Dans un courrier adressé à ses clients, à ses amis, à ses clientes-amis, Alain Dutournier confie avec quelque tristesse et vérité : « Passionnés du bel ouvrage et toujours en quête de qualité, nous avons traversé ces années avec les aléas de la presse et de cette fichue notoriété. Nous avons survécu aussi à certains « jugeurs » distributeurs de bons points, persuadés de faire la pluie et le beau temps, convaincus de leurs connaissances, parfois superficielles ou prétendues gastronomiques… Bien heureusement vous étiez là, chers clients et chers collaborateurs, pour nous encourager et nous soutenir grâce à votrefidélité à la culture du plaisir de la table… Il nous reste qu’à vous souhaiter un excellent appétit et de beaux moments de convivialité à partager autour d’un endive bouteille, en excellente compagnie ».
Ce Trou Gascon, Alain Dutournier l’a animé pendant 50 années avec passion, talent, excellence. Une adresse de savoir-faire et de savoir-être, honorée de 2 étoiles et 4 toques. Une enseigne historique dont le nom rimait avec hospitalité et convivialité, deux vertus que tous les Gascons de la terre partagent quand ils se retrouvent aux quatre coins du monde, avec grandes embrassades, chaleureuses tapes dans le dos, éclats de rire retentissants et partage de produits d’excellence de leurs terres nourricières. Les Gascons ne sont pas égoïstes ils partagent avec tous les épicuriens et tous ensemble se régalent de foie gras, champignons, de brouillages, truffe et belles quilles. A 75 ans, le chef est resté un élégant ambassadeur de la cuisine du Sud-Ouest. Il a porté partout dans le monde l’histoire de sa cuisine d’enfance, sa cuisine de toujours.
Cette cuisine dont il a appréhendé les saveurs et les goûts, les parfums et les textures dans le restaurant familial, une auberge au coeur des Landes, à Cagnotte. Très jeune, Alain est un amoureux éperdu de la cuisine. Il fera l’école hôtelière des Pyrénées de Toulouse avant de monter à Paris et voguer autour du monde. Il n’a que 24 ans, nous sommes en 1973, lorsqu’il décide d’ouvrir sa table, sa première adresse, Le Trou Gascon, rue Taine dans le 12ème.
Sa cuisine ? Celle du Sud-Ouest, pardi, celle qui raconte le Pays Basque, les Landes, les populaires Fêtes de Bayonne qui réunissent les festayres entrainés par les bandas autour du roi de la fête, sa majesté Léon et ne manquent pas courses de vaches, encierro, corrida, omelette aux piments… Cuisine généreuse, authentique, avec le goût en priorité, cuisine portée par un homme, un chef qui instaure le partage et la transmission, le respect et l’excellence. MIchelin ne s’y trompe pas et accorde rapidement une étoile.
Alain Dutournier voit plus loin que le Quartier latin, il ouvre en 1986 le Carré des Feuillants, à deux pas de la Place Vendôme. La cuisine du Sud-Ouest est toujours là mais plus moderne, mixée des cuisines d’ailleurs de ces ailleurs que le chef a découverts durant ses voyages au long court. L’adresse attire et séduit, elle décroche 2 étoiles Michelin, 4 Toques Gault&Millau et un Coup de Cœur Pudlo.
Le succès ne l’endort pas. Le chef a toujours un projet d’avance, des idées avant-gardistes plein la tête. En 2003, il déroule un nouveau concept inédit, Pinxo ou la simplicité bistronomique : pas d’entrée, de de plat, des assiettes à partager tout simplement pour installer la conviviale et la joie du repas, 3 mini portions dans chaque assiette à partager. 2016, le propriétaire des murs du restaurant, de récupérer ses locaux et l’aventure s’arrête.
En 2016, suite à une escapade amicale au Vietnam il ouvre dans l’historique Press Club de Hanoï : la Table du Chef et la Plume.
En 2019, son restaurant est rétrogradé. Alain Dutournier n’est pas homme à se taire, il dit les choses à haute voix, n’hésite pas à critiquer sévèrement le Guide MICHELIN en traitant les jeunes inspecteurs de « nouveaux ignorants ». « Le Cyrano des fourneaux » se comporte comme un authentique mousquetaire, avec panache, et n’a pas peur de ferrailler – avec des mots et de l’humour. De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et du bon sens. Celui qui se définit comme « cueilleur du goût vrai », crée, innove, bouscule, dépoussière, lutte comme l’uniformité du goût, privilégie l’imagination pour défendre la bonne chère. Il est aussi « cueilleur d’art », amateur éclairé d’art et de vin, il collectionne toiles, sculptures et belles bouteilles.
Aujourd’hui, le célèbre chef landais se retire sur la pointe des pieds, avec discrétion et élégance. Il gardait l’amertume et la tristesse de la fermeture de son célèbre restaurant gastronomique Le Carré des Feuillants, en 2021. Il avait pris la plume pour faire part avec mélancolie et simplicité de la fin de l’aventure :« Ainsi, sans possibilité de terrasse extérieure, nous vous accueillerons dès la rentrée dans notre enseigne historique du XIIe arrondissement : Au Trou gascon. Nous nous engageons à vous faire retrouver l’hospitalité avec le luxe des plaisirs simples mais bien maîtrisés par une équipe du renouveau ».
Alain Dutournier est vice-président, avec Alain Ducasse, du Collège culinaire de France, il défend en gentilhomme libre et indépendant, avec panache, les restaurateurs et les producteurs d’exception en France, en Belgique, au Japon et bientôt en Italie. Ce combat demeure celui de sa vie. « UN POUR TOUS, TOUS POUR UN »…
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Effectivement une bien longue carrière débutée en 1079 selon votre article... Il était temps de tourner la page.
1073… ouverture du Trou gascon.
J’y étais et pourtant je ne me sens pas si vieux
Cest qui, l'Alain "Tournier" dans le titre? L'image montre Alain Dutournier, un très grand chef