Retrouvez ci-dessous le papier du quotidien belge Lalibre.be qui reprend une publication de l’Afp
Du haut des 125 mètres de son restaurant niché sur la tour Eiffel, rouvert après trois mois de « vacances » dues au Covid, le chef français Frédéric Anton « ne veut pas entendre parler » de changements dans le monde gastronomique d’après.
Le chef étoilé, également détenteur du prestigieux titre de « meilleur ouvrier de France », est revenu aux fourneaux du Jules-Verne, mythique restaurant avec vue panoramique sur Paris qui a rouvert mardi, et dont profitent pour le moment essentiellement des clients français, en attendant le retour des touristes étrangers.
La tartelette aux courgettes et amandes et l’artichaut-poivrade sont entrés dans la nouvelle carte d’été, toujours aussi sophistiquée, avec aussi son assiette de crabe au caviar et autre langoustines en ravioli avec une crème fumée.
Dans l’ascenseur privé, une paroi de plexiglas sépare les clients les uns des autres. Ils ne font tomber leur masque qu’une fois à table. Les maîtres d’hôtel en masques noirs les accueillent dans l’écrin épuré des salles, où douze tables ont été enlevées pour respecter la distanciation.
Acheter français coûte cher – Dans l’assiette, « rien ne va changer! », martèle Frédéric Anton, plutôt confiant après la réouverture de cet établissement dont les menus dégustation vont de 190 à 230 euros, sans les vins.
Frappés de plein fouet par la crise sanitaire, nombre de ses confrères tiennent un tout autre discours, cherchent à s’adapter en simplifiant leurs cartes, mettant en place des ventes à emporter à des prix doux, misant sur leurs jardins ou producteurs locaux.
« On n’a pas fait de vente à emporter, on y a réfléchi deux minutes, ce n’était pas nécessaire », tranche Frédéric Anton. Pour le restaurant, « si on doit acheter tel ou tel produit – langoustines ou agneau de Pyrénées – on l’achètera. Si on doit le transformer de telle ou telle façon, on le fera. Si on doit avoir tant de personnes pour travailler et faire de la qualité, on ne jouera jamais sur cela », assure Frédéric Anton. « Je ne peux pas remettre en question ma manière de faire en étant dans un restaurant gastronomique« .
Quant à la saisonnalité et le soutien aux petits producteurs, « on le fait depuis la nuit des temps », assène-t-il. Même si « vous l’avez bien vu, avec +achetez français+ tout le monde s’est rendu compte que cela coûtait deux-trois fois plus cher ».
Sacs poubelle et Games of Thrones – Frédéric Anton a pris les commandes du Jules-Verne, ce lieu « dingue et hors normes » il y a un an au terme d’une guerre médiatique avec son prédécesseur, le chef star Alain Ducasse, et lui a fait gagner en quatre mois sa première étoile au guide Michelin.
Le Pré Catelan, son autre restaurant dans le Bois de Boulogne, trois étoiles, ne rouvrira pas avant septembre, comme de nombreux autres grands établissements parisiens qui dépendent aussi beaucoup de la clientèle étrangère des palaces.
Le confinement ? « C’est quelque chose de bien vécu », dit-il, malgré la fermeture brutale et prolongée de ses restaurants. « Je me suis posé, je me suis reposé, cela m’a fait du bien… J’ai fait à manger avec ce que je trouvais, ma cuisine ne m’a jamais autant vu », raconte-t-il.
Il n’était « absolument pas » question pour lui de créer de nouvelles recettes ou faire des cours de cuisine sur les réseaux sociaux, comme nombre d’autres chefs. « J’ai fait comme tout le monde: j’ai rangé chez moi, j’ai dû jeter 25 sacs poubelle de 130 litres de choses qui ne servaient à rien. Je me suis fait la totalité de Games of Thrones », des heures de télévision par jour.
Le monde d’après? « Il n’y a rien qui va changer. Le monde entier aime manger, vient en France pour manger. Le premier jour (du déconfinement), les terrasses étaient blindées de partout, personne ne s’est posé la question. C’est le pays de la bouffe, la France ».