Escapade à Versailles pour un repas d’anthologie

Elle était restée un temps sous les radars, passée de mode peut-être, cette table pourtant marquée du sceau de Gordon Ramsay et qui n’a jamais perdu ni les faveurs ni l’étoile du Guide Rouge. Elle renaît aujourd’hui sous la houlette d’un des jeunes chefs les plus prometteurs d’Ile-de-France. Et ça tombe bien, car elle n’est située qu’à 30 minutes de Paris.

Retenez ce nom : Gabriele Ravasio

C’est à 11 ans, lors de cours donnés l’après-midi par son école, que Gabriele Ravasio découvre la cuisine. Dès lors, il sait qu’il en fera sa carrière. Dès ses 14 ans, il travaille l’été à Nembro, puis apprendra 5 ans durant auprès de chefs siciliens et napolitains une cuisine qu’il qualifie de simple : maîtriser les bases pour maîtriser la grande cuisine. Tout s’enchaîne ensuite, lorsqu’il quitte son Italie natale et se rend à Londres à tout juste 21 ans, pour s’exprimer chez le meilleur italien de la capitale : Babbo. Il rejoint son premier étoilé l’année suivante, en 2011 en travaillant chez Nobu : « ça changeait du petit restaurant du coin de 40 couverts », confie-t-il en précisant le plaisir qu’il avait de travailler dans la rigueur japonaise. Aujourd’hui, son art rend compte de ses voyages, notamment en Amérique Latine où il s’est intéressé à la nature, aux fruits, aux herbes et où il s’est ouvert à de nouvelles techniques.

Il rejoint en juillet 2014 le Trianon Palace à Versailles, sous le chef Simone Zanoni, puis sous Gordon Ramsay. Le chef Gabriele Ravasio exprime son plaisir dans la cuisine : « C’est la passion, l’envie de se dépasser, et de donner du plaisir au client ».

La relation avec Gordon Ramsay

Cuisinant pour le chef britannique Gordon Ramsay, Gabriele Ravasio semble surtout travailler avec lui : il est libre de façonner le restaurant comme il l’entend, des assiettes à l’ambiance en passant par les menus : « Si la qualité est là et que les clients sont contents, Gordon Ramsay est content ». Gabriele échange également beaucoup avec Matt Abé, le chef patron du trois étoiles du restaurant Gordon Ramsay, avec qui il partage recettes et conseils. Pour l’anecdote, Gabriele Ravasio révèle : « Vous savez, nous les chefs, quand on parle cuisine, on arrive à imaginer les plats grâce aux éléments que l’on pose dans l’assiette. J’imagine déjà les goûts bien avant la réalisation », ce qui confirme bien son talent.

Homard bleu, saint jacques et caviar, barbue, chevreuil et dessert

Dès les intitulés des plats, le cerveau entre en ébullition. L’énumération des denrées les plus nobles, issues de la terre et de la mer voisines – en jetant un coup d’œil par-delà la baie vitrée, on croit dîner dans un hôtel de Normandie en pleine campagne – fait immédiatement saliver. Homard breton, Saint-Jacques et caviar, barbue et chevreuil Wellington : le premier menu – en 5 services, 169 € – se montre diablement appétissant. On pense alors que si la partition n’est pas parfaitement exécutée, on risque de passer un long moment à table. Mais dès la première entrée, le ton est donné. Le tronçon de queue de homard affiche un rouge profond et une brillance qui ne trompent pas : cuisson et textures parfaites. L’assiette, graphique, en met d’emblée plein les yeux : 3 pétales d’oignons garnis de crèmes orange (marmelade de tomates cerises) et verte (coulis de basilic) dans le fond le tout dans une bisque de homard, fleurs colorées et feuille de basilic sur le dessus, l’ensemble en jette ! A la dégustation, c’est l’extase. Les saveurs coraillées du crustacée explosent, la complexité du plat s’exprime à travers 3 sauces différentes et les fleurs de fenouil jaune et le basilic ne sont ni posés là au hasard ni juste pour la déco. On prend la mer en plein palais, on se fait surprendre par une grande marée. Il en ira de même à chaque service, grâce à des cuissons toujours millimétrées offrant des textures parfaites et des compositions jouissives et équilibrées, portant la marque d’un très grand repas.

Technicité, précision, innovation et réflexion

Dans la cuisine de Gabriele Ravasio, rien ne semble laissé au hasard. Tout est réfléchi et anticipé dans le cadre d’une organisation sans faille. Pour ne citer qu’un exemple de son œuvre, il fait baigner ses viandes et poissons dans une saumure d’eau pétillante, dont le CO2 viendra modifier le pH de la pièce pour le faire avoisiner le neutre, rendant la protéine plus digeste et limiter son altération lors de la cuisson. Cette technique de préparation permet également au produit de se gorger de la quantité juste de sel et d’eau, évitant ainsi son assèchement et rendant tout assaisonnement inutile. Une fois ce procédé effectué, Gabriele place ce produit sous vide – accompagné de quatre huiles infusées : au thym, à l’ail, au romarin et au poivre noir – et lance sa cuisson pour 7 minutes. Cette méthode de préparation, associée à la fraîcheur de ses ingrédients, garantit une expérience grandiose.

De même, la cuisson de son dos de chevreuil à la Wellington mérite d’être saluée. La pièce de viande est d’abord juste saisie afin d’en conserver le jus et d’éviter à la viande de stresser et de surcuire, avant d’être plongée dans une eau glacée. Enrobée ensuite dans une pâte feuilletée, elle cuit 10 minutes dans un four sec, conservant tous les parfums et offrant un résultat fondant extraordinaire, et une légèreté et une finesse valorisées à son apogée. C’est bien simple, de mémoire de gastrolâtre, on ne se souvient pas avoir dégusté meilleur chevreuil.

Ce travail est donc effectué dans le respect de ses ingrédients, mais aussi de son client. « J’aime bien que ce soit facile à digérer, l’expérience est terminée le jour d’après et pas juste le soir ».

Et ces fils rouges, dans tout ça ?

« C’est ce qui donne toute l’identité aux plats et aux menus », nous révèle le chef à propos de ces fils rouges. Ce sont les notes et arômes que l’on retrouve ici et là au cours d’un même repas. Les parfums utilisés et récurrents proviennent de la saisonnalité, qu’ils soient sucrés ou salés. Romarin, thym, yuzu, fenouil… des ingrédients que le chef travaille sous toutes leurs formes (en poudre, séché, frais, cuit) pour générer l’identité de ses œuvres culinaires : « Ce ne sont pas les stars principales du plat, mais cela donne une liaison d’une séquence à l’autre. »

Un des plus beaux plateaux de fromage d’Ile-de-France et des desserts au top

Pas pour la quantité des choix mais pour la qualité des affinages. On a rarement eu autant envie de manger du fromage alors qu’on n’avait déjà plus faim. Jamais un reblochon ne s’est présenté si coulant et affiné, le cœur bien jaune, la crème qui veut s’échapper, la croûte bien sèche. Et que dire de ce Comté 54 mois d’âge, coupé en fines lamelles à la manière des brebis pyrénéens, escorté d’un pain aux figues ou nature de chez Frédéric Lalos (MOF boulangerie à Sèvres avec ses excellents pains gastronomiques). Le secret vient peut-être du fournisseur : la fromagerie Boujon à Thonon-les-Bains, dans laquelle même les Monts d’Or sont estampillés Michelin ! Du grand art et l’énième temps fort du repas, sur lequel on doit nécessairement s’attarder.

Quant aux desserts, ils sont signés Eddy Benghanem. Le millefeuille réinterprété du menu du jour s’avère totalement enthousiasmant, avec ses strates aériennes de pâte feuilletée, la gourmandise du caramel et de la crème pâtissière. Il viendra clore en beauté un joli festival.

Par Emmanuel Laveran et Pauline Perrin-Bécquart

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