Il est revenu pour nous sur la posture culinaire qu’il a donné aux lieux, sur sa carte du soleil, à mi-chemin entre Provence et Italie, et sur l’importance de la satisfaction client. Il a également évoqué son bonheur de créer des émotions-souvenirs culinaires pour ses hôtes. Le tout, autour d’un millefeuille très gourmand, à la noisette et mascarpone. Un entretien à découvrir ci-dessous.
F&S : Tout d’abord, félicitations pour cette seconde place au classement du Conde Nast Traveler 2019.
Christophe Gavot : Merci… Les récompenses comme ça, ça nous fait plaisir. Elles viennent nous rappeler qu’on travaille dans une belle maison, et que notre attention permanente au détail, ainsi que tous nos efforts quotidiens, ne sont pas faits en vain. Cette deuxième place, ça nous montre ce que le client perçoit de notre travail. Et c’est ça l’essentiel : que le client soit content. Une assiette peut être la plus jolie du monde ; si elle n’a pas d’identité culinaire, et que son goût ne laisse pas un souvenir au client, alors on a raté notre mission. Il ne faut pas perdre de vue que derrière une assiette, il y a un client. Vous savez, le métier de chef est dur physiquement ; on est debout tous les jours depuis trente ans, devant un piano très chaud ; on a mal aux jambes, on travaille pendant les fêtes, on ne voit pas notre famille le soir, et parfois certains clients sont difficiles. Ce qui rend notre métier agréable, c’est lorsqu’un client se souvient d’un plat mangé chez nous il y a trois ans ; ou qu’il nous dit qu’il est content car il a passé un beau moment. Voilà notre satisfaction : c’est celle du client.
F&S : À la Villa Gallici, la cuisine se veut-t-elle intemporelle, conformément à l’esprit du lieu ?
C.G. : Oui. Ici, on reste en dehors des modes ; on demeure fidèles à notre ADN, qui consiste à travailler le produit pour le produit ; les appellations à la carte disent vraiment ce que l’on va manger ; et les plats présentent les goûts annoncés. C’est d’ailleurs conforme à la culture gastronomique française, qui montre ce qu’on va manger, et qui prône des valeurs sûres. Et on s’est aperçu que c’est ce que nos clients attendent.
F&S : Quelles sont les caractéristiques de votre offre culinaire ?
C.G. : La Villa Gallici étant implantée à Aix-en-Provence, cela suppose un esprit de détente, y compris au niveau culinaire. Du coup, on sert aussi bien du foie gras que de la pizza, de la langouste grillée (plat préféré de nos habitués) que de la salade niçoise. Et bien sûr, on s’adapte facilement aux demandes de nos hôtes. Autre caractéristique propre à la Villa Gallici, c’est qu’il s’agit d’une maison ; à ce titre, nos clients prennent leurs repas dans une salle à manger (et non dans un restaurant), qui devient un salon de thé l’après-midi, et une salle à manger à l’heure du dîner. Pour pouvoir préserver ce côté maison cher à notre clientèle, nous avons un nombre de couverts volontairement restreint, qui se limite à 32 (pour 23 chambres). Ainsi, si l’on ouvre volontiers la table aux clients extérieurs pour le déjeuner, nous la réservons essentiellement aux clients de l’hôtel pour le dîner. De la sorte, ceux-ci sont assurés de toujours pouvoir dîner sur place. Et pour faire plaisir à nos hôtes, on instaure de petits rituels quotidiens qui vont contribuer à les faire se sentir chez eux. Par exemple, le thé est offert chaque après-midi aux clients, et s’accompagne de la tarte du jour.
F&S : Quelle est l’évolution culinaire majeure que vous avez instaurée ?
C.G. : Quand je suis arrivé ici, il n’y avait pas de réelle tradition gastronomique. Il y avait un service restauration, à destination des clients de l’hôtel ; mais pas de table en tant que telle. Avec le temps, nous avons développé une vraie identité gastronomique, avec des cartes construites autour de la Provence et de l’Italie. Ce faisant, nous travaillons les produits de ces deux pays. Ce qui donne des plats comme les ravioles façon Vitello Tonnato, un plat familial que nous revisitons en lui ajoutant une farce. Enfin, nous proposons des cartes gastronomiques le midi et le soir.
F&S : Côté clients, les demandes culinaires ont-t-elles évoluées ?
C.G. : Oui, on est passé du blanc au noir et du noir au blanc ! D’autant que notre clientèle est très éduquée culinairement parlant. Dans l’ensemble, je dirais que les choses ont évolué sur trois points centraux : tout d’abord, les gens mangent moins qu’avant. Parmi nos clients extérieurs qui viennent pour déjeuner, beaucoup ne commandent qu’une entrée et un plat, ou un plat et un dessert. Niveau boissons, même chose, les quantités se réduisent ; ils prennent un verre de vin, deux maximum. Ce sont des gens qui doivent repartir travailler ensuite, et qui ne veulent pas trop manger, sous peine d’être moins efficaces l’après-midi. Autre changement notoire au fil des ans, les demandes liées à la cuisine sans gluten, végétarienne et vegan. Il y a beaucoup de demandes aussi concernant les intolérances alimentaires et les allergies. C’est une tendance qui croît de plus en plus, et à laquelle on s’adapte, bien sûr. En troisième point, je dirais que les gens sont de plus en plus attentifs à manger locavore (un terme auquel je préfère celui de régional, d’ailleurs). Voilà les trois grandes évolutions observées. Pour notre part, on respecte les saisons le plus possible, c’est-à-dire à 90%. Ceci dit, la Villa Gallici se voulant une maison, il nous arrive de faire une salade de tomates au client américain qui nous la réclame, même si les tomates ne sont plus en saison.
F&S : Puisqu’on parle produits, où vous fournissez-vous ?
C.G. : Nos producteurs sont de la région. Je travaille avec la boucherie du Palais depuis 16 ans (notre agneau de Sisteron vient de chez eux) ; notre poisson vient de Métro, et est issu à 90% de la Méditerranée ; les fromages, beurres et yaourts nous viennent de chez Josiane Déal, une MOF Fromager installée au pied du mont Ventou ; et nos légumes sont locaux. Lorsqu’on utilise des produits d’ailleurs, comme le foie gras par exemple, ils nous viennent de maisons qui travaillent avec nous depuis des années, et avec lesquelles nous avons établi un vrai rapport de confiance. Au total, nous avons une dizaine de fournisseurs, auxquels nous sommes fidèles.
F&S : Les étoiles sont-elles pour vous un objectif ?
C.G. : On ne fait pas la course aux étoiles. En revanche, on fait du mieux qu’on peut pour nos clients, en utilisant les meilleurs produits possibles. Et on suit les préconisations de nos hôtes ; pas celles des guides. Nos clients sont contents de trouver ici cet esprit maison ; alors on garde les choses ainsi, dans cet esprit boudoir qu’ils affectionnent. Le restaurant fonctionne très bien, l’hôtel a un gros taux d’occupation toute l’année ; on n’a pas besoin d’un macaron pour amener la clientèle. Donc, on ne va pas travestir l’esprit du lieu pour obtenir une étoile, et transformer nos salons en restaurant conforme aux critères du guide. D’autant qu’ici, l’étoile, c’est la Villa elle-même. Et puis, les gens viennent pour le lieu, pour sa cuisine ; pas d’abord pour moi personnellement, ou pour les récompenses. Ceci dit, bien sûr que si on obtenait une étoile, on serait ravi. Mais on le serait dans le sens où une étoile contribuerait à faire connaître davantage encore la maison. J’ajouterais que le fait de ne pas avoir d’étoile ne veut pas dire que la qualité n’est pas là…
F&S : Au-delà de l’étoile, donc, que visez-vous du point de vue culinaire ?
C.G. : Ce que je souhaite surtout, c’est de créer pour mes clients une émotion dont ils se rappelleront. Notre plus grande récompense, c’est quand les gens reviennent, et qu’ils me disent qu’ils se souviennent du plat qu’ils ont mangé ici. Beaucoup de gens, finalement, fonctionnent avec des souvenirs culinaires ; leurs souvenirs sont liés à un repas. Je suis comme ça moi-même. Par exemple, je me souviens très bien du déjeuner de mes trente ans ; ma femme et moi sommes allés chez Alain Ducasse à Monaco ; j’ai pris un risotto aux girolles, puis de l’agneau. Le tout s’est accompagné d’un Armagnac Laberdolive de 1900. Vous voyez, le souvenir est intact. C’est ce que l’on tente de faire ici : créer une expérience et une émotion pour nos clients. Parmi ces derniers, nous en avons qui reviennent chaque été depuis 15 ans, et qui se rappellent très bien de ce qu’ils ont mangé l’année précédente. C’est bien, car cela nous oblige à nous triturer l’esprit pour leur servir des plats qui vont les surprendre. Car au fond, si on va dans un gastronomique, c’est bien pour cela : pour cette émotion/souvenir.
F&S : La région bouge beaucoup niveau gastronomie ; le constatez-vous au quotidien ?
C.G. : Tout à fait. À l’époque, il n’y avait que quelques chefs à Aix-en-Provence et dans ses environs ; il y avait Jean-Marc Banzo et son Clos de la Violette, et René Bergès au Relais Sainte Victoire à Beaurecueil. En quinze ans, la région s’est vraiment développée au niveau des macarons. Aujourd’hui, on a bien sûr Gérald Passedat, Alexandre Mazzia, Christophe Bacquié, Lionel Lévy… L’arrivée du TGV a sans doute joué aussi dans ce développement culinaire, car il amène avec lui une clientèle exigeante. Les vins se sont également développés, et sont désormais reconnus. Même chose pour nos produits locaux, maintenant considérés comme nobles ; l’huile d’olive, l’agneau de Sisteron, les élevages de porc dans le Ventou, le cabillaud, tous ont acquis leurs lettres de noblesse. Pareil pour les plats familiaux provençaux, comme la bouillabaisse (autrefois considérée comme le plat du pauvre), la ratatouille, la bohémienne du Lubéron…
F&S : Quelle suite souhaitez-vous à la Villa Gallici ?
C.G. : Qu’elle continue. Dans la lancée qui est la sienne, loin des diktats et des modes. Ici, nous sommes libres ; nous avons la possibilité de changer un plat sur la carte en deux jours, sans avoir à obtenir de multiples validations de personnes différentes pour entériner le moindre changement. Si un plat ne marche pas, on peut le changer aussitôt. C’est très bien.
F&S : Après seize ans passées ici, avez-vous (parfois) des envies d’ailleurs ?
C.G. : Partir d’ici ? Non. Pour aller où ? Et puis, peut-on vraiment travailler ailleurs après ça ?