Pour Ryoko Sekiguchi  » la cuisine du japon est une cuisine de réconfort, la cuisine française une cuisine de performance « 

 LesInrocks ont consacré un article à Ryoko Sekiguchi, l’écrivain japonaise partage sans cesse le goût des mots et de la cuisine – Poétesse japonaise, traductrice de romans et de mangas et fine cuisinière elle est venue au français par les livres de recettes. « C’est mon attirance pour la cuisine et les vins d’ici qui m’ont permis d’acquérir cette langue ».

 D’un mot elle évoque avec justesse un ingrédient, d’une phrase elle sublime un plat et au-delà de ce talent d’écriture, elle réalise des performances qui allient cultures culinaires japonaise et française. 

Retrouvez ci-dessous son portrait  LesInrocks :

Ryoko Sekiguchi est traductrice, poétesse et auteure. Originaire de Tokyo, cette amoureuse de cuisine se consacre dans ses écrits à la gastronomie. Après « Fade » ou « L’Astringent », elle vient de publier « Nagori », son dernier livre pensé à l’ombre des orangers de la Villa Médicis.

« Nagori, c’est le coucher de soleil que vous contemplez le dernier jour de vos vacances d’été ». C’est par une image que Ryoko Sekiguchi résume son dernier livre. Il faut dire qu’il n’existe pas de traduction française pour ce terme tout droit venu du pays du Soleil-Levant. Dans Nagori, l’écrivaine évoque le passage des saisons sous le prisme de la mélancolie. L’occasion pour ce palais affûté de décrire les goûts et les émotions qu’ils nous procurent avec un enthousiasme non-dissimulé. Pour expliquer sa démarche, la Japonaise n’hésite pas à tourner en dérision les lubies culinaires de son pays d’adoption : « Les dernières tomates en France, ça relève du traumatisme ».Le « nagori », c’est donc cela, une tomate dont on sait en la dégustant qu’elle est la dernière de la saison.

Pour notre rencontre, Ryoko Sekiguchi a choisi un café bruyant et sans charme situé à proximité du Centre Pompidou. « C’est un peu mon deuxième bureau » explique-t-elle. Arrivée avec une dizaine de minutes de retard, elle s’empresse de commander un double expresso, comme pour trouver l’énergie de poursuivre une journée de course contre le temps.

Ryoko Sekiguchi avec Pierre Gagnaire

Une enfance entre cuisine et imprimerie

Si Ryoko écrit en français avec une aisance incontestable, c’est à Tokyo qu’elle a vu le jour. La jeune femme grandit au cœur du quartier animé de l’Hôtel de ville, entre les boutiques d’imprimeurs et l’école de cuisine de sa mère. « Le livre n’a jamais été quelque chose d’abstrait pour moi, il a toujours eu un corps matériel » affirme-t-elle. Elle évoque des souvenirs imprégnés de l’odeur de l’encre et des pages fraîchement imprimées. Ces dernières ne suffisent toutefois pas à résumer le paysage olfactif de sa jeunesse. Son enfance est également faite des odeurs venues de l’atelier de sa mère, où de jeunes japonaises en âge de se marier perfectionnent leurs talents. Ryoko arbore un sourire contrit pour ajouter : « Cela se faisait encore au Japon dans les années 80 ».

Très tôt, la jeune femme rêve d’apprendre le français, pour pouvoir enfin dévorer la littérature culinaire du pays. L’une de ses premières références n’est autre que le Grand Dictionnaire de Cuisine d’Alexandre Dumas. « J’essayais d’imaginer ce que ces goûts pouvaient donner », des goûts encore méconnus, à l’exotisme abstrait.

Villa Médicis : la dolce vita ?

En 2016, la Villa Medicis la choisit pour passer un an à Rome. Pour son entretien de sélection, Ryoko Sekiguchi parle de pots de confiture et de momies. « J’ai comparé leur mode de conservation à celui du jambon ibérique devant dix personnes »s’amuse-t-elle. Lorsqu’on lui demande s’il a été difficile de voir cette expérience se terminer, elle renverse la tête en arrière et prend une grande inspiration : « C’était l’une des meilleures années de ma vie ». On l’avait prévenue que le retour serait difficile. Elle a quand même été remuée. Les yeux brillants, elle qui était si rieuse quelques instants auparavant s’accoude à la table et pose le menton dans le creux de sa paume. « Je peux comparer cette expérience au travail du jardinier, on sème des choses, même si on ne sait pas tout de suite ce que cela va donner ». Pas moins de trois livres naîtront de cette expérience. Le dernier, encore en cours d’écriture, prendra la forme d’un portrait de Beyrouth à travers la cuisine des locaux, les histoires que l’on raconte. Avec 321 plats dégustés en un mois passé sur place, on ne doute pas que la documentation de Ryoko a été effectuée sérieusement.

Cuisine française, cuisine japonaise

La manière de concevoir le temps du repas diffère radicalement du Japon à la France. Ryoko voit dans la cuisine française une énergie débordante. « Quand on va dans un restaurant étoilé en France, il ne faut pas être une petite nature. Je me demande si à 80 ans j’aurais encore l’énergie de faire ça ». Dans le pays natal de l’écrivaine, on ne recherche pas le souvenir d’un plat en particulier, mais un moment global. La cuisine japonaise serait une cuisine de réconfort et non de performance.

Préparer des plats et écrire des livres semblent être deux activités bien différentes au premier abord. Pourtant, la jeune femme souligne qu’elle a besoin d’avoir un pied dans le monde de la cuisine pour continuer à écrire, être pleinement consciente. A ses yeux, écrire et cuisiner est finalement très compatible. « Faire la cuisine, manger, c’est un des rares actes où l’on utilise nos cinq sens ». Un bruit de cuisson, un goût, une odeur et nous voilà transporté dans la cuisine de Ryoko. « Finalement c’est le moment où on est le plus ouvert au monde »

 

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