L’Ametlla de Mar signifie « l’amande de mer ». Ce nom fait paraît-il allusion aux fruits des nombreux amandiers de l’arrière-pays que l’Ebre charriait autrefois jusqu’à la mer. Des courants portaient ces amandes dans une crique proche où elles s’amassaient, et le nom resta à la ville. Ces amandes de pré-salé devaient être fort bonnes à manger.
Tôt le matin, un catamaran de la société Tuna Tour nous emmène au large. Une publicité nous annonce en catalan que nous allons vivre — « probablement » — une des plus belles aventures de notre vie. Le « probablement » est une bonne précaution, car tout dépend des priorités qu’on se fixe dans son existence. Je me prends à rêver aux eaux tièdes de la Méditerranée où d’énormes poissons bleus esquisseront une chorégraphie paisible en ma compagnie. Ensuite, j’en mangerai un entier. La lumière polarisée du matin exalte les sens.
Nous croisons, assoupis le long de la jetée, les six thoniers dont dispose L’Ametlla de Mar. C’est la principale flotte thonière de Catalogne.
Au bout d’une demi-heure de navigation, nous arrivons aux parcs à thons aménagés par les autorités du port. La pêche du thon étant saisonnière, on conserve le produit de celle-ci dans ces immenses nasses où il est prélevé au fur et à mesure des besoins. On nous dit que ces messieurs thons font bien deux mètres. On va voir ça (ou pas).
On nous donne un masque et un tuba, et plouf. L’eau est un peu fraîche. Première surprise : elle est intensément saline. On y flotte. En position allongée, sans bouger, on est littéralement porté par l’eau. Et de fait, il y a des marais salants pas loin. Plif, plaf ! Mais qu’est-ce qu’on nous lance sur la tête ? Ça sent la poiscaille ! Des éclairs argentés descendent lentement devant nos masques embués. Je comprends vite : à bord, il y a deux cageots de petits poissons bleus, sardines et maquereaux, qui servent à appâter les thons afin qu’ils viennent plus près de nous. Malheureusement, c’est pleine lune et les eaux sont troubles. Et les thons, qui ont décidé ce jour-là d’être intelligents, n’ont pas envie de festoyer avec nous. À quelques mètres au-dessous de moi, je distingue dans la brouillasse bleu sombre de grosses formes ondoyantes qui attendent que les appâts descendent à leur portée au lieu de monter les chercher. D’autres participants ont eu plus de chance, mais on ne peut pas vraiment dire que j’ai nagé avec les thons. J’ai nagé au-dessus des thons. Les organisateurs, anxieux, décident de mettre le paquet et nous balancent des poissons morts à tour de bras. Le plus souvent, ça nous arrive sur le nez. L’eau, saturée, prend une odeur marine un peu trop prononcée. Je vais nager plus loin pour me débarrasser de ce relent et je remonte à bord. Heureusement, il y a des douches et des vestiaires : quand j’en ressors, je ne sens presque plus le maquereau pourri.
Je vais me venger. Des tapas de thon cru sortent du frigo, accompagnées de wasabi en tube et d’une flûte de bon cava. Le thon a beau sortir du frigo, peut-être décongelé, il est sublime et l’on comprend que ces poissons soient convoités par le monde entier.
Cela nous sert d’apéritif avant de débarquer à L’Ametlla de Mar, qui est décidément un très joli port. Sur le chemin du restaurant, nous découvrons ces petites rissoles appelées pastissets, fourrées à la julienne de courge blanche confite.
La Subhasta («La Criée ») est un petit restaurant du port où l’on sert des tapas et des plats plus consistants. Spécialité de produits de la mer et, bien sûr, de thon local. On nous apporte d’abord des tapas à l’anguille fumée, produit résolument « 0 km » puisque les canaux des rizières du delta de l’Ebre regorgent d’anguilles.
Elles sont suivies d’un tartare de thon : très belle matière première, mais un excès de sel et de sauce de soja met à mal le fondant du poisson.
Épatants petits couteaux simplement sautés avec un peu d’huile d’olive. Ceux-là mettent tout le monde d’accord. Vite dévorés.
Délicieuses crevettes blanches sautées.
Inévitable wok de thon rouge aux légumes (pour être à la page, faites des woks). J’aurais tout à craindre de ce genre de préparation, et les légumes sont oubliables mais le thon a très bien encaissé le choc. C’est probablement de la ventrèche, merveilleusement tendre.
Là, en revanche, ça déraille un peu. Thon en « tataki » (en fait, juste grillé) couvert d’épaisses tranches de foie gras, sur un lit de compote de pommes. C’est bon à condition d’éviter la compote mais surtout le foie gras, qui n’est pas bon et n’a ici aucune utilité. Je ne sais pas ce qu’ils ont ici avec le foie gras, on nous en a servi trois fois sur un séjour de quatre jours, et jamais il n’était bon. Mauvais plan : le foie gras n’est ni de saison ni bien choisi, mieux vaudrait oublier ce produit une bonne fois pour toutes. Faites catalan !
On se console avec un dessert inspiré du goûter des enfants catalans au retour de l’école : chocolat (ici une ganache), pain, huile d’olive et sel.
La Subhasta est un bon petit resto : évitez les plats trop élaborés, évitez surtout le foie gras, et concentrez-vous sur les poissons, les fruits de mer sautés et le thon préparé le plus simplement possible. Arrosez ça d’un vermouth ou d’un bon terra-alta blanc, essayez le même dessert que le mien (c’est dépaysant), mais vous pouvez aussi vous balader et faire fonctionner votre sixième sens, car je sens qu’il doit y avoir d’autres bons plans dans la ville.
La Subhasta – Carrer Sant Joan, 3, 43860 L’Ametlla de Mar (Tarragona). Tél. 877 916 023. Ouvert de 10 heures à minuit, fermé lundi.
Tuna Tour – Port Ametlla de Mar, L’Ametlla de Mar, 43860 Tarragona. Tél. : 977 047 707.
Merci à l’Office de tourisme de la Catalogne, au Patronat de Turisme de Terres de l’Ebre, à Tuna Tour et à Vueling.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud