La gastronomie, souvent perçue comme une simple extension de la culture d’un peuple, se révèle pourtant être un acteur économique majeur et un levier de diplomatie culturelle. Gökmen Sözen, président du groupe Sözen et fondateur de Gastromasa, a rappelé cela avec force lors de la cérémonie d’ouverture de la neuvième édition du festival international à Istanbul devenu un rendez-vous qui, au-delà des apparences, pose la question de l’identité gastronomique turque dans un monde où les cuisines nationales se transforment et se globalisent !
Gökmen Sözen n’a pas uniquement pour ambition de faire rayonner la gastronomie turque. Son discours laisse transparaître une stratégie globale où se mêlent enjeux économiques, culturels et géopolitiques. Pour lui, la gastronomie turque n’est pas simplement un héritage culinaire, c’est une ressource stratégique, un moyen de « construire des ponts entre la Turquie et le reste du monde ».
Un modèle de soft power économique et diplomatique
La vision de Gökmen Sözen repose sur un constat lucide : dans une économie mondialisée où l’attention est de plus en plus fragmentée, la Turquie cherche à imposer sa cuisine comme un outil d’influence culturelle. Gökmen Sözen défend ainsi une idée clé : « protéger la culture, c’est aussi préserver l’économie ».
Cette stratégie de soft power ne se limite pas aux recettes traditionnelles. Elle passe par l’institutionnalisation d’événements gastronomiques internationaux comme Gastromasa où des chefs de renommée mondiale sont invités à Istanbul pour participer à des tables rondes et à des démonstration. En diversifiant ses influences tout en valorisant les terroirs turcs, Gökmen Sözen pose les bases d’une « gastrodiplomatie » proactive.
Un projet ancré dans l’économie nationale
La gastronomie turque, loin d’être un simple produit d’exportation, se déploie également comme un pilier de l’économie locale. Selon les chiffres présentés lors de la conférence, l’industrie gastronomique turque représente aujourd’hui une part non négligeable du PIB, avec plus de 23 milliards de dollars générés chaque année, et ce chiffre pourrait grimper significativement. En comparant la Turquie à Dubaï, Gökmen Sozen souligne les marges de progression : « Le tourisme turc pourrait générer jusqu’à 100 milliards de dollars si le panier moyen par visiteur atteignait les niveaux de Dubaï ».
Pour Gökmen Sozen, l’enjeu économique est double. D’une part, faire de la Turquie une destination gastronomique incontournable afin de capter un public international prêt à dépenser davantage pour des expériences culinaires authentiques. D’autre part, développer une infrastructure interne robuste pour soutenir la croissance de ce secteur, notamment en renforçant la formation et l’éducation culinaire locale. C’est un appel à l’investissement qu’il lance, en direction tant du secteur privé que des institutions publiques.
Préserver le patrimoine culturel dans un monde globalisé
Mais la vision de Gökmen Sozen ne s’arrête pas à des objectifs purement économiques. Derrière ses paroles se dessine une réflexion profonde sur l’identité culturelle turque et son avenir. La globalisation, si elle apporte des opportunités, est aussi une menace pour les patrimoines locaux, souvent fragilisés par la standardisation des goûts et la pression des géants de l’agroalimentaire. « Protéger les gens, c’est protéger leur culture, et c’est seulement ainsi que l’on peut préserver le monde », affirme-t-il.
Pour répondre à ce défi, Gökmen Sozen propose une revalorisation des produits locaux et des savoir-faire traditionnels. Le concept de gastrodiplomatie prend ici toute sa dimension : ce n’est pas seulement de la cuisine turque qu’il s’agit, mais de la mise en avant d’un terroir, d’un mode de vie et d’une vision du monde. Dans un pays où la géographie est perçue comme un destin, la gastronomie devient un moyen de réaffirmer un « droit au goût », au-delà des simples considérations de marché.
Vers une gastronomie durable et symbiotique
Enfin, Gökmen Sozen appelle de ses vœux une gastronomie respectueuse de l’environnement, en réponse aux crises écologiques et économiques contemporaines. « Aujourd’hui, l’hospitalité se doit d’être verte», déclare-t-il en guise de conclusion. Il prône un modèle de consommation qui, loin de la voracité capitaliste, s’inscrit dans une logique de symbiose entre les acteurs : producteurs, restaurateurs, et consommateurs.
En somme, ce que Gökmen Sözen propose est un modèle de gastronomie engagé, où chaque plat devient l’expression d’une culture, d’une économie et d’une responsabilité partagée envers les générations futures. En cela, la gastronomie turque n’est plus seulement un vecteur de plaisir ou de profit, mais la métaphore d’un monde à construire !
Propos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens dans le cadre du festival Gastromasa