Alain Passard – en 2016, il fête les 30 ans de L’Arpège – Depuis 15 ans, il crée des rendez-vous amoureux avec ses légumes.

 L’Arpège célèbre ses 30 ans cette année, déjà 15 ans qu’il a banni la viande rouge de ses préparations. Le magazine Sabato-L’Échos est allé à la rencontre du chef Alain Passard, il se confie entre deux services en cuisine à son restaurant de la rue de Varenne à Paris. Pour comprendre la démarche culinaire de Alain Passard, il faut d’abord écouter et regarder avant de goûter.

À 59 ans le chef triplement étoilé a démarré comme maître-rôtisseur, dans son restaurant parisien, il a décroché trois étoiles Michelin grâce à sa célèbre “ côte de bœuf ”, grand virage en 2001, le chef en a soupé de la viande. Depuis, il ne cuisine plus que des légumes et des fruits de saison cultivés dans ses potagers. La viande, qu’il appelle “ tissu animal ”, a disparu de ses assiettes.

Aujourd’hui honoré grâce au guide Michelin, titré meilleur chef d’Europe pas le , un des seuls chefs classé au Fifty Best qui d’ailleurs l’a honoré pour sa carrière avec le prix « the 2016 Diners Club® Lifetime Achievement Award «, le chef qui s‘est toujours consacré à son seul «  Arpège  » continue à tracer les tendances culinaires d’aujourd’hui.

Alain Passard se crée des rendez-vous amoureux avec une tomate ou une asperge et, s’il n’a plus touché une aubergine depuis un an, les retrouvailles sont intenses.

F&S a décortiqué l’article et retenue les petites phrases du chef qui permettent de mieux cerner sa philosophie culinaire, pour retrouver l’article dans son intégralité cliquez sur le LINK.

La saisonnalité 

 » Trop de grandes tables offrent un spectacle contre nature : tomates, courgettes, aubergines, petits pois, pêches sont servis en janvier ! Sur tous les marchés, aujourd’hui, on te vend les quatre saisons d’un coup. C’est épuisant ! « 

 » Je n’ai pas la même main en été qu’en hiver. Je m’interdis de regarder une tomate en hiver ! « 

Il abandonne la viande

«  J’ai la chance de vivre deux vies : une première, centrée sur le tissu animal, et, depuis 2000, une deuxième, consacrée au le tissu végétal « 

 » La vache folle aura été une douloureuse rupture de confiance, mais cette mutation couvait en moi. Aujourd’hui, les saisons, créées pour nous épargner l’ennui, dictent mon tempo. Peu de chefs suivent cette partition dont nous sommes les interprètes. En revanche, si les doigts jouent avec vingt produits de saison, les accords sont immédiats. Ce solfège réduit est un régal !. »

Décliner le savoir faire animal dans le végétal

 » Mais une fois la saison épuisée, je ne peux plus voir une tomate en peinture ! J’attends l’automne : endive, céleri rave, panai, châtaigne. Au printemps, je piaffe : carotte, betterave, navet, oignon nouveau, choux, oseille, épinard. « 

 » Je décline tout le savoir-faire animal dans le végétal. Une betterave sera flambée comme un rognon. Une pomme de terre sera fumée comme le saumon. « 

Rôtisseur dans l’âme

 » Ces leçons de rôtisserie héritées de ma grand-mère. Je décline tout le savoir-faire animal dans le végétal. Une betterave sera flambée comme un rognon. Un céleri rave sera en croûte de sel comme le poulet du même nom. Une pomme de terre sera fumée comme le saumon. Griller une échalote, braiser un céleri: l’empreinte de la flamme est là. Et je transforme les bases de la cuisine animale, d’où les saisons sont quasi-absentes. Je n’ai pas la même main en été qu’en hiver. Très peu de chefs parlent de sens et de main. Les écoles hôtelières, qui devraient être les écoles des sens, ne les enseignent pas. Or, notre artisanat cisèle les sens : la vision ( je m’interdis de regarder une tomate en hiver ! ), l’ouïe ( je ferme les yeux, je suis d’oreille, au chant du feu ). « 

Changer les codes 

 » Le couturier palpe le grain d’un tissu. Sur nos tables de travail, nous avons ciseaux et aiguilles à brider. Le peintre joue des couleurs. Je jette les produits dans la casserole et j’ai un pinceau au bout des doigts. » 

Les légumes ouvrent des portes insoupçonnables

« Si je n’avais pas mis la main sur le légume, serais-je resté cuisinier? Pendant vingt ans, je l’ai ignoré. En 2000, c’était le parent pauvre: on parlait d’une belle poularde, jamais d’un beau poireau. J’ai tout réappris. »

Changement radical de route

 » Pourquoi le légume ne vaudrait-il pas trois étoiles ?  » …   » Au début, quel fouillis ! Tout mûrissait en même temps ! « …   » Je me suis acharné. Quand je me suis senti prêt, j’ai tout changé. C’était risqué.  » …   » J’avais dix ans d’avance. Personne ne m’a suivi dans cette voie. Et puis le légume a attiré une nouvelle clientèle, plus curieuse, plus exigeante.  » 

La transmission

« La main, trop présente, veut ajouter : il faut soustraire. Gommer le trait, effacer la main. Un plat qui me demandait une douzaine de gestes se résume à trois, irréductibles : la quintessence. L’agilité, la souplesse des doigts sont essentielles. Aux nouveaux, je souffle : “ sois délicat, attentif au voyage de la main, travaille visuellement, corrige olfactivement…” À 22 ans, ils sont pleins de cœur. Je leur donne l’esprit, les mots, les produits et je leur dis : “Faites-vous plaisir”. Et quand je sens un garçon fatigué, je lui dis: “ Pars donc quelques jours te ressourcer au jardin.” 

Les plats se créent dans le jardin, naturellement

 » Au jardin, ils sont voisins, arrivent à maturité en même temps. Le plat est déjà là ! L’harmonie des mauves et des roses est élogieuse. Si tu me jettes une tomate là-dedans, ça dérape !  » 

Les produits hors-saison : une catastrophe

 » Le hors-saison de nos marchés est une catastrophe sanitaire: ces produits subissent des traitements lourds. On égare les gens: au cœur de l’hiver, on les désaltère avec une tomate, fruit d’été, bon pour se rafraîchir quand il fait 30°. Et on se plaint: elle n’a plus de goût! Eh oui, c’est une tomate d’hiver… Non, l’hiver, on ne se désaltère pas, on se réchauffe : gratin de céleri, soupe de topinambour. L’organisme a besoin de nuances. » 

Contre nature

«  Produits contre nature ! Depuis dix ans, jamais nos clients ne nous signalent autant d’intolérances alimentaires. On doit nourrir le monde avec des produits qui ont une histoire, une identité, une provenance, un savoir-faire, un charme. Le jardin nous écrit tout et je suis le scribe fidèle de cette histoire.« 

…/…

Quelques hectares plus tard, entre 2002 et 2008, nos légumistes se sont multipliés, six jardiniers dans la Sarthe, trois dans l’Eure, un verger dans la baie du Mont St Michel, mais aussi deux ânes, deux juments, des hérissons, belettes et rapaces qui protègent nos bijoux végétaux des nuisibles. La palette s’élargit: cerfeuil tubéreux, scorsenère, rutabaga, topinambour, salsifis. Passard s’éprend de la variété: carotte sanguine ou pourpre, navet globe violet, navet boule d’or, navet noir, tour à tour amer ou plus doux, avec ses saveurs de cerfeuil, de ciboulette. En 2016, il sera friand de wasabi et d’agrumes -combava, citron caviar, pastèque janosik. Plus tard, il ira au sud, avec un jardin méditerranéen:  » L’écueil, c’est le transport, je veille à notre bilan carbone « . 

Source : http://sabato.lecho.be
Copyright : Sandra Delpech – Pauline Le Goff – Michael Graydon
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