Christophe Bacquié/Arnaud Donckele  » Deux hommes qui partagent la même passion pour la cuisine depuis l’enfance  » pour Var Matin

 VAR MATIN –  à consacré une longue interview aux deux chefs trois étoiles du VAR, le premier Arnaud Donckele est installé à Saint-Tropez à l’Hôtel de la Pinède propriété du groupe LVMH, le deuxième Christophe Bacquié vient de recevoir la troisième étoile, installé au Castellet où il gère avec son épouse l’Hôtel du Castellet – Très amis dans la vie, ils partagent la même passion pour la cuisine, les mêmes médailles au guide Michelin, et le même attachement à cette région de Var.

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EXTRAITS –

Dans le Var, la cuisine est synonyme de perfection. Interview croisée des deux chefs aux prestigieuses trois étoiles. Sans retenue, ils évoquent leur métier, leur amitié mais aussi les producteurs qui embellissent leur quotidien. Duo de prodiges des fourneaux.

Une rencontre particulière. Deux hommes qui partagent la même passion pour la cuisine depuis l’enfance. Christophe Bacquié, Meilleur ouvrier de France, a grandi en Corse dans l’hôtel familial de l’île Rousse.

Arnaud Donckele a suivi son père, traiteur à Mantes-la-Jolie, qui lui a transmis l’amour du métier. De cet apprentissage, ils ont gardé tout au long de leur chemin, les belles valeurs d’un savoir-faire authentique.

Il y a dix ans, ils se sont croisés à Lyon pour ne plus se perdre de vue. Une amitié sans faille autour d’une table, qui, aujourd’hui, brille de trois étoiles au guide Michelin pour chacun d’eux. Un parcours remarquable qui rend hommage aux producteurs de notre région et à la délicatesse d’une cuisine inventive entre terre et mer.

Des chefs dont l’humilité fait plaisir à voir.

Christophe, Arnaud, quel a été votre parcours en quelques mots… 
CB: École hôtelière en Corse à l’île Rousse, puis passage rapide à Paris et à L’Oasis de Mandelieu. Retour sur l’île de Beauté dans l’hôtel de mes parents pour deux saisons. Service militaire au mess du cabinet du ministre de la Défense tout en travaillant dans la célèbre Maison Prunier. Nouveau départ en Corse pour y rester douze ans et obtenir pour la première fois, mes deux étoiles Michelin et le titre de meilleur ouvrier de France. En 2009, j’arrive à l’Hôtel du Castellet en tant que chef de cuisine. Pratiquement dix ans après, j’obtiens en février 2018, ma troisième étoile.

AD: J’ai commencé le métier à côté de mon papa pendant les week-ends et les vacances. J’avais douze ans. À 17 ans, je quitte le cocon familial et je rentre comme apprenti chez Goumard Prunier à Paris. Je dormais au-dessus du restaurant dans une chambre de bonne. Stage et formation par Michel Guérard, où j’ai d’ailleurs rencontré mon épouse. Puis, j’ai passé trois ans avec Alain Ducasse, Monaco et Paris. Adjoint de Jean-Louis Nomicos au restaurant Lasserre. En 2005, arrivée à la Pinède à Saint-Tropez, deuxième étoile en 2010 et la troisième en 2013.

Est-ce qu’un grand nom de la gastronomie vous a inspiré? 
CB: Ah oui, même plusieurs! Mais quand j’ai rencontré, Monsieur Louis Outier à L’Oasis (Mandelieu), cela a été une grande révélation. Je travaillais à l’époque en cuisine avec Stéphane Raimbault qui dirige aujourd’hui, l’établissement en famille. 
AD: Mon père était traiteur et on faisait beaucoup de table gastronomique. Il avait à l’époque, les livres de cuisine de la collection, Robert Laffont. (Bacquié nous coupe pour nous montrer qu’il a aussi cette fameuse édition dans son bureau). Il y avait tous les grands noms de la profession, dont deux que mon père aimait énormément, Alain Chapel et Michel Guérard. J’ai été nourri par leurs parcours, leurs savoir-faire et leurs belles tables.

Quel est le secret d’une recette réussie? 
CB: Je ne sais pas s’il y a un secret mais il doit y avoir une alchimie entre plusieurs produits. Pas vraiment un secret, mais plutôt donner beaucoup d’amour, avoir une bonne vision entre les différents ingrédients pour que le mariage entre tous ces éléments fonctionne. 
AD: Je dirais que c’est la rencontre entre un cuisinier et un produit qui amène à la naissance d’un plat en le faisant grandir comme un enfant. De l’adolescence à la maturité. Il faut comprendre qu’un grand plat ne se construit pas sur un geste instinctif. On le suit, on prend le temps, on l’écoute, on le peaufine pour qu’il vieillisse avec nous. On lui donne autant d’affection que l’on pourrait avoir pour un proche.

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Vous avez tous les deux, trois étoiles au Michelin, comment gérez-vous la pression? 
CB: Non, non, je ne ressens pas du tout de pression supplémentaire. On continue de travailler de la même manière qu’avant. C’est sûrement la chance de l’habitude, mais on ne peut pas appeler cela de la pression puisqu’elle existe depuis des années. Il y a une pression positive et négative, mais elle se retrouve dans tous les métiers du monde. Elle doit nous faire avancer dans un but commun, celui du client qui prend plaisir à venir découvrir notre maison et nous, de lui faire connaître le meilleur de notre cuisine. 
AD: Ce qui nous permet de nous maintenir à un tel niveau, c’est d’avoir toujours le doute. Nous sommes naturellement des perfectionnistes. Nous sommes des anxieux. On a peur de décevoir. Quand j’ai eu les trois étoiles, j’avais trente-cinq ans. Pour moi, c’était un peu excessif, j’étais plus que dans le doute. Il m’a fallu deux ans pour tout incorporer. On voit bien la différence avec Christophe maintenant, qui est plus âgé et plus expérimenté. Moi, j’étais jeune. Aujourd’hui, je l’assimile complètement. Je pense que nous sommes des gens qui n’aimons pas l’échec,  ce qui nous oblige à atteindre un certain niveau d’excellence. C’est quand on pense être très bon que l’on peut devenir mauvais.

En tant que Varois, il y a forcément une concurrence entre vous deux… Qu’est ce qui différencie votre cuisine? 
CB: Avant toute chose, il y a une grande amitié entre nous. On se connaît très bien et on s’apprécie beaucoup. J’adore la cuisine d’Arnaud que je trouve extrêmement précise, poussée à la perfection, avec une approche de ce métier et une construction de recettes totalement incroyable. On aurait tendance à dire que ce mec est perché! Il est habité par ce métier. Ce qui est important dans une cuisine, c’est quand on va manger quelque part, sans avoir vu le cuisinier, on doit pouvoir l’imaginer dans l’assiette. 
AD: (Dans son sourire, on le sent un peu gêné par autant de compliments) Christophe a fait un travail extraordinaire sur la mer et a une signature plus épurée que la mienne. Sa cuisine part sur l’essentiel du produit. C’est-à-dire que, quand on mange un poulpe chez lui, on mange un poulpe! Sa sauce aïoli est la meilleure que je connaisse. Il se met dans une technicité très cachée, issu d’une grande performance et en plus, il va capter l’histoire. Je suis son ami depuis plus de dix ans, il y a toujours un truc qui me bluffe chez Christophe, c’est sa détermination à vouloir aboutir à ses objectifs. Il a ce goût de la perfection. C’est un homme très direct et sa cuisine lui ressemble tandis que moi, je suis un homme un peu plus compliqué et ma cuisine me ressemble aussi. Tout ce que l’on fait est sincère.

Copyright Photo – Var Matin / F. Balle

À l’annonce des plats, dans votre cuisine, c’est plutôt « oui chef » ou le silence absolu? 
CB: à l’annonce des plats, c’est « oui chef » et ensuite, c’est silence absolu! 
AD: C’est plutôt ouais! (Grand éclat de rire des deux chefs). Je dois avouer que j’ai une cuisine un peu tumultueuse. On travaille en amont avec de la musique que l’on arrête pour le service. On a tellement d’éléments dans l’assiette que l’on se retrouve tous, très engagé.

Quels sont les secrets de la réussite dans votre métier? 
CB: Comme l’a dit très justement Arnaud tout à l’heure, il me semble que c’est l’engagement, la passion et surtout, l’envie de faire plaisir aux autres. On fait à manger pour des personnes que l’on ne connaît pas forcément. On répète la même chose, midi et soir. On joue deux pièces de théâtre par jour! Si on n’aime pas l’être humain, on ne peut pas faire ce métier. 
AD: Olivier Roellinger (chef trois étoiles) avait une jolie phrase: « Un bon cuisinier ne peut être qu’un bon cuisinier avec un grand cœur ». Je crois que l’on doit notre réussite à ce que l’on offre à nos clients et à l’amour que l’on donne à nos collaborateurs. Ils sont l’arcade essentielle à la cimentation du cœur de notre cuisine.

Pensez-vous qu’aujourd’hui, on a trop tendance à manger vite fait bien fait?
CB: Il y a de toute façon un cycle de vie où naturellement, tout va vite. Mais il y a dans notre pays une culture du bien manger comme le plaisir des repas de famille qui amène à se poser autour d’une table. Hélas, le quotidien des gens fait que l’on déjeune trop rapidement. 
AD: Dans le monde où nous vivons, tout va très vite et donc, on mange vite. Justement, j’aimerais dire que nos tables sont là pour arrêter le temps. C’est une déconnexion de la vie actuelle.

Vous sentez-vous ambassadeur de la gastronomie française dans le monde? 
CB: Je trouve que c’est trop prétentieux. Par mon statut, mon col bleu, blanc, rouge de Meilleur ouvrier de France que je porte au quotidien depuis 2004, d’être plutôt un ambassadeur de la cuisine française par la transmission des valeurs de ce métier, mais pas à travers le monde, c’est prétentieux à mon niveau. En revanche, je pense que la cuisine française et les cuisiniers qui la composent sont des ambassadeurs à travers le monde. 
AD: Pour moi, on est surtout des ambassadeurs de la sincérité et c’est déjà pas mal tous les jours. Dans le monde d’aujourd’hui, ce qui est le plus important, c’est d’être à la hauteur de ce que l’on nous a transmis. On est ambassadeur de nos trois étoiles et c’est très important. Au niveau international, la cuisine française a un socle primordial dans la construction de la cuisine du monde.

Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé faire? 
CB: Sans hésiter, j’aurai aimé être un gendarme du GIGN! 
AD: Et moi, sans hésiter, un paysan, mais je n’ai pas de regret parce que cela m’a permis de connaître cette personne, Christophe Bacquié.

Copyright Photo F Balle pour Var Matin
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