Retrouvez ci-dessous son interview :
Le chef triple étoilé à Eugénie-les-Bains, dans les Landes, adore la cuisine d’été, simple, joyeuse et conviviale. Il évoque la tomate, les grillades, l’apéro, les marchés et l’enfance.
Né en 1933, Michel Guérard est aujourd’hui l’un des chefs les plus réputés et les plus respectés de la gastronomie française. Inventeur, au Pot-au-feu à Asnières-sur-Seine, de la nouvelle cuisine, il s’est installé à partir de 1974 à Eugénie-les-Bains, dans les Landes, où il a créé, avec sa femme Christine, Les Prés d’Eugénie, un ensemble d’hôtellerie-restauration et de thermalisme dont les clients viennent du monde entier. Il a obtenu sa première étoile Michelin en 1967. Depuis 1977, il est triple étoilé sans interruption.
« Sud Ouest Dimanche ». L’été est-il pour vous une belle saison gastronomique ?
Michel Guérard. Quand je pense à l’été, je retourne toujours à mon enfance à Vétheuil (Val-d’Oise, NDLR), où mon frère et moi allions pêcher dans la Seine. Et puis, je me souviens des fruits de notre verger. Ma grand-mère était une excellente cuisinière et pâtissière. Elle est pour beaucoup à l’origine de ma vocation.
Elle faisait déjà de la pâte feuilletée et, aujourd’hui encore, je prépare les tartes à sa façon. De la pâte avec des fruits ultra-mûrs disposés dessus, deux lichettes de beurre, du sucre et au four. Ça paraît simple mais il faut d’abord veiller à ce que les fruits, comme les fraises par exemple, ne mouillent pas trop la pâte. En tout cas, c’est un plat qui procure un bonheur simple et, pour moi, c’est ce que signifie l’été.
En été, a-t-on davantage envie de fraîcheur et de crudités ?
Oui et non. Selon mes envies, je peux aussi déguster, le soir, un bon cassoulet. A priori, ce n’est pas un mets d’été mais c’est un plat de famille dans lequel on pioche. Un repas qu’on partage, comme une grosse côte de bœuf sur le grill. Le partage n’est évidemment pas qu’une valeur estivale mais peut-être l’apprécie-t-on plus à cette saison parce qu’on est plus détendu, qu’on a le temps, qu’on a moins de rendez-vous et qu’on regarde moins sa montre. En été, on croit que, grâce à la cuisine, la vie est définitivement belle. C’est un leurre, bien sûr, mais on en a besoin. Comme on a besoin de partage. Regardez ce qui s’est passé après la victoire de l’équipe de France de football. C’était magnifique et rassurant.
Y a-t-il un produit d’été pour lequel vous avez une préférence ?
Ah, j’adore la tomate. C’est vraiment la saison idéale pour la savourer, jusqu’en octobre. Elle est ferme, juteuse, parfumée. Il y a tellement de façons différentes pour la préparer et l’assaisonner. Je me souviens notamment de tomates farcies que m’avait cuisinées un ami restaurateur à Pau, il y a bien des années. Elles étaient lustrées, brillantes, avec des reflets noirs là où ça avait un peu trop cuit. Cela m’avait donné l’idée de confire des tomates. La recette est toute simple. J’avais pelé des grosses tomates avant de les écraser dans le fond d’une plaque à rôtir, d’y rajouter du sel et de mettre au four pendant la nuit. C’est délicieux. Et puis j’adore les petits poireaux, gros comme mon doigt. Ce n’est pas spécialement estival mais, en cette saison, on les ébouillante, on les passe au grill et on savoure.
À vous entendre, la cuisine, c’est facile. Mais tout le monde n’est pas Michel Guérard…
Ce qui compte d’abord, c’est que les produits gardent leur vrai goût. La terre nous donne de si belles choses, il faut les respecter. Après, il faut la petite astuce qui donne sa prestance à un légume naïf et ça, c’est le talent du cuisinier. Pour en revenir à la tomate, vous pouvez la laisser faire le boulot toute seule avec du pesto, de l’huile d’olive, du sel et du poivre. Et si vous y rajoutez un peu de lavande, là, vous êtes chez Pagnol, avec les cigales qui chantent autour.
L’été fait penser aux grillades. Les poissons pêchés avec votre frère devaient finir sur le grill…
Bien sûr. Comme nous n’avions pas de barbecue, maman avait inventé une technique formidable. Elle retournait sur le feu le couvercle d’une cocotte en fonte. On l’oublie trop souvent, le goût de la grillade dépend beaucoup du choix du métal. Et la fonte donne un petit goût de noisette sucrée qui est unique. Cela dit, si on a la chance d’en avoir une, la grillade à la cheminée est incomparable. Je ne peux pas imaginer une cuisine sans cheminée. Ici, elle fonctionne en permanence. On a commencé à faire de la cuisine après avoir découvert le feu. Et moi, j’ai besoin de m’inscrire dans ces origines. Mais la cuisson à la cheminée demande du savoir-faire. On ne peut pas tricher avec.
L’été, on fait beaucoup de grillades avec les poissons, sans doute parce que cela évoque la mer, donc les vacances, et puis parce que c’est meilleur pour garder la ligne. Et ça compte, surtout quand on se compare avec les autres à la plage…
L’été, c’est aussi le moment incontournable du pique-nique.
Pour moi, le pique-nique, c’est d’abord des retrouvailles avec la nature. Le plaisir de faire une pause, seul ou à plusieurs, près d’une rivière ou dans une forêt. Ce n’est pas toujours très confortable et la nourriture est parfois sommaire mais, lors de tous les pique-niques que j’ai faits, j’ai le souvenir que l’environnement avait sublimé ce qu’il y avait dans le panier.
Et puis, autres rendez-vous obligatoires de l’été, l’apéro et le marché…
Ah oui, j’adore la tradition de l’apéro. Se mettre à l’ombre d’un arbre et prendre le temps de parler, un verre à la main. Je n’ai pas de préférence particulière pour la boisson. Ma femme, Christine, aimait le pastis. Le pastis évoque d’ailleurs immédiatement l’été, comme le rosé. Le marché est un moment de convivialité où on prend davantage le temps de discuter avec le commerçant. C’est le bon endroit pour enseigner l’alimentation aux enfants. C’est aussi important que savoir écrire, lire et compter. Un marché d’été est truculent et joyeux. J’ai toujours aimé cette ambiance. Quand j’avais mon restaurant à Paris, j’allais aux halles deux fois par semaine et je rognais sur mon sommeil rien que pour le plaisir de m’y rendre.
L’idée de simplicité revient souvent dans votre bouche quand vous parlez de cuisine d’été.
La cuisine de l’été, c’est le contraire de la cuisine artistique et compliquée. Il faut juste rendre le produit admirable, l’anoblir simplement. En cuisine, c’est difficile à obtenir parce que nous, les cuisiniers, on a toujours tendance à en rajouter. La simplicité, représente beaucoup de travail. J’ai mis des années pour y parvenir.
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Article intéréssant Sur le Grand chef Guérard !
J'aurais aimé avoir plus de détails Sur l'utilisation de la cheminée ...quel Bois est utilisé?..parfums?..
Merci
Jsg