Lors du Sirha Food Forum, Pierre Gagnaire, monument de la gastronomie française, a livré un échange sincère et profond sur son parcours, son rapport au métier et son regard sur l’évolution de la haute cuisine. À 75 ans, l’homme aux trois étoiles continue d’innover avec la même intensité, refusant de céder à la nostalgie ou à la facilité. Il évoque l’importance de la transmission, l’évolution du métier de chef et la nécessité de se réinventer constamment pour durer dans un monde où tout va plus vite.
Une vie en cuisine : entre intuition et rigueur – Pierre Gagnaire ne s’est jamais vu comme un technicien de la cuisine. Son approche repose avant tout sur l’instinct, l’émotion et une quête permanente de sens. « Je n’ai pas appris ce métier de la bonne manière, mais peut-être que c’est ce qui m’a sauvé! « . Il raconte comment, à ses débuts, il a dû s’extraire d’une formation rigide et répétitive pour trouver son propre langage culinaire.
Cette liberté de ton ne signifie pas un rejet des fondamentaux, mais plutôt une manière de questionner en permanence les évidences. Il se remémore les années où la nouvelle cuisine a bousculé les dogmes en apportant de la légèreté et de la créativité. « Avant, la cuisine était triste. Des plats figés, sans intelligence. La révolution menée par Bocuse, Guérard et Chapel a changé la donne!« .
Malgré son immense carrière, Pierre Gagnaire ne vit pas dans le passé. Il observe son propre travail évoluer sans cesse, sans calcul. « Je ne cherche pas à faire différent pour faire différent. J’avance, c’est tout. » Cette humilité face à la création est une constante chez lui : un cuisinier en éveil permanent, refusant toute zone de confort.
Durer dans un monde qui va trop vite – Dans un secteur où tout s’accélère, la question de la longévité devient centrale. Pierre Gagnaire, qui a surmonté une faillite avant de rebondir à Paris, sait à quel point durer est la seule véritable mesure du succès. « Faire un coup, ça ne m’intéresse pas. Ce qui compte, c’est d’être encore là, avec une équipe solide et une cuisine qui a du sens !« .
Il observe que la nouvelle génération de chefs monte en flèche plus rapidement qu’avant, portée par les réseaux sociaux et l’engouement médiatique. Si cela permet d’attirer un public plus jeune, il met en garde contre l’éphémère et la surmédiatisation. « Les vrais talents resteront, comme toujours. Mais il faut comprendre que la seule vérité dans ce métier, c’est le temps ! ».
Ce regard porté sur le temps s’applique aussi aux clients. Il constate une transformation du public, avec des gastronomes plus curieux et ouverts à d’autres influences. « Aujourd’hui, un habitué de trois étoiles peut autant apprécier un kebab ou un repas de street food. L’offre est démultipliée, et c’est tant mieux! ». Ce qui n’a pas changé selon lui ? L’émotion que doit procurer un repas.
Créer et transmettre : l’héritage d’un chef – Si Pierre Gagnaire est toujours en cuisine, ce n’est pas pour protéger un héritage figé, mais pour le faire vivre. À la tête de plusieurs restaurants en France et à l’international, il voit ses équipes comme des prolongements de son travail, mais aussi comme des individus capables de s’émanciper. « Je ne leur impose pas une bible Gagnaire. Je leur donne des intentions, et ils les interprètent à leur manière. C’est là que la transmission prend tout son sens.«
Il évoque avec fierté certains de ses anciens collaborateurs qui ont tracé leur propre chemin, obtenant des étoiles et imposant leur signature. Pour lui, la cuisine est une chaîne humaine, où chaque génération construit sur les épaules de la précédente. C’est aussi pourquoi il insiste sur l’importance du management bienveillant, loin de l’autoritarisme d’antan. « On ne peut pas humilier les gens en cuisine. On doit les aider à trouver leur place !«
Cette approche humaniste du métier dépasse la simple gastronomie. Il voit dans son rôle un moyen de créer du lien, d’accompagner des parcours et de donner du sens au travail en brigade. « La cuisine, ce n’est pas la guerre. C’est un moyen d’expression, un langage de partage ! ».
Conclusion : un chef en mouvement, toujours tourné vers demain – Après plus de 60 ans en cuisine, Pierre Gagnaire continue d’avancer avec la même intensité, sans nostalgie ni lassitude. Il n’a jamais cherché à figer un style, préférant vivre dans l’instant et laisser son travail évoluer naturellement.
Dans un monde où tout va plus vite, il rappelle que le seul vrai défi est de durer, tout en restant fidèle à son identité. Et si on lui demande pourquoi il continue, sa réponse est limpide : « Parce que j’aime ça. Tout simplement!«