Alors découvrons ensemble ce Caïus tout frais. La salle s’est éclairée de rouge et de cuivre. La lumière y est plus chaude, plus claire qu’avant.
L’utilisation plus rationnelle de l’espace entraîne un gain de place. Une table d’hôtes a été aménagée côté rue, à l’emplacement de l’ancienne entrée.
Cette étagère à cylindres de cuivre est un hommage aux ronds de serviette des bistrots et auberges de jadis. Souvenir de Caïus, le grand-père, aubergiste à Saint-Omer ?
Le mur donnant sur la cour, jusqu’alors aveugle, a été percé pour laisser entrer le jour.
Les nappes blanches se sont envolées, on mange à même le cuir et on boit de l’eau dans la céramique.
Et la cuisine ? C’est toujours du Caïus. Vous ne croyiez tout de même pas que cela aussi avait changé ? Ce serait mal connaître Jean-Marc. Imagination en mouvement perpétuel, questionnement intérieur caractérisent ce chef en marche sur la piste des arômes, celle qui serpente dans la montagne entre plantes, arbres et fruits, et ne comporte pas de destination finale. C’est le voyage qui compte. C’est entretenir une safranière au Maroc, c’est recevoir quarante kilos de vanille demi-séchée de Madagascar ; c’est partir dans des conversations sans fin sur les poivres, les cannelles, les mérites particuliers du carvi d’Autriche (mélangé à une pâte à pain : « Sens ça ! Mets le nez dessus ! ») ; c’est avoir trouvé la pierre philosophale du bouillon d’endives ; c’est s’extasier sur des feuilles de câprier au vinaigre ; mais c’est aussi s’emparer d’un bon vieux chocolat et de belles framboises pour confectionner un dessert des familles insolent d’élégance. Et c’est respecter le ris de veau, jouer en finesse sur une sauce au café, mettre double dose de girolles en saison. C’est savoir épicer et ne pas épicer. C’est Jean-Marc.
Bouillon de volaille chaud, céleri-rave, moelle de bœuf. Chaque fois que Jean-Marc me sert un bouillon, le même souvenir me revient toujours. Dans les années 80, je séjournais à Budapest chez une amie en plein hiver. Il faisait très froid et nous avions parcouru les collines autour de Buda pendant toute la matinée dans la neige et la glace. Frigorifiées et affamées, nous avions fini par nous réfugier dans une grande vieille auberge tout en bois sombre et en fenêtres à petits carreaux. Le patron avait échangé quelques mots avec mon amie avant de disparaître dans la cuisine et de revenir avec deux grandes chopes fumantes. C’était un consommé de veau très concentré, aux petits pois, épaissi aux œufs entiers, si bon et si réconfortant que je ne l’ai jamais oublié. Et Jean-Marc me le rappelle régulièrement.
Chou-fleur grillé, purée de chou-fleur, câpres, feuilles de câprier au vinaigre. Sous la main du cuisinier, le chou-fleur et la câpre deviennent plus qu’eux-mêmes. Ça s’appelle la cuisine et c’est tout sauf de l’assemblage : c’est la mise en jeu d’affinités.
C’est un peu le même principe qui est joué ici, mais tout en douceur : aubergine rôtie, aneth, sauce au café arabica.
Jean-Marc fait très bien le gâteau de foies blonds de volaille. Et heureusement, il en fait souvent.
Ce magnifique ris de veau était, comme dit plus haut, respecté. Le respect témoigné aux produits est un degré supérieur de la cuisine. Le nicher dans un gros paquet de girolles est un degré supérieur de l’hospitalité.
Les desserts de Caïus portent la marque confortable, douillette, épicée, caramélisée du Nord. Peu d’entre eux la portent aussi bien que ces pommes caramélisées à la cassonade servies avec une quenelle de mascarpone fouetté.
La surprise de la fin : tarte tiède tout chocolat-framboises. Si votre enfant intérieur ne se réveille pas dans les profondeurs de votre être quand cette chose arrive sur la table, c’est qu’il y est enfoui trop profondément.
Caïus reste en marge du buzz médiatique, des guides, des macarons, de la food hype, du tralala. Mais Caïus est tout le temps plein. Souvent, quand je l’évoque, certains foodies à la page s’exclament : « C’est où ? Connais pas. » Eh bien oui : vous ne connaissez pas, et c’est bien là votre drame. Si vous étiez des bons vivants au lieu d’être des foodies, il y a longtemps que vous seriez au parfum. Maintenant, vous n’avez plus d’excuse, car l’adresse est juste en dessous.
Caïus – 6, rue d’Armaillé, Paris XVIIe. Tél. : 01 42 27 19 20. Ouvert du lundi au vendredi. Fermé samedi et dimanche.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud