Michel Guérard  » J’ai voulu être curé, comédien, médecin. En étant chef, j’ai réuni les deux derniers « 

 Le JDD a consacré deux pages ce week-end au chef Michel Guérard installé dans les landes à Eugénie-Les-Bains, à 86 ans le chef garde toujours la même énergie, celle qu’il avait déjà dans les années 1970 où il était devenu le maître de la cuisine minceur …

Retrouvez l’article ci-dessous :

Michel Guérard –  » Il faut apprendre aux enfants à Bien manger « 

Toujours impeccable dans sa veste blanche de chef, Michel Guérard est présent à chaque service, ou presque, dans la cuisine des Prés d’Eugénie*. Dans ce petit paradis au parc majestueux d’Eugénie-les-Bains, dans les Landes, le chef de 86 ans maîtrise aussi bien l’hôtellerie haut de gamme et la remise en forme que la gourmandise avec son restaurant triplement étoilé depuis quarante-deux ans. On y déguste ses grands classiques, toujours épatants, comme l’œuf de poule au caviar à la coque ou « l’opulente pintade de Chalosse ».

Lire aussi – Pierre Hermé : « Travailler le dimanche me paraît normal »

Cofondateur du mouvement de la « nouvelle cuisine » dans les années 1970, il est aussi le père d’une « ­cuisine minceur » savoureuse qui s’est exportée dans le monde entier et fait la joie des curistes d’Eugénie, avec des menus aussi plaisants pour les sens que pour le tour de taille (salade piémontaise de poulpe, pigeonneau aux pommes de terre et tarte aux fraises à 585 calories). Le jour de notre rencontre dans son éden landais, il ne cache pas sa joie de recevoir et régaler un groupe de chefs en vue (Juan Arbelaez, Julien Duboué, Yves Camdeborde, Bruno Doucet), venus entre amis goûter la cuisine et boire les mots de cette icône du métier. Estimant que l’âge a libéré sa parole, il a décidé de s’engager pour faire reconnaître l’importance de l’alimentation santé par les pouvoirs publics.

Il y a quarante ans, avec la cuisine minceur, étiez-vous trop en avance?
Mes amis chefs étaient moins curieux que moi sur le sujet, c’est vrai. Paul Bocuse disait : « Si vous allez chez Guérard, n’oubliez pas votre ordonnance! »

 

Ces dirigeants se conduisaient en gentlemen. Aujourd’hui, les grandes surfaces affichent 30.000 produits, souvent de qualité médiocre. Si les industriels étaient intelligents, ils prendraient les devants. Ils ne perdraient pas d’argent à proposer une meilleure alimentation.

La qualité dépend aussi des schémas choisis pour notre agriculture…
Pourquoi on ne peut pas arrêter le glyphosate? Dans ma jeunesse à la campagne, on passait la charrue pour retourner la terre, point final. Ce marché est entretenu par des hommes fainéants et sans état d’âme. Je n’ai pas l’habitude de désespérer, mais je me dis qu’il faudra encore un siècle avant qu’on réagisse.

Votre confrère Olivier Roellinger s’insurge contre l’interdiction des graines potagères anciennes non inscrites au Catalogue officiel, car cela peut conduire à leur disparition…
Il a raison, c’est un scandale, une manipulation des grands vendeurs de graines pour garder le monopole des semences autorisées. Mais si je veux manger ma bonne tomate de variété ancienne, je la mangerai. On nous impose des diktats intolérables. Bientôt, nous interdira-t-on de cuisiner de la viande du Charolais pour privilégier celle du Limousin? C’est n’importe quoi! J’ai appelé Olivier Roellinger et le président des Relais & Châteaux, et nous avons décidé de nous octroyer le droit de planter ces graines interdites chez nous et dans tout le réseau des Relais, qui s’étend aussi à l’étranger. Nous devons mener cette bataille pour ne pas laisser mourir ces espèces. Nous allons entraîner tout le monde, lancer la croisade de la liberté d’expression du cuisinier. Je ne sais pas ce que nous risquons, mais je m’en moque.

En quoi la guerre a-t-elle influencé votre parcours?
On a failli mourir, on a eu peur, on a eu faim. Nous étions en Normandie, mon père était à la guerre. Avec mon frère, on lavait les tripes dans la rivière [ses parents étaient bouchers et éleveurs] et on creusait des abris de fortune lors des bombardements. Deux fois par mois, la nuit, nous abattions une vache en douce pour nourrir les gens du village. Un jour, on nous a dénoncés. Nous nous sommes retrouvés, maman, mon frère et moi, contre le mur de la cuisine avec des SS, le doigt sur la détente, pour nous faire avouer. Après ça, on relativise tout… Ça a participé à ma crise mystique : j’ai voulu être curé, puis comédien, et médecin. En devenant chef, j’ai réuni les deux derniers, car la cuisine est une scène de théâtre et elle est vitale pour la santé.

Etes-vous nostalgique de l’époque où vous bousculiez les codes avec la nouvelle cuisine?
C’était une époque merveilleuse, genre Bateau-Lavoir pour les peintres. J’habitais la péniche d’un sculpteur. Je travaillais comme chef pâtissier dans les paillettes du Lido, où je faisais des pièces montées en sucre. Le directeur me poussait à être inventif pour impressionner la clientèle : 

 

Publication connexe