Il était le plus proche collaborateur du chef Robuchon. De passage à Monaco, Eric Bouchenoire a affiché la volonté du groupe de continuer l’œuvre du cuisinier disparu il y a neuf mois.
C’est un homme de l’ombre. Le chef Éric Bouchenoire a été pendant trente-cinq ans le plus proche collaborateur de Joël Robuchon. Son homme de confiance dans ce métier. Dans le sillage du cuisinier le plus étoilé au monde, il a parcouru le monde entier.
« Nous étions en voyage six mois de l’année, j’étais toujours présent dans les meilleurs moments comme dans les pires », raconte-t-il, accompagnant l’infatigable chef dans ses établissements d’Asie et d’Amérique du Nord.
Un cheminement qui s’est achevé le 6 août 2018, lorsque Joël Robuchon s’éteint à Genève, emporté par un cancer. « Il ne s’est jamais arrêté, jusqu’à l’inauguration de sa dernière adresse à Paris, Dassaï, en mai 2018. Il était présent jusqu’à ce que la maladie l’en empêche. Ce métier c’était sa vie, sa passion, son plaisir ».
Depuis, Éric Bouchenoire continue la route. Et vient de faire une halte en Principauté, où il a retrouvé le chef des cuisines de l’hôtel Métropole, Christophe Cussac, autre fidèle parmi les fidèles de Joël Robuchon.
« NOUS SOMMES UNE MÉMOIRE VIVANTE »
Ces gardiens du temple, frères d’armes marqués à l’ADN Robuchon, entendent faire vivre l’esprit gastronomique de leur maître. « Nous sommes là pour perpétuer ce qu’il nous a appris, nous sommes une mémoire vivante », précise Christophe Cussac.
« La cuisine de Monsieur Robuchon est une cuisine très méthodique, que l’on peut transmettre. Même s’il est irremplaçable, nous allons être les passeurs pour les futures générations », poursuit Éric Bouchenoire, pour qui les plats emblématiques : la purée, la gelée de caviar et les raviolis de langoustines sont des classiques.
Neuf mois après la disparition de l’emblématique chef, ses restaurants continuent à tourner. « Nous sommes aujourd’hui une grande famille gastronomique qui gère les restaurants à travers le monde. Et j’assure la partie technique, en faisant des passages dans tous les établissements régulièrement, comme je le faisais avec Monsieur Robuchon. À chaque fois nous passions une semaine dans l’établissement pour faire des ajustements et penser les plats selon les saisons ».
Et les projets se poursuivent. Les restaurants de Rabat au Maroc et Miami aux États-Unis ouvriront à l’automne. Celui de Genève en Suisse, au printemps 2020.
« Nous continuons de nous investir pour faire de la qualité, honorer et faire perdurer le nom et la marque Joël Robuchon. Il y a une motivation nouvelle des équipes à travers le monde, une communication, une solidarité qui s’est faite depuis le départ de Monsieur Robuchon, qui est très forte », détaille Éric Bouchenoire.
« J’AI APPRIS DE LUI À NE JAMAIS RENONCER »
Dans son discours d’hommage au chef en août dernier, il l’avait promis dans ses mots, lui disant: reposez en paix, on est là. « J’ai appris de lui à ne jamais renoncer », souffle-t-il.
De son vivant, Joël Robuchon avait cédé une partie de ses activités, à l’exception de celles en France et au Japon, à un groupe d’investisseurs anglo-saxons réunis désormais dans une société dénommée « JRI », pour Joël Robuchon International. C’est ce groupe aujourd’hui qui préside la destinée des établissements du chef dans le monde.
« Leur idée est de continuer, le but est de multiplier les adresses à travers le monde ». Peut-être en Inde, où un projet ne s’est pas concrétisé ces dernières années alors que le chef appréciait les épices et les mets végétariens de la cuisine indienne.
En parallèle, Sophie Robuchon a annoncé il y a quelques jours sa volonté de réaliser le projet de son père: la création d’un institut culinaire à Montmorillon, dans sa Vienne natale.
Le champ lexical de la famille est omniprésent quand les chefs de l’univers Robuchon parlent de leur mentor. C’est ce sens du collectif qu’il leur a laissé en héritage.
« Quand on entre dans un restaurant du groupe, chaque personne qui travaille sait qu’elle peut avoir une évolution, un tremplin pour progresser et prendre du grade dans les équipes », assure Christophe Cussac.
À chaque ouverture d’un restaurant dans le monde, Joël Robuchon choisissait d’ailleurs de mettre à sa tête un chef formé dans ses équipes de longue date, aguerri à sa doctrine culinaire. Exemple à Taipei, le chef Olivier Jean, formé des années à l’hôtel Métropole, a ouvert et dirigé l’établissement cinq ans. Il revient aujourd’hui en Europe pour l’ouverture de l’Atelier, en 2020, à Genève.
« IL NE MONTRAIT PAS LA SOLUTION »
« On n’apprend pas la cuisine de Joël Robuchon en six mois de stage », sourit Christophe Cussac.
« C’est une cuisine qui demande de la rigueur, de la passion, un bon choix de produit, l’amour du travail bien fait. Et surtout de respecter le produit.“Travaillez la pomme de terre comme le caviar”, disait toujours Monsieur Robuchon », renchérit Éric Bouchenoire, qui loue « la fidélité et l’esprit de compagnonnage » que le chef Robuchon leur a légué. « En cuisine, il nous laissait travailler avec nos idées pour les plats, mais il avait toujours des ajustements à faire, qui étaient justifiés à chaque fois », continue-t-il.
Christophe Cussac, lui, parle d’un coach hors du commun. « Il avait le génie du travail, toujours le bon conseil pour sublimer un plat. Sa particularité est qu’il ne montrait pas la solution. C’était à nous de trouver comment faire. Quand on se retrouve seul comme chef, c’est un bagage essentiel. Je me souviens toujours qu’il disait : “Faire simple, c’est compliqué”. »
DANS LES COULISSES DE « BON APPÉTIT, BIEN SÛR »
Plus proche collaborateur de Joël Robuchon, Éric Bouchenoire était aussi à ses côtés au début des années 2000 quand le chef le plus étoilé au monde se lance dans une épopée médiatique avec son émission quotidienne « Bon appétit, bien sûr », devenue culte sur France 3.
« Il a donné le goût à des personnes à faire de la cuisine, je croise souvent des gens qui me le disent. Car ces émissions, ce n’était pas du cinéma. C’était pédagogique et on apprenait beaucoup, une vraie leçon de cuisine« , commente Éric Bouchenoire.
En coulisses, c’était lui qui, entre deux prises, préparait les plats et surveillait les cuissons pour que, face caméra, le plat apparaisse parfait.
« On tournait quatre à cinq recettes en quatre heures. Du coup, il fallait tout superviser hors caméras, pour pouvoir enchaîner les plats ». Et assurer la fameuse ellipse dans l’émission où on voyait un plat entrer au four et ressortir à point la séquence suivante.
« C’était de la télévision, mais le plat devait être bon », se souvient Christophe Cussac, qui a partagé l’antenne avec le chef à l’occasion de plusieurs émissions. « Quand on disait “Coupez !”, l’équipe venait goûter le plat et parfois Monsieur Robuchon râlait car ce n’était pas bien cuit ou mal assaisonné. Il fallait que ce soit nickel. La perfection, c’était son credo ».