L’établissement n’est pas nouveau, mais il a fait peau neuve. Tante Marguerite, l’un des deux restaurants parisiens du groupe Loiseau, à deux pas de l’Assemblée nationale, s’est rebaptisé Loiseau Rive Gauche et s’est doté d’un nouveau chef.
Il s’appelle Maxime Laurenson, il n’a pas trente ans (juste vingt-neuf), sait très bien ce qu’il fait et ce qu’il veut et est originaire de Haute-Loire. Il affirme d’entrée de jeu sa source d’inspiration : son enfance en Auvergne, son contact avec les animaux, la nature, la ferme, les grandes tablées, la cuisine de partage, les petits producteurs auxquels il recourt. « Aujourd’hui, je peux dire que quatre-vingt-dix-huit pour cent des produits que j’utilise sont français. Nous avons, en France, des terroirs si riches ! Il faut les mettre en valeur, connaître et respecter leur saisonnalité. » La conversation de Maxime est fine, nuancée et éloquente. On perçoit en lui une sûreté de geste et de parole qui est la marque du vrai, voire du grand cuisinier. Maxime est un chef qu’on ne perdra pas de vue, dont le chemin se dessine clair et lumineux.
Autre pilier d’une grande cuisine : l’esprit d’équipe. La cohésion, la communion, la chaleur humaine sont immédiatement perceptibles dans l’espace de travail. Rémi et Marine sont aux amuse-bouche, Mauricio dans le fond s’occupe des girolles.
Le parcours d’un chef aide à lire sa cuisine : d’abord à La Cabro d’Or, chez Michel Hulin, aux Baux-de-Provence ; puis quelques années « très formatrices » à Lyon, chez La Mère Brazier, auprès de Mathieu Viannay sur lequel il ne tarit pas d’éloges ; un moment chez François Gagnaire au Puy-en-Velay « parce que je voulais revenir aux sources » ; le voilà ensuite chez Jean Sulpice, à Val-Thorens. Comme pour Mathieu Viannay, Maxime rappelle les profondes qualités humaines de Jean Sulpice et loue son approche culinaire. « Très formateur, là aussi. Cela a changé radicalement ma vision de la cuisine. Jean n’est pas un homme de dressage, d’assiette, c’est un homme de goûts. Au sens où pour lui seul le goût compte. Le dressage, me disait-il, ça se fait de toute façon, c’est secondaire. Quand j’ai commencé à travailler chez lui, il m’a fait passer quinze jours à tout goûter. Tout. Il est formidable avec ses employés, ses apprentis : il les emmène se balader, découvrir des lieux, des plantes, les forme individuellement. Et il prend sur son week-end pour faire ça. Ça m’a rappelé mon enfance, les herbes, les plantes sauvages — mais transposé à la cuisine salée. »
Après cette expérience alpine, Maxime monte à Paris. Il se retrouve sous-chef de Julien Roucheteau à La Table du Lancaster. C’est Julien qui, plus tard, l’aiguille vers Saulieu et la maison Loiseau.
Loiseau Rive Gauche possède un chef et une équipe de cuisine exceptionnels, mais aussi un sommelier remarquable : Benoît Bouquin, que j’avais déjà croisé au Boudoir en son temps mais que je n’avais pas reconnu en costard-cravate. Rigueur BCBG trompeuse, car Benoît a l’art de composer des accords quasi martiens, étranges, inattendus mais affinés au quart de poil — des accords qui font parler avant de boire et qui clouent le bec une fois qu’on a bu. C’est lui qui ose le côte-de-nuits sur le merlan, le merlot du Languedoc sur le steak, dégote un sauvignon blanc de Nouvelle-Zélande droit et tendu (image ci-dessus) et balance un rasteau sur du chocolat grand cru, tout en explicitant ses accords en termes clairs.
Un chef clair, un sommelier clair, serions-nous dans une maison de clarté ? Oui. Démonstration.
Les amuse-bouche sont nombreux, travaillés, chiadés. Ces petites choses qui ne supportent pas la médiocrité déboulent comme des surprises et pourraient toutes être développées en mode plat. Le chef joue des contrastes fraîcheur-croquant (tartelette de betterave), gras-acidulé-amer (foie gras, navet mariné, café moulu) et tape dans le mille à chaque fois.
Chou-fleur maraîcher à l’anguille fumée et aux cacahuètes. Maxime joue ici sur le mousseux, le frais, le végétal, le marin, le crémeux, le croquant et le fumé. Ce plat est visuellement magnifique : un petit jardin japonais, une île miniature qui prêterait à la méditation si on ne l’avait pas déjà croquée.
Cette composition d’un beau noir, gris et rouge est un maquereau au jasmin, jus de carotte et charbon. Maquereau flambé au chalumeau, fondant, touche de piment pas si légère que ça ; ça pique, brûle, rougeoie, croustille, ça annonce un peu Halloween.
Les petits cèpes se dorent au soleil de cet été parisien qui ne veut plus s’en aller. Ils font la ronde autour d’un jaune d’œuf cuit à basse température et baignent dans un somptueux sabayon au café. Café que l’on a déjà rencontré avec le foie gras : Maxime a un talent particulier pour utiliser le café en cuisine salée. Un talent rare, car selon mon expérience, tout le monde ne peut pas en dire autant.
Chic ! Du merlan ! En cuisine gastronomique, il faut plus de talent pour servir du merlan que pour servir du turbot. D’abord parce que n’importe qui peut réussir un turbot, produit solide et qui a le dos large, et qu’un merlan a besoin de soins infinis, d’un toucher délicat pour donner le meilleur de lui-même. Une nanoseconde de trop et il est surcuit. Ici, rôti, il reste nacré, avec la merveilleuse texture légère, cristalline propre à ce poisson. Servi avec girolles, purée de girolles, oxalis et crème à la reine-des-prés, qui domine le tout de son goût distinct d’amande amère.
Benoît Bouquin enrobe la chose, y met les formes, mais enfin il faut en convenir, il a bien servi du côtes-de-nuits avec le merlan. Il aime, nous dit-il, les accords rouges avec certains poissons. Ici, le point de jonction se trouve être la girolle et son arôme de sous-bois. On n’aurait pas cru, pourtant ça marche.
Le merlot vient d’atterrir pour accompagner le dernier plat : vache laitière fumée, jus de viande au foin, oseille, radis glaçon. Il est du Languedoc et la vache est une holstein, race qui assure côté lait quand on ne la pousse pas au rendement industriel (elle n’y est pour rien, toutes les vaches sont gentilles), mais qui est encore plus intéressante côté viande (désolée pour elle). Cette vache-ci, au moins, est une laitière, ce qui signifie qu’elle a passé toute une belle vie à se faire du muscle et du persillage pour aboutir à ce steak merveilleux, fondant, goûteux, gras et pourtant léger, qui repose sur une purée d’oseille et s’accompagne de petits radis sautés (plat malheureusement non photographié, j’ai tout mangé avant.)
Cette mousse de myrtilles, glace au lait d’amandes, vient poser sa touche fraîche et acide en attente du dessert.
Chocolat grand cru des Caraïbes, tagète. Ma voisine de table croit avoir chopé un Pokemon rare. Mais c’est une sphère de chocolat dont les petites ailes semblent symboliser le nouvel essor de Loiseau Rive Gauche. Ma capacité chocolat est limitée, surtout en présence de ganache (trop riche pour moi), mais l’alliance avec la tagète est subtile et fraîche.
La conclusion sera brève. Si vous voulez mon avis, même si vous avez désactivé votre bloqueur de pub, détournez un instant votre attention des sempiternels mercato de palaces, gargotes à burgers branchouilles, brasseries interchangeables à tables en bois brut ou restos à concept. Allez plutôt profiter du talent de ce chef et de ce sommelier exceptionnels, et plus tard, vous direz à vos petits-enfants : j’ai goûté sa cuisine quand il était tout jeune.
Merci à Bérangère Loiseau.
Loiseau Rive Gauche – 5, rue de Bourgogne, Paris VIIe. Tél. 01 45 51 79 42. Métro Assemblée-Nationale, Solférino. Ouvert du mardi au samedi de midi à 14 h 30 et de 19 h 30 à 22 h. Déjeuner du marché, entrée-plat 39€, plat-dessert 29€. Légumes en fête, menu en 4 services : 45€ ; avec accords vins 80€. Nature instantanée (carte blanche au chef) : 88€, 135€ avec accords vins. Menu de saison 4 services 68€, avec accords vins 105€. Carte environ 110€.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
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tres beau billet, je vais vite aller me faire ca.