Donc, si vous voulez d’excellents saumons et harengs dans une confortable ambiance de bar-brasserie à moquette, ou même si vous voulez les emporter chez vous, restez sur terre au Flora Danica. Mais si vous voulez prendre un petit aéronef qui vous mènera au plus près de la nouvelle cuisine danoise sans quitter Paris, avec vue sur les Champs-Élysées, c’est à gauche dans le couloir et vous prenez l’ascenseur. Mais attention : bien qu’Andreas ait travaillé auprès de Claus Meyer (« the other man from Noma ») et René Redzepi, et bien que l’équipe soit presque totalement danoise (il y a un Norvégien), ici, pas de fourmis sur du yaourt ou autres appeaux à classement international du fine dining. Vous n’aurez même pas une trace de pyrotechnie moléculaire. Et la culture du foraging (cueillette sauvage), ici, ne vous mettra pas d’écorces de mélèze fermentées sur l’assiette, mais plutôt des symphonies douces à base d’aneth, de persil, de concombre acidulé, de pomme croquante, de romarin, de ficoïde glaciale à identifier à la loupe, et de savoureuses macérations de fruits, d’herbes et de légumes dans l’aquavit.
Nouveau, nordique, oui, mais tout en douceur. Si l’on devait résumer les grands thèmes de cette cuisine, on citerait le cru, le vert et l’adorable. Un certain sens du comfort food — ces sauces onctueuses, crémeuses, qui enchâssent les saveurs intenses du cèpe ou du homard. Une intention délibérée de bichonner le client, de le baigner dans le hygge (prononcez hougga), ce concept typiquement danois du bien-être, du confort vital, du plaisir dans la simplicité et de l’écoute des sens. L’équipe, nous dit le sommelier, est très soudée et fonctionne de façon démocratique (sans vouloir être déplaisante, en cuisine, c’est assez rare). La solidité, la netteté des plats témoignent de cette dynamique culinaire.
Autre dimension qui fait la singularité du restaurant : le travail sur les vins. Baptiste, le sommelier, ne se contente pas de les choisir, il les commente dans le détail, explicite l’accord, transmet l’histoire et le contexte. Nous goûtons successivement un riesling de Josmeyer impeccable et net, un lébraz (blanc de Savoie) de la maison Blard et Fils intensément minéral ; puis un stupéfiant chardonnay du Jura longuement vieilli qui s’oxyde avec la grâce d’un savagnin. Les fromages seront accompagnés d’un maury rubis tout en amertume, ce qui est assez culotté mais fonctionne très bien.
Au cours d’un repas irréprochable, deux plats ont particulièrement crié à pleins poumons le talent du chef : le premier, le tartare, est commandé en supplément du menu de midi, car j’en suis curieuse. Et il mérite tous les éloges : bœuf cru coupé au couteau, mayo aux cèpes, pickles de girolles, pickles de bourgeons d’ail des ours, grains de seigle grillés, tuile de seigle crousti-transparente. Frais, savoureux, croquant, hyperbon.
Et le second, plat principal du menu de midi, est un filet de turbot poêlé au beurre surmonté d’une choucroute danoise (chou fermenté et chou frais poêlés ensemble), bisque de homard et une grosse, grosse choupette de truffe noire râpée. Nous n’avons pas de mots pour dire combien c’est bon, tout ça.
Avant cela, tout a commencé par un peu de chair de crabe, petits dés de céleri acidulé, crème d’aneth. On s’est dit : ça commence bien.
Lieu jaune cru mariné à l’huile de combava (heureusement discrète), persil, concombre salé, herbes et chicorée castelfranco. Le voici nu,
Et le voici habillé d’une crème au caviar.
Le Danemark, l’autre pays du fromage. Ils étaient tous formidables. Pourquoi connaît-on si peu les fromages danois en France ? Crémeux, pleins de caractère, voire un peu loubards mais toujours avec classe, bref parfaits. De droite à gauche dans le sens horaire, pâte dure type cheddar d’un acidulé-crémeux très délicieux ; « camembert » bien fait et droit dans ses sabots ; petite croûte lavée « juste au début et qu’on a laissée fleurir pour lui garder de la douceur » ; crémeux genre mont-d’or en plus polisson ; et enfin un bleu qui envoie du bois, avec un côté hussard très séduisant. Au centre, compote de coing maison.
Une petite goutte pour finir ? Nous découvrons les aquavits macérés maison, bien glacés comme il se doit : framboise d’une grande pureté et aneth-raifort viril et puissant qui serait un très distingué compagnon pour du caviar ou des poissons fumés (à l’étage au-dessous, comme je l’ai dit plus haut).
Y aller ? Oui. Le Copenhague est confortablement assis sur la prise de risque et la valeur sûre ; associer confort et surprise, pour un restaurant, c’est une sorte d’exploit alchimique.
Copenhague – Maison du Danemark. 142, avenue des Champs-Élysées, Paris VIIIe. Tél. : 01 44 13 86 26. Métro Charles-de-Gaulle-Étoile. Ouvert du lundi au vendredi de 12 heures à 14 heures et de 19 heures à 22 h 15. Carte environ 75 €. Menu déjeuner en trois services 55 € ; le soir menus Copenhague et végé 75 € et menu signature Andreas Møller 115 €.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud