La rue Sauval, où se trouve Mumi, n’a rien d’un mile, elle tient plutôt du double décimètre. C’est une rue de poupée. À un bout, elle abritait naguère Yam t’cha première époque, et trois pas plus loin, côté trou des Halles (quoi qu’on y construise, cette zone restera toujours un trou), se tient Mumi.
« Une démarche artisanale et artistique » est annoncée sur le site ; concrètement, elle signifie que producteurs, designers, vignerons, artistes, pêcheurs, éleveurs, maraîchers, etc., trouvent ici un point de rencontre. « Un esprit de générosité, d’authenticité et de partage que nous remettons en jeu tous les jours », est-il écrit.
Et nous, nous avons déjà senti ce parfum, humé cette ambiance. L’histoire avait commencé lors de la soirée d’ouverture de Porte 12, rue des Messageries. Vous la connaissez : sous l’égide d’Andre Chiang, Vincent Crepel aux fourneaux et Thibault Passinge au tire-bouchon. On continue de raconter l’histoire ici sur Food & Sens. Et désormais, elle se ramifie avec deux transfuges de Porte 12 : Thibault, propriétaire, et Angelo Vagiotis, chef.
Ramification, oui, parce que, si Mumi a sa nature propre, son atmosphère, son originalité, on perçoit bien une continuité d’inspiration : l’ouverture au monde. Un souffle de voyage, une dimension aérienne imprègne le lieu, au sein même de la luminosité et du confort de la salle. Un peu d’Asie vit ici, non pas une Asie exotique mais la sensation vitale que l’on ressent en Asie et pas ailleurs : embrasser le futur, vivre au rythme du monde, sans barrières mentales, sans pensées parasites, simplement être — ce qu’on éprouve à Singapour à Bangkok, en Chine, au Japon. C’est difficile à décrire, mais c’est tangible à Mumi.
Artisanat : l’Asie souffle aussi à travers la sensualité des matières et des gestes. La céramique, la pierre, le bois. Bols, verres, assiettes, plateaux sont l’objet de soin et d’attention. Le geste enveloppant du chef exprime tout. Petit restaurant, petite salle, confortable et intime, et pourtant on se sent comme en vol, on enjambe les continents.
On doit au street-artist Codex Urbanus quelques créatures fabuleuses sur un mur du restaurant et la signalisation des toilettes (irrésistible).
Une des plus belles, des plus racées cartes des vins de Paris, en équilibre entre ancien et nouveau monde. Bien pourvue en vins du Jura, de Bourgogne, d’Alsace, de Loire et de Bourgogne, mais également de Grèce, de Slovénie, d’Allemagne. Matthieu Arenas, le sommelier, nous sert un délicieux roditis nature du Péloponnèse, AOP Patras, qui a toute la distinction, la droiture et la finesse de ses origines.
Un dashi aux champignons shimeji blancs vient nous réchauffer avant les amuse-bouche.
Premier plat, éblouissant : un œuf onsen (un vrai, cuit à basse température avec le jaune onctueux, pas un œuf coque comme presque partout ailleurs) dans une crème de maïs, éclats de jambon, riz grillé.
En cuisine, un peu plus tard, nous verrons le maïs grillé qui sert à préparer ce plat. Artisanat…
Pigeon à la cuisson parfaite, sur une crème de champignons, la cuisse confite à l’arrière plan, selon une formule qui n’est pas rare mais qui est ici exécutée de façon ultra-gourmande.
Tartelettes au ruban de pomme, fines, délicates, et un travail de dingue. (Artisanat.)
Mon compagnon de table n’arrêtera plus dès lors d’y penser, et moi non plus, à cette clémentine de Corse fumée.
Ce dessert n’est possible, justement, qu’avec des clémentines corses, bien fermes, à la peau tendue. On débarrasse le fruit, après épluchage, de tous ses filaments blancs et on le fume tout simplement à la casserole, sous un voile de film étirable. Artisanat… On croque dans la fraîcheur intacte du fruit tout en éprouvant cette sensation de fumée, de feu de bois, qui évoque d’anciens souvenirs.
Mumi est plus qu’un restaurant, c’est un moment passé dans un univers parallèle. Profondément lové en plein cœur de Paris, il ouvre aussi sur l’ailleurs, dans une dimension insolite et ludique où la pomme se love en spirale pour devenir tartelette, où la clémentine se fume, où Racine a une trompe et où la marquise de Sévigné a des cornes. Ne vous arrêtez pas au style un peu décousu de mes impressions, ne cherchez pas à comprendre, réservez plutôt chez Mumi, là vous comprendrez.
Mumi – 14, rue Sauval, Paris Ier. Tél. : 01 40 26 27 54. Ouvert du mardi au samedi de midi à 14 h 30 et de 19 heures à 22 heures. Déjeuner : menu Chardin 29 € (2 étapes), 35 € (3 étapes) ; seulement du mardi au samedi. Dîner : menu Linard 40 € (4 étapes), Oudry 60 € (6 étapes).
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud