La chef assume son changement de vie, elle a réussi à combiner sa vie personnelle et professionnelle, à l’organiser comme elle l’entendait, cette avant dernière étape de sa carrière, elle l’a longuement réfléchie.
Elle va continuer à mener sa table barcelonaise installée dans l’hôtel Mandarin Oriental et s’occuper encore plus de son Sant Pau de Tokyo, au nouvel hôtel Kitano. Avec le même enthousiasme et le même engagement elle va continuer ses activités, et se consacrer beaucoup aux médias. La chef est heureuse, elle l’exprime dans cette interview réalisée pour le site 7Canibales.
San Pau est fermé. Comment allez-vous?
CR – Bien! Heureuse… heureuse J’ai pu filmer toutes les personnes qui m’ont accompagné ces derniers jours de Sant Pau pour prolonger ce moment et la vérité qui ressort de tout ça s’est beaucoup d’amour.
Quels messages les plus spéciaux avez vous reçu après avoir annoncé la fermeture du restaurant ?
CR – Je reçois toujours beaucoup de messages d’affection de personnes qui ne sont jamais allé au San Pau mais qui semblent bien connaître ma carrière. Ce sont des gens que je ne connais pas et qui témoignent d’une émotion particulière. Il y a aussi des gens qui m’envoient des dessins, et même des boucles d’oreilles avec des motifs gastronomiques parce qu’ils savent que je les aiment et que je les portent.
Comment c’est passé le « jour d’après »?
CR – Eh bien, j’ai passé du temps avec Toni ( Balam , son partenaire) et Raül ( Balam , son fils), nous avons sélectionné la nouvelle vaisselle pour le nouveau Sant Pau à Tokyo notre table gastronomique, qui sera bientôt transféré à l’hôtel Kitano.
Un retrait choisi est-il une victoire?
CR – C’est le résultat d’un combat pour choisir la vie que vous voulez vivre et cela vous procure des moments très heureux. Les choses étaient claires avec Toni, nous ne voulions pas fermer fatigué, épuisé. Avant de manquer de force, nous préférions dire « on arrête là » et puis continuer à travailler sur autre chose. Je vais lancer un site Web où à partir de décembre je partagerai chaque semaine une idée gastronomique, une idée saine et une recommandation culturelle.
Quelle est la première chose qui vous remonte à l’esprit quand vous regardez en arrière?
CR – J’ai a réalisé le rêve d’orchestrer une grande aventure humaine et je l’ai menée pendant 30 ans. Je l’ai eu grâce aux opportunités d’ouvrir les restaurants de Tokyo et de Barcelone, car c’est seulement avec le restaurant Sant Pau nous n’aurions pas pu disposer d’autant d’opportunités.
Selon vous, quel est votre principal héritage?
CR – Un pari pour le territoire, pour l’environnement, pour le produit de saison, celui d’établir une vue à 360 degrés de ce qui entourait Sant Pau. Je suis parti des traditions locales pour les moderniser. D’où mon engagement pour un régime moins gras et plus riche en légumes. Tant au restaurant qu’à ma maison.
Comment voyez-vous la haute cuisine actuelle?
CR – Très puissante! La seule chose que je regrette, c’est que les médias ne mettent pas davantage l’accent sur les femmes dans la gastronomie. Parce qu’il y en a beaucoup. Et parce que son exemple peut servir à encourager beaucoup d’autres femmes à s’engager dans ce secteur.
La revendication féminine contre le manque de reconnaissance de la femme dans la gastronomie devient-elle de plus en plus nécessaire?
CR – Oui bien sur. L’essentiel est de pousser les femmes à croire en elles-mêmes et à savoir que si elles le souhaitent, elles peuvent réaliser leurs objectifs. Ce que je n’aime pas, c’est qu’on nous isole. J’ai toujours fui des groupes formés exclusivement de femmes. Nous devons nous mélanger avec les hommes et valoriser nos atouts féminins, nous avons beaucoup d’avenir dans la gastronomie. Je regrette que certaines femmes aient tendance à reprocher aux hommes tous les maux. Je veux des hommes dans ma vie.
Avez-vous eu à faire beaucoup de démissions en tant que femme?
CR – Non aucune. En tant que femme, non. En tant que personne, oui. J’ai renoncé à réaliser des projets particuliers pour des raisons professionnelles, plus pour des raisons économiques … J’ai manqué des réunions et des fêtes de famille pour privilégier ma vie professionnelle, mais comme tant d’hommes l’ont fait aussi. Toutes les femmes qui sont venu travailler dans mes restaurants m’ont demandé conseil, j’ai toujours dis la même chose: « Vous devez d’abord croire en vous-même, en votre talent, tomber amoureux de votre métier pour en profiter. Organisez-vous comme eux pour pouvoir vous consacrer pleinement au travail. » C’est un modèle que j’ai appliqué sans avoir aucune charge de conscience. Comment aux font-ils? Je me suis organisé, mais mes enfants n’ont jamais été laissés sans surveillance. C’est une question d’attitude envers la vie.
Quelle mère avez-vous été avec vos enfants?
CR – Je leur dis toujours qu’une mauvaise mère les a touchés parce que j’ai été très exigeante dans la vie mais aussi au travail. Je leur ai fait connaître le métier depuis mon enfance et je ne me suis jamais excusé.
Et aujourd’hui dans leur vie ?
CR – Je n’interférerai jamais dans leur travail, mais s’ils me demandent de l’aide ou mon opinion sur ce qu’ils font, ils l’auront.
Lorsque Sant Pau a ouvert ses portes, il n’y avait pratiquement aucune femme en première ligne en gastronomique en Espagne. Comment c’est comporté le monde masculin?
CR – Je ne me suis jamais senti inférieure à eux, je ne me suis jamais senti une citoyenne de seconde classe face à eux. Je n’ai jamais permis à personne de me faire ressentir cela. J’ai été un peu – intrusive – pour entrer dans ce monde de la restauration. Mais je suis arrivée en autodidacte, mon histoire est comme ça, je devais aller de l’avant.
Et les critiques … ?
CR – Les consommateurs et les connaisseurs ont une mémoire très limitée pourtant ils font facilement des critiques. Rares sont ceux qui face à une salade savent différencier les différents types de laitue, alors qu’ils ne connaissent que la Florette. Pour évaluer une assiette, il faut avoir une certaine distance, connaître les territoires, leur tradition et leur évolution, ainsi que tout élément créateur de rupture ou de création ayant traversé le temps.
Cela vous dérange-t-il toujours de dire que votre cuisine est féminine?
CR – Avant, cela me dérangeait beaucoup parce que je le considérais comme un mépris. Au fil du temps, j’ai appris à l’accepter, car ma cuisine a des attributs féminins : légère, subtile et élégante. La gastronomie demande beaucoup de sensibilité. Les chefs ont une pure sensibilité, qu’ils soient hommes ou femmes.
Vous avez admis que vous n’aviez subi aucun type de harcèlement au travail, mais y en avait-il dans vos cuisines?
CR – Oui, il y a trois ou quatre ans, une seule fois. On nous a prévenu, nous l’avons détecté et nous avons résolu le problème en renvoyant l’individu.
Quelles ont été vos relations avec les stagiaires pendant les trois décennies de Sant Pau?
CR – Notre travail est très exigeant. Nous sommes étions très attentif avec ce que nous faisons et nous devions toujours progresser. Certaines personnes n’étaient pas à l’aise avec cette minutie, alors soit ils partaient, soit nous les invitions à choisir une autre branche. Face à la forte controverse soulevée par cette question en Espagne, je pense que la clé dans notre cas est d’avoir limité à un maximum de 20% de stagiaires contre 80% d’employés. Nos stagiaires ont toujours eu un logement, une allocation et participation aux pourboires.
La chef Ruscalleda est-elle facile à table ?
CR – Je suis une très bonne mangeuse car je peux manger de tout et on peut m’inviter partout. J’apprécie un bon pain à la tomate ainsi qu’une simple viande grillée ou une cuisine plus élaborée. Ce que je ne peux pas éviter, c’est la critique constructive si je n’aime pas quelque chose. Cela m’ennuie que l’ont ne me posent pas de questions sur un plat que je n’ai pas terminé.
De quel plat es-tu le plus fier?
CR – Beaucoup, mais surtout ceux qui accordent beaucoup d’importance aux légumes sans être végétariens. J’aime souligner la combinaison artichauts/crevettes, toutes deux de textures différentes.
Avez-vous déjà été en panne d’inspiration?
CR – Non, parce que je me nourrit de nombreuses sources et je reçois toujours des produits qui m’inspirent, tels ces navets noirs qui m’ont été envoyé récemment par de jeunes paysans de La Cerdanya ou ces figues grillées que Maca de Castro m’a données après avoir découvert une vieille tradition.
Quelle pression exerce la notion de « satisfaction client » ?
CR – Plus que de la pression, c’est pour moi un vrai engagement que de ne pas décevoir le client. Il faut être capable de répondre à ses attentes. C’est pourquoi j’aime sortir saluer les tables et connaître leurs impressions. Si le client n’aime pas quelque chose, je ressentais de la colère parce que je faisais tout avec une honnêteté absolue. Mais nous devons accepter que certaines plats ne soient pas appréciés, j’ai toujours considéré que des mauvaises critiques peuvent nous aider à nous améliorer.
Avez-vous déjà eu envie de tout arrêter ?
CR – Jamais… Le secret de notre succès réside dans le fait que nous n’avons jamais pensé à l’échec, quelques soient les débuts difficiles. Au début, nous devions compter que sur nous-même, nous avons dû surmonter les difficultés au fil du temps. Il a fallu liquider les dettes jusqu’à ce que le restaurant soit assaini financièrement.
Une jour écrirez vous vos mémoires ?
CR – Oups… Je ne pense pas, elles sont très intimes. Beaucoup de choses me sont arrivées dans ma vie professionnelle et personnelle, notamment en raison du comportement de certaines personnes. Je suis très prudente, j’aime respecter tout le monde et il est clair que certains souvenirs risqueraient de froisser certaines personnes.
En tant que personne influente, ne devriez-vous pas vous engager davantage?
CR – Une fois, j’ai donné mon opinion sur un sujet d’actualité, j’ai reçu des menaces, j’ai beaucoup souffert de cette publication. Il n’y avait toujours pas de réseaux sociaux, mais j’ai appris qu’il valait mieux réserver ses opinions à soi-même. Maintenant, je m’abstiens de parler de politique, même si j’en souffre. Je dirai seulement que je considère tous les politiciens sont pareils, d’un extrême à l’autre, ils bougent en raison leurs intérêts et de ceux de leurs partis, mais ils ne savent pas bien faire leur travail, la politique est aussi un métier.