Le crabe royal du Kamtchatka (Paralithodes camtschaticus) est également appelé king crab ou crabe de Staline (cette dernière appellation en jette particulièrement. Je visualise le célèbre Géorgien toutes moustaches dehors, en uniforme, brandissant un crabe plus large qu’il n’est haut). C’est un monstre marin qui peut atteindre douze kilos et deux mètres d’envergure. De couleur brun-rouge au naturel, il devient vermillon à la cuisson, d’où son autre nom de crabe rouge du Kamtchatka. Pêché depuis la fin du XIXe siècle en Russie, il a été introduit dans la mer de Barents où il s’est empressé de se multiplier au-delà de toutes les espérances (son prix n’a pas baissé pour autant, je dis ça je dis rien). Ce crabe prolifique a déjà commencé à gagner les côtes de Norvège, ce qui fait craindre à terme pour les écosystèmes de la façade est de l’Atlantique Nord, parce qu’évidemment cette créature bouffe tout. Il y a une solution simple à ce problème : manger du crabe royal, beaucoup de crabe royal.
Depuis peu, c’est possible à Paris. Le crabe de légende est arrivé place de la Madeleine. À côté de la Maison de la Truffe et de Caviar Kaspia (la maison mère), un très beau restaurant bleu glacier, décoré par l’architecte d’intérieur espagnol Thomas Urquijo, s’est fait l’écrin du crabe royal. C’est aussi une boîte à gourmandises marines, car il se double d’une épicerie fine : crabe royal bien sûr, huîtres, saumon frais, huile de homard ou maquereaux à l’huile d’olive. Dans la vitrine, un gigantesque crabe émergeant de la glace vous ouvre grand les pinces : vous êtes prévenus.
Vous pouvez prendre place en salle pour un déjeuner ou dîner confortable, ou au bar pour un en-cas de nuit ou d’après-midi : on sert en continu de midi à 22 h 30.
La carte, imaginée par le chef exécutif Xavier Caussade, pioche dans toutes les tendances culinaires actuelles et affiche un parti pris de fusion indéniable (aji amarillo dans les rillettes de crabe, soupe miso au crabe…). Elle met le doigt sur toutes les nuances de la gourmandise : c’est un festival de BCDOAE (bonnes choses dont on a envie). Je prévois que le comptoir en cuivre va accueillir pas mal de fringales. En manque de crabe royal ? Évidemment vous êtes au bon endroit. Mais si vous êtes en manque d’huîtres, vous pouvez gober ici la délicieuse Tsarskaïa des parcs Saint-Kerber à Cancale, vous sustenter de sardines à l’huile millésimées ou de de tarama au corail d’oursin. Quand à maître Crabe, il est décliné en rillettes, bouchées vapeur façon dim sum (toujours cette confusion occidentale entre dim sum et bouchées vapeur, mais passons, c’est un autre sujet), rouleau de printemps, tarama, ceviche, salade, roll, soupe miso, noodles (et non « nouilles », ça sonne mieux) et oui, bien sûr, burger (on commençait à s’inquiéter). Toujours dans le style fusion qui caractérise la maison, les à-côtés incluent coleslaw et chips de légumes, les desserts (de chez Rachel’s) se nomment cheesecake, devil’s cake et key lime pie.
Nous commençons par les taramas maison, tous excellents : nature, crabe, corail d’oursin et wasabi. Petite préférence pour la version wasabi, qui s’écarte quelque peu du tarama classique mais explore des voies encore insoupçonnées.
Ensuite un ceviche de saumon frais, servi un peu plus froid qu’il ne conviendrait à un ceviche, mais très honorable.
Ce serait vraiment bête de ne pas honorer le seigneur du lieu. C’est pourquoi l’assortiment découverte, un trio de pattes de crabe royal — grillée, gratinée et caramélisée —, s’impose. Original, très bon, même si la cuisson supplémentaire a tendance à raidir un peu cette chair délicate. Mais enfin, quand on veut du gratiné, il faut bien que ça gratine.
Pour les vins, il est bien entendu de rigueur de se mettre en mode champagne ou blanc sec bien frais, mais je conseille les bières, choisies en harmonie avec la cuisine des mers, par exemple la Wim belge. Allez donc place de la Madeleine découvrir le crabe géant : vous pourrez vous adonner aux plaisirs du snacking chic, du picorage sélect et du casse-croûte de qualité. Et en plus, vous contribuerez peut-être à protéger les côtes de la Norvège.
Note : cette chronique est garantie sans jeu de mots du type « vous allez en pincer », etc. Nous, à Food&Sens, on ne mange pas de ce pain-là. Mais je vous propose un petit jeu : cherchez sur Internet quels blogueurs ou journalistes n’ont pas pu résister (et en conclusion d’article, par-dessus le marché). Jusqu’ici, j’en ai trouvé trois. Qui dit mieux ?
Crabe Royal – 19, place de la Madeleine, Paris VIIIe. Tél. 01 81 69 96 70. Carte entre 20 et 60 euros. Ouvert du lundi au samedi de midi à 22 h 30.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
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j'en Pince !
Haha t'as pas pu t'en empêcher ! <3