« La gastronomie est à un tournant », affirme-t-il. La quête de reconnaissance internationale, portée par des classements comme le 50 Best Restaurants ou les guides Michelin, a permis de valoriser des cuisines locales longtemps marginalisées. Cependant, cette visibilité a un coût : celui d’une standardisation rampante et de concessions faites à un public globalisé. À travers un discours mêlant lucidité et optimisme, Gualtiero Spotti propose une réflexion sur les défis de la gastronomie contemporaine : préserver l’authenticité, réinventer les expériences culinaires, et défendre une diversité menacée par les exigences d’un marché mondialisé !
Une carrière guidée par la curiosité et la profondeur culturelle
Gualtiero Spotti incarne une génération de journalistes gastronomiques pour qui l’exploration et l’apprentissage sont des piliers essentiels du métier. Dès ses débuts à Milan, il s’est rendu compte que rester cantonné à une seule région ou à un seul type de cuisine limitait sa compréhension de la gastronomie mondiale. « Voyager, découvrir, aller au-delà de votre zone de confort, c’est fondamental si vous voulez réellement comprendre la nourriture et son rôle culturel »,affirme-t-il. Ce besoin d’évasion, il l’a cultivé dès les premières années de sa carrière, s’aventurant en France, en Scandinavie ou encore en Asie pour découvrir des cuisines à la fois ancrées dans leur terroir et en pleine évolution !
Pour Gualtiero Spotti, chaque voyage est une immersion, un moyen de s’imprégner des spécificités culturelles d’une région. « Comprendre la gastronomie, c’est comprendre l’histoire, les traditions et les pratiques agricoles qui façonnent une cuisine », explique-t-il. Il se remémore ses séjours dans des temples gastronomiques comme ceux de Ferran Adrià en Espagne ou Alain Chapel en France, où il a appris à reconnaître l’équilibre entre innovation et authenticité. Ses expériences dans des régions moins couvertes par les médias gastronomiques, comme l’Allemagne ou la Thaïlande, lui ont également permis d’explorer des scènes émergentes et de documenter des cuisines souvent méconnues !
Cette approche critique s’accompagne d’une dénonciation de l’attitude superficielle de la nouvelle génération de journalistes gastronomiques souvent attirées uniquement par les restaurants étoilés et les classements prestigieux ! « Les jeunes veulent aller dans des trois étoiles Michelin ou des restaurants de la liste 50 Best, mais ignorent l’histoire des pionniers comme Pierre Gagnaire ou les Troisgros » regrette-t-il. Pour Gualtiero Spotti, cette tendance à valoriser le prestige au détriment de la connaissance approfondie appauvrit le discours gastronomique et nuit à la diversité des perspectives dans le métier !
Enfin, il insiste sur l’importance d’un « background culturel » solide, une base essentielle pour distinguer les modes passagères des véritables révolutions culinaires ! Selon lui, un journaliste doit pouvoir replacer chaque plat, chaque technique et chaque chef dans un contexte plus large. « Sans cette profondeur, on réduit la gastronomie à un spectacle, une expérience sans âme », conclut-il. Cette quête de sens, qui anime Gualtiero Spotti depuis plus de deux décennies, illustre son engagement à défendre une vision de la gastronomie qui dépasse les simples frontières du goût pour embrasser des valeurs culturelles, humaines et durables.
Le piège des classements et la dictature des agences de relations publiques
Gualtiero Spotti aborde avec finesse un sujet sensible dans l’univers de la gastronomie : l’impact des classements internationaux et le rôle central des agences de relations publiques dans leur fonctionnement. Sans adopter une posture ouvertement hostile, il propose une critique mesurée, mettant en lumière les forces et les faiblesses d’un système qui, bien qu’imparfait, joue un rôle structurant dans l’écosystème culinaire mondial.
Pour Gualtiero Spotti, les classements comme le 50 Best Restaurants, The Best Chefs ou Le Guide Michelin offrent une visibilité cruciale aux chefs et aux établissements qui y figurent. « Ces listes permettent de mettre en avant des talents et des cuisines régionales parfois méconnues du grand public », reconnaît-il. Il cite des exemples comme Virgilio Martínez au Pérou ou Gaggan Anand en Thaïlande, dont la notoriété internationale a été en partie construite grâce à ces plateformes. En valorisant des approches innovantes et des produits locaux, ces classements jouent un rôle dans la diversification des récits culinaires et encouragent l’émergence de nouveaux modèles !
Cependant, cette reconnaissance a un prix. « Intégrer ces classements demande souvent des investissements importants en relations publiques, des invitations ciblées et parfois même des événements sur-mesure pour séduire les journalistes et les votants ! » explique Gualtiero Spotti. Il ne critique pas directement les agences de relations publiques, qu’il qualifie de « rouages nécessaires dans un système compétitif », mais il pointe les déséquilibres qu’elles peuvent engendrer. Les restaurants disposant de budgets conséquents peuvent ainsi bénéficier d’une visibilité accrue, au détriment d’établissements plus modestes mais tout aussi talentueux. Cette logique peut créer, selon lui, une « hiérarchie artificielle », où l’excellence culinaire n’est pas toujours le critère déterminant.
Gualtiero Spotti nuance toutefois cette critique en rappelant que les agences et les guides ne sont pas seuls responsables de cette dynamique. « Le public, influencé par les réseaux sociaux et les tendances, joue également un rôle dans cette course à la reconnaissance », note-t-il. Les attentes des clients, souvent façonnées par les images et récits véhiculés en ligne, incitent les chefs à se conformer aux standards dictés par les classements, parfois au détriment de leur authenticité. Il observe néanmoins une prise de conscience croissante de certains acteurs, qui cherchent à privilégier des approches plus sincères et moins calibrées.
Enfin, il invite à une réflexion collective sur l’évolution de ces classements et leur rôle dans l’écosystème culinaire. « Plutôt que de condamner ces outils, nous devons les repenser pour qu’ils valorisent davantage la diversité et l’authenticité, tout en soutenant les initiatives locales », conclut-il. Par cette critique nuancée, Gualtiero Spotti ne rejette pas le système en bloc mais appelle à un équilibre entre visibilité médiatique, excellence culinaire et respect des identités régionales. Une vision constructive qui ouvre la voie à une gastronomie plus juste et inclusive.
La dérive des expériences culinaires : entre spectacle et authenticité perdue
Gualtiero Spotti s’engage avec prudence sur un autre terrain délicat : l’évolution des attentes du public vis-à-vis des expériences culinaires. À travers une analyse toujours encore nuancée, il met en lumière les transformations positives et les excès liés à cette quête de mise en scène. Pour lui, l’évolution des restaurants vers des formats plus immersifs et spectaculaires reflète un changement de paradigme dans la gastronomie.
« Aujourd’hui, beaucoup de clients recherchent plus qu’un repas : ils veulent une histoire, une expérience sensorielle complète », constate Gualtiero Spotti. Il reconnaît que cette tendance a permis à des chefs comme Gaggan Anand ou Rasmus Munk (Alchemist) de réinventer la relation entre le cuisinier et le convive, en intégrant des dimensions artistiques, narratives ou même philosophiques à leurs menus. « Ces approches offrent une profondeur nouvelle à la gastronomie et permettent de toucher les convives au-delà du simple plaisir gustatif », souligne-t-il. Selon lui, cet aspect immersif, lorsqu’il est bien exécuté, enrichit l’expérience culinaire et invite le public à se connecter autrement avec la cuisine.
Cependant, cette montée en puissance de l’expérience spectaculaire comporte des risques. Gualtiero Spotti met en garde contre les excès où la mise en scène peut occulter l’essentiel : la qualité des plats. « Le danger, c’est de tomber dans le piège de l’effet pour l’effet, où l’assiette devient un accessoire secondaire », note-t-il. Il cite l’exemple d’expériences ultra-médiatisées qui, malgré leur popularité, ne tiennent pas toujours leurs promesses sur le plan culinaire. Pour lui, l’équilibre entre innovation et authenticité est fondamental. « Les grands restaurants qui marquent les esprits sont ceux qui savent conjuguer créativité et sincérité », précise-t-il.
Enfin, il s’inquiète des conséquences de cette évolution sur les équipes de salle et de cuisine. « Dans ce modèle où le chef devient la figure centrale, les autres membres du personnel sont souvent relégués au second plan », observe-t-il. Cette concentration de l’attention sur le chef-star peut créer des tensions internes et réduire l’importance accordée à des aspects essentiels comme le service ou le travail en cuisine. Spotti appelle ainsi à une reconnaissance collective des équipes, en rappelant que « la gastronomie est avant tout un effort collaboratif ».
Pour conclure, Gualtiero Spotti prône un retour à un équilibre entre innovation, sincérité et simplicité. « Une expérience culinaire mémorable ne doit pas nécessairement être spectaculaire, mais elle doit être honnête et profondément ancrée dans l’identité du chef et de son équipe », affirme-t-il. Loin de rejeter la quête d’expériences immersives, il encourage une approche mesurée qui respecte l’authenticité de la cuisine tout en répondant aux attentes d’un public en quête de nouveauté. Une réflexion qui ouvre la voie à une gastronomie moderne, mais toujours fidèle à ses racines.
La gastronomie mondiale : entre diversité et standardisation
Gualtiero Spotti aborde avec subtilité la tension entre l’explosion de la diversité culinaire mondiale et les effets parfois uniformisants de la globalisation. S’appuyant sur son expérience de globe-trotteur, il décrypte cette dualité où les cuisines locales gagnent en visibilité mais risquent de perdre leur essence. Son analyse, équilibrée et nuancée, met en lumière les opportunités et les dangers qui accompagnent cette transformation.
« Aujourd’hui, des cuisines autrefois méconnues, comme celles du Pérou ou de la Thaïlande, accèdent à une reconnaissance mondiale grâce aux chefs qui les mettent en lumière », souligne Gualtiero Spotti. Il applaudit les efforts de figures comme Virgilio Martínez, qui valorise les produits locaux et les traditions dans un contexte de mondialisation culinaire. « Ces chefs, en s’appuyant sur leur terroir, parviennent à préserver une identité forte tout en répondant à une audience internationale », ajoute-t-il. Ce mouvement, selon lui, est un levier essentiel pour renforcer la diversité culturelle et culinaire dans un paysage souvent dominé par des cuisines européennes ou nord-américaines.
Cependant, cette ouverture globale a un revers : la tendance à la standardisation imposée par les attentes des classements et des guides. « Les chefs qui veulent entrer dans le jeu des grands classements doivent souvent ajuster leurs menus pour répondre à des critères spécifiques », déplore-t-il. Cette adaptation, bien qu’efficace pour atteindre une audience internationale, peut parfois vider les cuisines de cette authenticité. Gualtiero Spotti cite des exemples de restaurants à l’étranger qui reproduisent des plats emblématiques – comme le ceviche ou les currys – sans capturer la profondeur culturelle et les techniques traditionnelles qui leur donnent leur vraie saveur. « La globalisation peut uniformiser les cuisines si l’on ne prend pas soin de respecter leurs origines », prévient-il.
Enfin, il souligne l’importance de l’expérience locale pour comprendre réellement une culture culinaire. « Manger un ceviche à Londres ou un sushi à Milan ne vous donnera jamais l’essence du Pérou ou du Japon », insiste-t-il. Il regrette que la gastronomie mondialisée pousse parfois les chefs à simplifier leurs plats pour séduire des publics éloignés de leur culture d’origine. Pourtant, il reconnaît que cette simplification est parfois nécessaire pour survivre dans un marché dominé par les grandes métropoles et les attentes internationales. « C’est une tension constante : préserver ses racines tout en s’adaptant à une scène culinaire globale », observe-t-il.
Pour Gualtiero Spotti, la gastronomie mondiale doit se réinventer autour de trois valeurs fondamentales : authenticité, diversité et sincérité. Si les classements et les agences de relations publiques jouent un rôle structurant dans le paysage culinaire, il appelle à une gestion plus équilibrée et transparente de ces outils, afin de soutenir les cuisines locales sans les uniformiser. De même, il encourage les chefs à embrasser leur identité culturelle tout en explorant de nouvelles formes de créativité, à condition que celles-ci restent enracinées dans une vérité culinaire.
Enfin, Gualtiero Spotti souligne l’importance de recentrer la gastronomie sur ses fondamentaux : nourrir, émouvoir, et rassembler. Dans un monde où les effets spectaculaires et les mises en scène extrêmes menacent parfois l’essence même de l’expérience culinaire, il plaide pour un retour à des valeurs durables, respectueuses des cultures et des terroirs. « La gastronomie est plus qu’un spectacle ; elle est un art humain et universel, capable de connecter les individus au-delà des frontières », conclut-il. Un appel vibrant à une gastronomie plus juste, sincère et fidèle à ses origines, mais toujours ouverte sur le monde.
Propos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens dans le cadre du festival Gastromasa