Dans son restaurant à Cadix, il propose une cuisine 100 % dédiée à la mer, et même assez étonnamment un menu « mer » mais sans poisson.
Découvrez les explications ci-dessous dans l’article que lui consacre RTL
Direction un trois-étoiles hors normes, qui sent l’iode et la marée. L’Aponiente, en Andalousie, dans la petite ville de Puerto de Santa Maria, face à Cadix. Une cité créée par les Phéniciens il y a 3.000 ans, point de départ de deux voyages de Christophe Colomb vers les Amériques.
En 2007, c’est un autre conquistador qui a posé ses valises ici : le chef Ángel León, un extra-terrestre, un aventurier du goût que j’ai découvert dans la revue We Demain. Sa philosophie tient en quelques mots : « Qu’y a -t-il de plus hédoniste que manger quelque chose que personne sur la planète n’a encore essayé? ».
Avec lui, les méduses, les algues, les vers marins sont transfigurés. Et même ce qu’on appelle les parures de poisson, la tête, les arêtes, les nageoires. Les autres en font tout juste un fumet. Lui, il les métamorphose. “Ce qui a été le plus long à réaliser, dit-il, c’est la charcuterie marine ». La mortadelle à base de tête de bar, le boudin de moule ou le bacon en peau de murène croustillant”. Voilà ce qui a propulsé au firmament celui qu’on appelle désormais “le chef del mar”.
« J’aurais aimé devenir biologiste marin »
Ce n’était pourtant pas gagné. León était un enfant hyperactif, un peu fâché avec l’école. Il n’était heureux et en paix que sur le petit bateau de son père, qui l’emmenait pêcher dans la baie de Cadix. Le nettoyage des poissons, il ne laissait ça à personne. “Si je n’avais pas été un mauvais élève, dit-il, j’aurais aimé devenir biologiste marin”. Ce sera la cuisine, ici et ailleurs : Bordeaux, Buenos Aires, Miami… et retour à la maison.
Il fait sien l’adage du grand chef Ferran Adrià: “La vraie révolution viendra lorsque les scientifiques et les cuisiniers travailleront ensemble”. Chiche ! Ángel León s’associe aux universités de Cadix et d’Alicante. Il invente une machine à clarifier les bouillons. Il découvre que les yeux de poisson cuits à 55°C produisent un excellent épaississeur pour certaines sauces. Et avec de la poudre d’écaille déshydratée, il produit des billes gélatineuses proches du caviar.
Le plancton est « l’origine de la vie »
Et puis il y a le plancton. “C’est ça qui me rend le plus fier, dit le chef. Quand j’ai commencé à le travailler, on m’a traité de fou. Certains m’ont même reproché de priver les baleines de leur nourriture. Je le définis comme étant la saveur la plus pure de la mer. C’est l’origine de la vie. En même temps, quand j’ai eu l’idée d’apporter du plancton à table, je suis monté dans une barque avec des filets pour en capturer. J’en ris encore.”
Finalement, pour la collecte, il s’est associé à une entreprise qui travaillait pour le secteur pharmaceutique. Aujourd’hui, le riz au plancton, escargots de mer, quinoa et aïoli est l’un des plats emblématiques d’Aponiente. Avec en dessert, le sorbet manzanilla, wasabi et plancton.
Autant d’audace aurait pu lui coûter cher. Deux ans après l’ouverture, les clients hésitaient à franchir le seuil du restaurant. Il a tenu le cap, comme à la barre de son bateau. Et le voilà voguant sur le succès. Mais pas arrivé pour autant. Ce qu’il veut maintenant, c’est trouver au fond des mers des ingrédients inédits, dont on ignore encore l’existence. Il s’est lancé un défi : cuisiner un menu 100% mer, mais sans poisson.
Des rêves de jardin sous-marin
Il aimerait aussi cultiver l’herbe d’anguille, la seule plante qui fleurit sous l’eau salée. Une plante riche en fibres, en oméga 3, et sans gluten. En plus, elle absorbe le carbone 30 fois plus vite que la forêt tropicale. À la fin, le chef rêve d’un immense jardin sous-marin, qui serait à la fois une source de nourriture et une arme contre le réchauffement climatique.
Il compte repiquer des espèces dans la baie de Cadix dès cet été, et si ça fonctionne, il espère pouvoir ensuite reproduire l’expérience à grande échelle, par exemple le long des côtes de l’Afrique. “L’humanité sera de plus en plus redevable à la mer, dit Ángel León, je ne peux pas concevoir la vie sans elle. Si un jour je me perds, il faudra venir me chercher dans les profondeurs!”