Gaggan Anand, chef iconique et provocateur, bouscule les codes de la haute gastronomie avec une approche radicale et inattendue de la restauration. À Gastromasa, il a partagé sa vision singulière du restaurant, devenue presque une performance artistique. Pour lui, l’essence même d’un repas doit reconnecter les convives à l’instant présent, loin des distractions numériques et de l’obsession pour l’apparence parfaite de chaque plat !
Une critique de l’ère des réseaux sociaux
Dès les premiers mots, Gaggan Anand se livre sans détour : « C’est ma plus grande fierté en tant que chef, que de voir les gens capturés par leur téléphone alors qu’ils devraient être captivés par leur assiette. » Dans une époque où les images “instagrammables” priment sur le goût, Gaggan Anand remet en question cette déconnexion entre l’acte de manger et le plaisir pur de la dégustation. Il déplore que les convives soient plus préoccupés par les photos de leurs plats que par le partage autour de la table.
Le théâtre culinaire : une immersion totale
Pour Gaggan Anand, un restaurant doit être plus qu’un simple lieu de consommation : il se veut être créateur d’émotions. Son établissement à Bangkok, limité à 14 places, ouvre quatre jours par semaine pour offrir ce qu’il appelle un « Opéra gastronomique » ou encore « Un Broadway culinaire, une expérience multisensorielle où la musique et la nourriture fusionnent » explique-t-il. Avec une succession d’actes et de changements de rythme, l’expérience culinaire devient un voyage en plusieurs tableaux, captivant les convives et les poussant à s’engager pleinement, loin des écrans.
Une philosophie anti-mobile et minimaliste
Gaggan Anand va même jusqu’à imposer des règles anti-téléphone : pas de flash, pas de photos prolongées. Il crée ce qu’il appelle un « menu anti-mobile » pour forcer ses clients à être présents. « Moins, c’est plus », affirme-t-il. En adoptant un minimalisme radical, chaque plat devient une expression de la simplicité où seules les saveurs authentiques comptent. Gaggan Anand critique l’usage excessif des fleurs comestibles et autres garnitures esthétiques fades, trop souvent ajoutées uniquement pour l’effet visuel. Chez lui, chaque élément a une raison d’être gustative avant d’être esthétique.
L’impact émotionnel : reconnecter avec l’essentiel
Gaggan Anand compare également l’expérience de son restaurant à celle d’un concert où la musique accompagne et amplifie chaque émotion ressentie. « Dans notre restaurant, chaque dîner devient une chanson, une mélodie qui se joue en commun » Il cherche à créer une atmosphère collective, presque méditative où chaque convive se laisse porter par les saveurs et les sensations le tout dans un espace préservé des tracas du quotidien. En entrant dans son restaurant, les clients sont donc invités à oublier leurs soucis, à laisser le monde extérieur de côté et à se laisser bercer par le rythme de chaque plat !
Un engagement pour l’authenticité et le plaisir de cuisiner
Pour Gaggan Anand, la cuisine n’est pas un moyen de séduire les critiques ou d’obtenir des étoiles ; elle est une expression personnelle, une façon de rester fidèle à ce qui le rend heureux. « N’essayez pas de cuisiner pour plaire, essayez de cuisiner pour être heureux » conseille-t-il aux jeunes chefs. Dans ce processus, Gaggan Anand revendique un retour aux sources, où le chef cuisine pour exprimer sa propre vision prend du plaisir, sans céder aux pressions extérieures.
L’ultime leçon de Gaggan Anand : reconnecter la gastronomie et l’humanité
En faisant de chaque dîner une œuvre artistique, une expérience immersive, Gaggan Anand redéfinit l’héritage gastronomique pour l’inscrire dans une vision de plus humaniste. Son restaurant devient un espace où le temps s’arrête, où chaque saveur se fait le miroir d’une émotion, où chaque geste culinaire est une invitation à retrouver la simplicité et l’authenticité. En cela, Gaggan Anand offre non seulement une nouvelle définition du luxe gastronomique, mais aussi un retour à l’essence de ce que signifie vraiment « manger ensemble ».
Propos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens dans le cadre du festival Gastromasa