NOMA restera le restaurant le plus influent de la génération actuelle, le chef a créé un nouveau style de cuisine, une nouvelle définition du service, de la brigade, de l’art de la table et du client.
L’esprit Locavore s’impose, fini les nappes, fini les services lourds et empêtrés dans des traditions, la cuisine et la salle ne font qu’un, les cuisines s’ouvrent au public, les produits sont locaux, l’art de la table est local, les équipiers de cuisine vont aux tables, on ne parle plus de repas mais d’expérience.
Le mouvement de cuisine nordique et son Manifeste, « une révolution culinaire des années 2000 » qui a bouleversé les tendances de la gastronomie mondiale, c’était le premier débat qui a animé la salle lors du congrès international des Relais & Châteaux qui se tenait à Copenhague en ce mois de novembre. Avec autour de la table et devant 600 congressistes, l’Argentin triplement étoilé Mauro Colagreco, chef et propriétaire du Mirazur à Menton et Vice-Président, Chefs de Relais & Châteaux, le Danois Claus Meyer, co-fondateur du restaurant Noma et l’italien Andrea Petrini, écrivain spécialisé en gastronomie et tendances, et Mélina Shannon-Dipietro, Executive Director de la Fondation MAD à Copenhague. Réflexions croisées sur le sujet “Que pouvons-nous apprendre du succès mondial de la révolution alimentaire danoise ?”
Andrea Petrini en compagnie du chef Mauro Colagreco
Claus Meyer, fondateur du mouvement de la nouvelle cuisine nordique, fondateur du NOMA à Copenhague aux côtés du chef René Redzepi a témoigné : « Quand la cuisine espagnole a pris le leadership mondial, nous étions convaincu que notre culture alimentaire nordique pouvait exister par son identité. Nous avons créé le manifeste de la cuisine nordique avec autour de nous banquiers, politiques, designers, entrepreneurs, chefs, artisans, producteurs … Le mouvement était lancé… «
« La durabilité culinaire et le naturel au contraire de la nouvelle cuisine espagnole et sa créativité sans limite, c’est la différence essentielle. Le phénomène El Bulli à changé le monde en donnant l’espoir de pouvoir s’exprimer sans copier mais en exprimant son terroir par sa créativité, mais la cuisine nordique grâce au chef René Redzepi à montré une autre voix, celle d’une cuisine locavore, naturelle et de saison, mais aussi le bien-être de ceux qui travaillent dans le secteur » … » la planète nous interpelle, il faut savoir l’écouter. Il faut transmettre aux clients ce mouvement, pas question d’expliquer pendant 1 heure d’où vient le poulet servi à table, mais simplement lui faire aimer et reconnaître les merveilleux produits » prolonge Claus Meyer.
Mauro Coilagreco a donné son avis sur le succès de la nouvelle cuisine danoise. « Une évidence. Le phénomène du Mouvement de la cuisine nordique est toujours source d’inspiration pour les chefs. Le Mouvement a saisi le moment pour se positionner en leader dans un pays où la cuisine n’existait pas »
L’expert de la cuisine, Andrea Petrini, écrivain spécialisé en gastronomie et tendances se souvient de la déferlante du mouvement, dans les années 80/90. « C’était l’hégémonie de la cuisine française, puis de la cuisine espagnole. Copenhague était alors un désert. Puis ça a commencé à bouger en Belgique, à Anvers. Andrea est revenu à Copenhague en Mai 2004, René Redzepi venait d’ouvrir Noma. Enfin la cuisine nordique bougeait. Noma était le catalyseur de tout ce mouvement qui agitait les cuisines et les chefs danois. »
Ce à quoi Claus répond » A cette époque , le Danemark était contre la mondialisation, les chefs voulaient faire entendre leur voix, se démarquer de l’hégémonie de la cuisine espagnole, portée par Feran Adria qui faisait briller le restaurant ElBulli. »
« Noma avait été conçu, créé pour être un laboratoire, témoin de la transformation de l’identité culinaire et alimentaire danoise. Très vite le mouvement s’est accéléré supporté par les instantes économiques, les acteurs des scènes politique et culinaire danoises. Le Manifeste de la nouvelle cuisine Nordique nait et déroule ses 10 valeurs. Les chefs danois voulaient une cuisine nordique avec des végétaux et des plantes, non des plats décomposées en gel ou en poudre. Ils souhaitaient une reconduction avec la nature, être des gardiens des produits et des paysans et non des alchimistes qui transforment la nature. Le mouvement se développe vite, très vote car tout le monde se souciait de la nature, voulait se reconnecter avec la nature. »
La place de NOMA dans ce mouvement ? « Au début il n’y avait que NOMA. Seul face à une cuisine nordique pathétique, sous-développée. NOMA se remarque et se développe car il s’intègre parfaitement dans l’environnement, la philosophie de vie des Danois, vivre au plus près de la nature, de la verdure. NOMA avait été planifiée dans la révolution végétale qui agitait les consciences. On commençait juste à parler de durabilité, seuls quelques chefs – comme Alain Passard – menaient leur révolution en déroulant en majesté les légumes dans leurs menus. «
Ainsi ce mouvement transforme le rôle du chef qui devient explorateur.
Mélina Shannon-Dipietro, Executive Director de la Fondation MAD, confie que le Manifeste a inspiré, réuni des personnes du métier pour partager le bien-être, des émotions et des connaissances.
Mauro Colagreco a « vécu le phénomène El Bulli porteur d’espoir et le mouvement danois qui a rassemblé autour du NOMA les chefs nordiques qui se sont mis en marche, soutenus par les politiques, sont devenus les meilleurs ambassadeurs de leur pays en cuisinant les produits de leur pays, comme le saumon, aux Bocuse d’Or.«
Mauro s’arrête sur le point 9 du Manifeste, qui ressemble à une des actions des Relais & Châteaux, « sourcer » localement pour mettre une communauté en valeur. » Or les maisons des Relais & Châteaux proposent un terroir…
Les intervenants s’interrogent sur la suite, l’étape suivante. Pour Claus Meyer « la haute cuisine va adopter le luxe, les clients vont se rendre au restaurant pour vivre des moments précieux« . Le grand restaurant sera t-il réservé aux clients riches ? Andrea Petrini pense que certaines cuisines vont connaitre une ascension fulgurante avant de disparaître. Il faudra créer quelque chose de nouveau. Mauro Colagreco pense qu’il est difficile de définir des perspectives. Il préfère « le présent qui construit demain. Tous ces mouvements ont marqué et vont marquer l’avenir. Aujourd’hui il faut s’engager vraiment avec sincérité, aller au bout des choses avec éthique et persévérance. » explique t’il. Claus Meyer se demande si les restaurants ne vont pas être gérés par des communautés. La notion de propriété va changer.
Ainsi va le monde et ainsi va le monde de la gastronomie, engagé, passionné, avec des questions plein la tête. En perpétuel mouvement..