Une vocation née entre tradition et observation
“Quand nous avons ouvert Pujol en 2000, l’idée était simple : montrer que la cuisine mexicaine pouvait atteindre les mêmes sommets que n’importe quelle autre gastronomie.” Enrique Olvera raconte avec passion ses débuts marqués par une double influence : l’héritage culinaire mexicain et sa formation aux États-Unis, où il découvre le mouvement néo-américain de chefs comme Thomas Keller. Cette dualité alimente son ambition : élever les saveurs de son pays tout en les intégrant dans une expérience contemporaine. “Au départ, nous utilisions beaucoup de techniques modernes pour revisiter les plats traditionnels. Mais avec le temps, nous sommes revenus à quelque chose de plus brut, plus direct, comme le grill ou le charbon.”
Ce retour aux sources n’est pas un rejet de l’innovation, mais une recherche de sens. Pour Enrique Olvera, il ne s’agissait pas d’imiter, mais de sublimer : “Utiliser des techniques modernes, oui, mais uniquement si elles servent les ingrédients, pas si elles les éloignent de leur essence !” Ce voyage entre passé et présent caractérise toute sa démarche, nourrie par une observation attentive de l’évolution de la cuisine mexicaine au fil des ans.
Créer, réinterpréter, préserver : l’équilibre délicat de la créativité
“Chaque restaurant a son propre ADN, mais tous partagent une philosophie commune : mettre en avant les ingrédients locaux, utiliser nos souvenirs et notre héritage pour les transformer avec simplicité et intention.” Pour Enrique Olvera, le processus créatif n’est pas centralisé. Chaque chef au sein de ses établissements – à Mexico ou à New York – s’approprie cette ligne directrice en fonction de son environnement. “Le menu de Pujol à Mexico ne ressemble pas à celui de Cosme à New York. Les ingrédients, les contextes, les influences diffèrent. Mais la sincérité, elle, reste la même.”
Cette philosophie est également un outil de préservation. À travers ses restaurants, Enrique Olvera s’efforce de protéger des techniques et des ingrédients en voie de disparition. “Certains produits comme le chayote ou certaines variétés de maïs sont en déclin. Si nous ne les utilisons pas, ils disparaîtront.” Son travail dépasse alors la simple création : il devient un acte militant, une manière de maintenir vivant un patrimoine culinaire tout en le réinventant.
Une cuisine elliptique : entre mémoire et futur
“La cuisine n’est ni passée, ni future. Elle est cyclique. Chaque fois que vous y revenez, vous êtes une autre personne.” Cette vision, Enrique Olvera la traduit dans ses plats emblématiques, comme son célèbre mole madre, un mole qui vieillit chaque jour un peu plus et incarne l’idée d’une tradition constamment renouvelée. “Ce n’est pas une recette figée. C’est un processus en perpétuel mouvement, comme notre relation à nos racines.”
Mais ce mouvement doit s’accompagner d’une réflexion sur l’authenticité et l’évolution. “Si nous n’évoluons pas, nous risquons de perdre ce qui rend notre cuisine vivante. Mais évoluer ne signifie pas tout abandonner.” Pour Enrique Olvera, le défi est de trouver cet équilibre entre créativité et respect des traditions, sans jamais tomber dans le piège d’une modernité vide de sens.
Réinventer l’héritage : une responsabilité collective
“Nous ne parlons pas d’une cuisine mexicaine au singulier, mais d’une pluralité de traditions et de saveurs.” Cette diversité est au cœur de la mission d’Enrique Olvera, qui prône une collaboration étroite avec les producteurs locaux pour préserver la biodiversité et enrichir les menus. “Les relations avec les producteurs sont essentielles. Elles garantissent la qualité, mais surtout la pérennité des ingrédients.”
Au-delà des produits, il s’agit également de protéger des savoir-faire. Enrique Olvera considère ses restaurants comme des laboratoires de transmission, où chaque plat est une conversation entre passé, présent et futur. “Nous sommes les gardiens d’une histoire, mais aussi les architectes de son avenir. Chaque recette, chaque technique, chaque ingrédient raconte quelque chose.”
Dans son parcours, Enrique Olvera mêle audace et humilité, créativité et respect des traditions. Son travail ne se limite pas à la cuisine : il interroge le rapport entre identité et modernité, entre mémoire et innovation. “La cuisine, c’est un pont entre ce que nous étions et ce que nous pourrions devenir.” Avec Pujol, Cosme et ses autres établissements, il montre qu’un plat peut être à la fois ancré dans une culture et ouvert sur le monde. En réinventant l’héritage mexicain, il construit une gastronomie qui transcende les frontières, tout en restant profondément fidèle à ses racines.
Propos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens dans le cadre du festival Gastromasa