Essai de synthèse des Arlots, puisque j’ai dit plus haut que c’était plus compliqué qu’une affaire « bistrot de copains combiant nos rêves urbains de saucisse-purée et de plats canaille » : c’est un cœur avec un bistrot autour. De superbes savoir-faire de chef et de sommelier accompagnés d’une grande âme. À la table à côté, il y a le petit vieux monsieur du quartier qui vient déjeuner tous les jours et qu’on soigne avec tendresse. Plus loin, Tristan Renoux, l’homme de salle, discute longuement des caractéristiques du vin qu’il s’apprête à servir à une tablée. C’est le genre de sommelier dont le mode d’emploi est simple : laissez-vous faire, ça va forcément être bon. Vins naturels, souvent des références rares et de très belles surprises. On est aussi amateur de chartreuse : jaune, verte, VEP, en magnum et même en élixir — on ne voit pas souvent ça au restaurant. Qu’en fait-on ? « On la boit ! Quand, par exemple, certains ont un peu abusé… »
Thomas Brachet a passé quelque temps à La Maison Blanche, mais c’est surtout l’ouverture du Beef Club qui l’a fait connaître. Je ne le connaissais pas quand j’y avais dîné à cette époque, mais j’avais été éblouie par ces plats généreux, brillants, dotés de ce quelque chose de gonflé, doré, croustillant qu’on attend d’une cuisine de grand-mère. Inutile de dire que lorsque je suis retournée au Beef Club après le départ de Thomas, la magie s’était fait la malle. Et plus tard, à propos des Arlots, chaque article ou avis était rédigé sur le mode « J’ai enfin retrouvé la cuisine de ma mémé ! »
La cuisine de Thomas possède un style très personnel : elle est enlevée, vive, sûre d’elle, bien ancrée dans la terre. Elle respire un métier considérable qui ne veut rien tant que s’exprimer dans la simplicité. Le chef se fiche bien de savoir si elle est tradi ou moderne, bistrot ou néobistrot, créative ou classique : tout ce qu’il veut, Thomas, c’est faire à manger et lire la satisfaction dans les yeux des convives, partant de produits exceptionnels qu’il recherche inlassablement mais, surtout, trouve inlassablement. Par exemple, nul mieux que lui ne sait choisir les viandes. Thomas, c’est un peu Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. » Thomas est un aubergiste, ce qui, dans mon vocabulaire, n’est pas loin de la distinction suprême.
Démonstration faite par ce splendide pâté en croûte aux quatre viandes, préparé chaque jour. Ci-dessus sur assiette et ci-dessous en cuisine, sorti du four, en repos pour le service du lendemain.
Il faisait chaud et soif ce jour-là. Je me suis d’abord précipitée sur l’eau pétillante (ça change de la Badoit et même de la Chateldon).
Puis j’ai continué à me requinquer avec un rozetto, étonnant pet-nat orange « mis en bouteille à la caravane », ladite caravane stationnant dans le Maine-et-Loire.
Vous n’alliez tout de même pas couper à l’étiquette.
Pas plus que celle de cet excellent rosé de Milan Nestarec, vigneron nature de République tchèque (Moravie du Sud).
« Il fait chaud aujourd’hui, semble s’être dit Thomas ; je vais leur faire un petit gazpacho bien vinaigré pour les rafraîchir. » Ma maman n’aurait pas raisonné autrement.
Palourdes, girolles, courgettes trompettes. Un seul mot : miam.
Délicieuses trenette au ragù, basilic et parmesan. Le genre de pâtes qu’on se fait chez soi quand on a un gros coup de barre, en beaucoup mieux.
Dessert à l’abricot, crumble, cédrat. Je n’ai pas pris de notes (j’étais avec des copains, il y a des jours où l’on ne peut pas faire trente-six choses à la fois) et je ne me souviens pas du détail. Si j’ai fait quelques erreurs, que Thomas me les pardonne (et me les corrige).
Pour conclure : 1 = c’est la meilleure saucisse-purée de Paris (déjà dit), 2 = mais il n’y a pas que la saucisse-purée (loin s’en faut), 3 = vous êtes dans une des rares auberges parisiennes, où l’on prodigue trois choses essentielles : une belle cuisine, de très beaux vins et beaucoup d’amour.
Les Arlots – 136, rue du Faubourg-Poissonnière, Paris Xe. Tél. : 01 42 82 92 01. Métro Gare-du-Nord, Poissonnière, Barbès-Rochechouart. Formules déjeuner à 18 et 21€, carte 36-46 le soir.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud