Long de 725 mètres, haut de 44 mètres, le barrage de Volgograd ressemble à un géant de béton situé à environ 20 km du centre-ville ; il intervient sur le fleuve le plus long et le plus puissant d’Europe, la Volga.
Sa construction démarre dans les années 1950, dans le cadre d’initiatives d’industrialisation d’après-guerre appelées « grands projets de construction du communisme ». À l’époque, Volgograd s’appelle Stalingrad, théâtre de l’une des batailles les plus sanglantes de la Seconde Guerre mondiale. Achevé en 1961, le barrage produit par an 12 milliards de kilowatts-heures.
Station révolutionnaire par sa taille et sa capacité, elle fut même quelques années durant la plus grande centrale électrique au monde. Mais malgré les avantages d’une énergie hydroélectrique « propre », la station de Volgograd nuit gravement aux esturgeons qui tentent de migrer depuis la mer Caspienne pour se reproduire en amont de la Volga.
L’esturgeon, surnommé affectueusement « poisson tsar », est sans doute le groupe d’espèces le plus menacé de la planète. On en dénombre 27 espèces, dont quatre évoluent dans la Volga : l’esturgeon russe, le sterlet, l’étoilé et le béluga, réputé pour produire le meilleur caviar au monde.
Ces poissons sont souvent décrits comme des « fossiles vivants ». Apparus à la même période que les dinosaures, il y a 150 millions d’années, ces poissons peuvent vivre plus d’un siècle ! Au fil du temps, l’esturgeon a acquis une signification culturelle et historique en Russie et constitue aujourd’hui une source de fierté nationale.
Mais les changements socio-économiques du pays ont été désastreux pour ces poissons. Leurs rivières ont été polluées, fragmentées et endiguées. Ajoutés à cela la surpêche et le braconnage du caviar, le nombre d’esturgeons de la Volga a irrémédiablement plongé, diminuant de 90 % depuis les années 1970.
Les esturgeons ayant un cycle de reproduction lent, ces populations de poissons ne peuvent se renouveler rapidement. Les femelles ne portent en effet pas d’œufs chaque année et elles mettent plusieurs années à atteindre leur maturité sexuelle ; sur les 250 000 à 400 000 œufs qu’elles libèrent en même temps, seuls deux ou trois poissons survivent.
La centrale hydroélectrique de Volgograd constitue la dernière des huit centrales hydroélectriques de la série de barrages de la Volga-Kama. Elle est donc la première barrière aux esturgeons qui migrent en amont de la mer Caspienne. En théorie, si l’on s’en réfère à la conception originale de la structure, l’esturgeon est capable de passer le barrage grâce à une nacelle hydraulique.
Aujourd’hui, il reste cependant difficile de savoir si ce dispositif est toujours opérationnel ; et si tel est le cas, ses bénéfices sont compromis par les autres barrages construits en amont. Quand bien même le poisson parviendrait à traverser, le retour s’avérerait fatal, car cela nécessite de passer au travers de turbines aussi imposantes que celles d’un 747.
La centrale de Volgograd bloque non seulement la migration de l’esturgeon, mais modifie également le débit naturel et la température du fleuve. Or les esturgeons sont très sensibles : ils dépendent de signaux tels que la vitesse d’écoulement et la température de l’eau pour établir la période et le lieu de leur reproduction.
Le barrage aurait ainsi directement réduit les frayères (les lieux de reproduction) de l’esturgeon, passant de 3 600 à seulement 430 hectares. En ce qui concerne l’esturgeon béluga, 90 % de ses frayères naturelles ont disparu à la suite de la construction du barrage.
C’est indéniable : la station de Volgograd a joué un rôle clé dans le déclin de l’industrie du caviar russe. En raison de la baisse rapide des populations d’esturgeons sauvages, la Russie a en effet interdit la pêche commerciale de l’esturgeon et le caviar noir en 2002. Aujourd’hui, le pays ne vend plus annuellement que 9 tonnes de cette spécialité sur son marché intérieur.
Les fermes ne pouvant produire assez de caviar pour répondre à la demande russe – et encore moins mondiale – un commerce illégal s’est développé.
Il n’est donc pas surprenant que presque tous les migrateurs soient pêchés sous le barrage de Volgograd. Le braconnage illégal de l’esturgeon et le commerce du caviar en découlant sont devenus monnaie courante, atteignant 10 000 dollars le kilo pour le caviar de beluga. Les impacts écologiques sont dramatiques : lorsque les esturgeons sont enlevés à cet endroit de la rivière, les poissons n’ont pas eu l’opportunité de se reproduire.
La situation semble assez désespérée. Malgré les 50 millions d’esturgeons d’élevage relâchés par la Russie, le succès du repeuplement n’est pas vraiment au rendez-vous. Un déclin général a même été observé au cours de la dernière décennie. Alors que le barrage de Volgograd empêche leur migration et leur fraie, et que le braconnage en aval est courant, libérer des millions d’esturgeons juvéniles paraît presque absurde.
Une plus forte répression contre la pêche illégale serait un bon point de départ, accompagnée de mesures pour aider les poissons à se déplacer le long de leurs rivières naturelles (comme l’aide apportée aux esturgeons à museau court aux États-Unis, par exemple).