTRE VIE ?

Ca change tout, c’est tellement important que je ne peux pas vous dire autre chose. Le regard, l’attente des gens changent et en même temps vous rentrez dans un monde totalement différent. Ce sont à la fois une responsabilité et une libération. Quand on est, comme moi, dans une certaine recherche, qu’on veut passer un message, on peut avoir tendance à s’ancrer dans son système et à trop chercher à le maintenir. Quand on est reconnu, on s’ouvre. Par exemple, hier j’ai fait un poisson entier à des clients, je n’aurais pas osé avant. Prenez des chefs comme Arnaud Donckele ou Pascal Barbot qui ont été reconnus très tôt, ils se sont libérés plus vite. Et puis sans ces 3 étoiles nous ne serions peut-être pas là à parler ensemble  !

VOUS AVEZ MODIFIÉ VOTRE CUISINE POUR CELA ?

Michelin reste un mythe, une philosophie, un graal, même si le Gault & Millau (il a 19/20 et 5 Toques) , un très joli guide, revient sur le devant de la scène. La troisème étoile, on tournait autour depuis deux trois ans. Ma cuisine a bien sûr évolué, mais çela n’a pas consisté à fermer un livre pour en ouvrir un autre. Je pense que j’ai plus affirmé ma sensibilité dans les plats. J’ai plus affiné, marqué plus fort les gouts, été plus vif sur l’ensemble des assiettes et des produits mais sans trop les manipuler. J’ai été trop longtemps extrêmement technique, dans la démonstration, comme beaucoup. On veut paraitre, alors qu’il n’y en a pas besoin. Au contraire, il faut aller à l’essentiel, à l’épure, ne pas ajouter ce qui ne sert à rien. Si trois ou quatre lamelles de truffe suffisent, pourquoi en mettre dix ou vingt ? L’opulence ne sert à rien et peut même détruire ce qu’on a fait.

C’EST UNE VÉRITABLE QUÊTE…

C’est comprendre sa cuisine, son plat, ce qu’on est… En arrivant au Castellet ,j’ai d’abord reproduit scrupuleusement ce que je faisais en Corse. Ce n’était pas compliqué. Je venais de Calvi, la mer, le soleil, le maquis étaient quasiment les mêmes. J’ai fait du copier-coller. Ca a marché puisqu’on a eu rapidement 2*. Et ça nous a beaucoup aidé, c’est vrai et sans cela l’histoire n’aurait surement pas été la même. Mais ce n’était pas suffisant. La salle était hyper kitch, avec de la moquette, des rideaux rouges, des tables carrées, des nappes qui tombent, des chaises avec des accoudoirs. Je faisais une cuisine contemporaine dans un endroit moyenâgeux. Ca ne pouvait pas marcher. Même si l’expérience de l’assiette était bonne, l’expérience globale n’envoutait pas. On a refait les restaurants avec Yvann Pluskwa, un architecte exceptionnel, vec l’idée d’aller à l’épure, comme pour la carte, avec une succession de petits plats qui ne gavent pas.

ETRE MOF, C’EST AUSSI IMPORTANT ?

C’est très différent. Là c’est une quête très personnelle, un titre qu’on va chercher soi-même. Les étoiles, les guides, c’est du travail d’équipe.

VOUS AVEZ PARLÉ DE MESSAGE TOUT À L’HEURE…

C’est donner l’envie d’une cuisine saine, avec des produits de qualité et de grande fraicheur, celui de faire vivre une expérience qui commence dès l’entrée du restaurant, avec le couvert, les serviettes, des courbes sur la table, les plats, leur explication, des gestes de service, la desserte… Tout cela dans un dialogue cohérent avec l’épure de l’assiette. C’est une philosophie de travail.

PHILOSOPHIE QUE VOUS TRANSMETTEZ ?

Un chef ne peut pas ne transmettre que de la cuisine, des recettes… Il y a des bouquins pour ça. Mais, oui, transmettre une philosophie de travail. Par exemple, chaque semaine je demande aux cuisiniers de ma brigade, dont certains viennent parfois de loin, comme le Japon, de m’inventer un plat – l’un m’a fait un poireau-vinaigrette – qui pourrait coller à notre offre, notre philosophie de cuisine. C’est une façon d’apprendre, de transmettre. J’ai connu ça quand j’étais jeune cuisinier. C’est pour cela qu’il faut rester suffisamment longtemps dans une maison, pour s’en imprégner, absorber. Un jeune qui passe du temps chez Donckele, Renaut, Goujon, Bacquié et même chez des moins étoilés, se construit sa propre « bibliothèque ». Il refait d’abord ce qu’il a appris avant, un jour, de s’émanciper et de faire ce qu’il est.

QUI VOUS A TRANSMIS, À VOUS ?

Au début de ma carrière, j Raoul Gaïga au Méridien Montparnasse. J’en ai pris conscience récemment. Un homme d’un charisme et d’une gentillesse incroyables. Mais je suis parti trop tôt, justement. Je citerai aussi Louis Outhier et Stéphane Rimbault, à l’Oasis de Mandelieu, Gabriel Biscay, Pierre Gagnaire hyper moderne mais qui maitrise toutes les bases, Richard Coutanceau, Philippe Legendre, Emmanuel Renaut, le pâtissier Gilles Marchal et Yannick Alléno, qui m’a bien recadré quand je craquais en préparant le MOF… Et j’en oublie.

QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR L’ÉVOLUTION DE LA CUISINE FRANÇAISE ?

Il y a une grande modernité, beaucoup de choses ont changé ces quinze dernières années, notamment avec le développement des technologies, des médias sociaux, de la médiatisation. Mais je pense qu’avant tout il ne faut surtout pas oublier nos fondamentaux, sur lesquels repose la cuisine française. Sinon, dans 20 ans, elle est morte. Les bases, la philosophie ce sont les jus, les fonds, les sauces, les gestes précis, les produits… Bocuse, Blanc, Guérard, Haeberlin restent des piliers… Notre génération de quadra/quinqa a modernisé la cuisine et les plus jeunes la fracasse carrément. C’est bien, mais n’oublions pas d’où on vient, qui on est et où on va…

COMMENT GÉREZ-VOUS LA PRESSION ?

Certains services se passent bien, d’autres un peu moins et on ne sait pas toujours pourquoi, où est le petit grain de sable. Mais c’est une pression positive. J’adore le sport, je fais du vélo dès que je peux. Et la cuisine gastronomique c’est comme le sport de haut niveau. On s’entraine au quotidien pour jouer deux matchs par jour. Ce n’est ni difficile ni compliqué dès lors qu’on s’entraine.

UN RESTAURANT BIEN À VOUS, EN CORSE PAR EXEMPLE, VOUS ÊTESTENTÉ ?

On nous a donné l’opportunité avec Alexandra (son épouse, DG), de construire quelque chose, d’être toujours en mouvement et de démontrer, bien sûr en obtenant des résultats, que la voie choisie est la bonne. Ici je suis libre et heureux. Je peux exprimer mon identité culinaire, faire mon travail et apparemment il séduit. On a appelé la table Restaurant Christophe Bacquié non par ego mais parce les clients, déjà quand cela s’appelait le Monte Cristo, disaient « on va chez Bacquié ». Et il y a ici trois restaurants, le petit-déjeuner, le room service, l’autre hôtel, le Grand Prix à côté, et ses 117 chambres…Donc « mon » restaurant ce n’est absolument pas d’actualité ! Et si un jour on doit arrêter ce système avec Alexandra, ce sera pour dévier carrément, pourquoi pas vers une table d’hôte, poser sur la table une épaule d’agneau, une crème caramel en dessert, un tartare de poisson, des oursins, des oeufs brouillés…

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