Éric Guérin  » l’avenir va reconnecter les habitudes alimentaires avec l’environnement et les saisons  « 

 Éric Guérin, un drôle d’oiseau – il fait partie des chefs dont on ne parle pas assez, mais Éric Guérin est un chef qui pourtant, au-delà de son talent culinaire, a beaucoup de choses à exprimer. Depuis son restaurant La Mare aux Oiseaux en Loire-Atlantique, le chef indique que c’est en 2008 de retour du Japon qu’il a eu le déclic  » l’art culinaire à la française est une nature morte. J’aspire alors à élaborer une cuisine vivante  » explique le chef… ainsi naîtra le Éric Guérin d’aujourd’hui, un chef en phase avec sa nature, son environnement.

Retrouvez la très belle interview que lui a consacrée le journal L’Humanité, cliquez sur le LINk pour retrouver l’intégralité de l’article.

EXTRAIT

Les cuisiniers aux sources de l’humanité 5/8. Le chef étoilé de la Mare aux oiseaux a fait le pari d’une gastronomie d’auteur dans un village de Loire-Atlantique cerné par les eaux. Chasseur, pêcheur, et amoureux des bêtes à plumes, il développe le circuit court de la mer au marais pour susciter le goût des algues et pratiquer une cuisine vivante.

Robert, c’est le nom de la grue. Plumage alaire ­relevé, l’œil aux aguets, l’oiseau, perché sur deux échasses, dandine de table en table, du moins celles qui attendent la fin de l’hiver à l’entrée du jardin. Calé au creux de l’île de Fédrun, une des sept du marais de Brière, en Loire-Atlantique, l’écrin d’Éric Guérin est un paradis de plumes. Sculptures, peintures, objets, bibelots, mobilier… Les volatiles saturent les espaces de la Mare aux oiseaux, restaurant étoilé de Saint-Joachim. Sur l’herbe grasse, poules et bernaches nonnettes picorent tandis que le ciel ouvre son espace au vol des migrateurs. Arrivé à 16 ans, par hasard, dans le parc régional naturel de Brière pour une partie de chasse aux canards avec son père, Éric Guérin n’en est plus jamais vraiment parti. Il est tant de fois revenu qu’il a fini par y poser ses cocottes en 1995. À 25 ans, le marmiton ouvre son premier restaurant, seul aux commandes, au milieu du marais. Le pari était sacrément osé. Pour que tourne une petite auberge dans un village perdu cerné par les eaux, il faut avoir quelque chose à raconter. « Jeune, je voulais faire les beaux-arts mais mes parents m’ont prévenu qu’artiste est une activité de crève-misère, alors j’ai décidé de devenir cuisinier. Quand j’étais gosse, je rêvais souvent que je travaillais dans un hôtel Relais & Châteaux, la maison était recouverte de lierre, les biches gambadaient dans le jardin, et les canards sauvages nageaient sur l’étang », raconte le chasseur, pêcheur, cueilleur, qui est finalement parvenu à réunir à travers sa cuisine ses deux passions, la nature et la culture.

L’avenir va reconnecter l’alimentation avec l’environnement

Son intérêt pour l’environnement est venu avec la chasse. Son grand-père, déjà, parcourait le monde pour trouver les oiseaux, avec dans sa besace une condition : ne tuer le gibier que si on respecte le biotope. Les pluviers, les bécassines, les avocettes, les sarcelles, les souchets, leurs vols, leurs cris, leurs trajectoires migratoires, font partie de son bagage familial. « Toute mon enfance, j’ai couru dans les bois, dans les champs », confie-t-il, avant lui-même d’aller épier les cieux dans de lointaines contrées. Au début de son installation en Brière, le cuisinier épaulait chaque jour le fusil pour pister les volatiles. « Aujourd’hui, je chasse de moins en moins. J’observe », confie-t-il, le nez levé vers la lune et l’œil perçant la nuit à la recherche d’un bouquet de plumes en vol. Chaque samedi, tout de même, il file non loin de Lorient, à la recherche de la bécasse, « la reine des migrateurs ». Ces oiseaux-là ne se retrouvent pas dans ­l’assiette, du restaurant en tout cas, car la réglementation leur impose un détour par les services vétérinaires.

 

Les oiseaux ne sont pas le seul gibier ­qu’affectionne le cuisinier. Il aime aussi pousser la barque et partir en quête d’écailles. « Je pêche mais je relâche tout », annonce-t-il, soucieux d’évoquer son engagement sur la durabilité de la ­ressource. « Le silure a été mon cheval de bataille. Ce poisson d’eau douce ne vaut rien, il est victime d’un délit de sale gueule. Il est gluant et ressemble à un monstre marin. Personne ne le mange mais il est délicieux. Notre expertise de chef de cuisine doit amener les gens sur des espèces qu’ils n’ont pas l’habitude de consommer », ­argue-t-il. Du fond de son marais, fragile et malmené par les pollutions, Éric Guérin le constate, l’opinion évolue. « L’enjeu d’une bonne alimentation gagne du terrain. Les grandes surfaces en perdent et les gros lobbyings sont sur la défensive », affirme le cuisinier qui fut un des premiers signataires de l’appel des chefs contre la fusion Bayer-Monsanto en 2016. Il en est convaincu, « l’avenir va reconnecter les habitudes alimentaires avec l’environnement et les saisons ».

Lui-même a changé ses pratiques et les change encore. Déjà, en 2008, un voyage au Japon bouleverse sa perception de la gastronomie. « Je rentre et je me dis que l’art culinaire à la française est une nature morte. J’aspire alors à élaborer une cuisine vivante, qui amène la nature dans l’assiette, joue sur les contrastes, réduit les cuissons, enlève du sel, ajoute des algues », explique-t-il. Mal lui en a pris, car cet élan jugé « trop japonisant » lui fait perdre son étoile Michelin. Après quelques ajustements, elle est regagnée l’année suivante. Mais le chef est lancé et travaille à adapter le discours à la pratique. Il renforce ses liens avec des producteurs, s’interroge sur les circuits d’approvisionnement du restaurant, cherche les solutions au délicat problème des livraisons dans un lieu isolé, lointain. La démarche est balbutiante mais les déclics se multiplient. Du pays du Soleil-Levant, le chef ramène un goût certain pour les algues. Il y a encore quelques années, celles qui ­vivifiaient sa cuisine venaient du marché d’intérêt national (MIN) de Rungis. « En fait, je me suis rendu compte qu’elles étaient ramassées à 40 kilomètres d’ici, partaient en région parisienne, et revenaient à la Mare aux oiseaux, plus de toute première fraîcheur, et avec une commission de 82 euros », s’agace-t-il. Décision est prise de reconnecter celui qui produit ou cueille et celui qui cuisine.

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Photo – L’Humanité
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