Quinsou : pâté en croûte lustré d’une gelée iodée.
Pélamide (bonite) du Cap-Ferret, vinaigrette à la lime de Corse, fenouil des Jardins de Courances
Antonin, c’est tout sauf la hype. C’est un surprenant mélange d’avant-garde et de paysannerie. Une cuisine traversée par la beauté, artistique dans ses moindre compositions, et dont les produits sont captés aux meilleures sources : les plus secrètes aussi, les plus inattendues. Antonin est un chef transversal. Là où d’autres marchent droit sans faire un pas de côté (et c’est pourquoi on retrouve un peu partout les mêmes produits et les mêmes fournisseurs), lui fait la course zigzaguée du lièvre à travers les champs, rapportant des pépites qu’on ne voit pas ailleurs, osant un mix de chevreau grillé, braisé, rôti, plus le foie servi à la fin parce qu’on aime ça ; de l’aspérule odorante pour parfumer une glace, des herbes et des feuilles peu communes, les fromages de la chèvrerie du Châtain (qu’il est un des rares chefs à pouvoir se procurer) et la tarte aux fraises de sa grand-mère. « Je ne suis pas compliqué, mais je suis un puriste », dit-il.
Fromage de chèvre de la ferme du Châtain avec un chutney de quetsches.
Courges kabocha et patidou, cédrat et basilic. Un de ces poétiques plats de légumes dont Antonin a le secret. Ils les assemble avec une telle délicatesse qu’ils font presque entendre une mélodie.
Antonin n’est pas de ces chefs qui font des claquettes et des ronds de jambe devant les caméras. Discret, courtois, doté d’un rayonnement doux et d’un humour gentil, il suit son chemin et exprime, en bon Cévenol, son hédonisme et sa sensualité dans la sincérité et la rigueur. Avec lui, on est à Paris mais la terre n’est jamais loin. C’est pourquoi l’on retourne encore et encore à Quinsou, secret d’initié, aussi éloigné qu’on peut l’être des adresses qui captent les attentions superficielles.
Risotto carnaroli di Acquarello aux cèpes, avec une bonne râpée de truffe d’Alba.
Pour décrire la cuisine d’Antonin, Le Fooding emploie l’adjectif « hypnotique ». C’est vrai : il y a quelque chose de féerique dans chaque assiette, d’abord visuellement, ensuite au goût : adroitement superposées, les saveurs sont en petit nombre et l’harmonie est envoûtante, caressante, spécifique à ce cuisinier. On ne pourrait confondre une assiette d’Antonin avec aucune autre. Rarement a-t-on exprimé son style avec tant de modestie et de personnalité à la fois.
Mulet noir de Saint-Jean-de-Luz, purée de courgette, haricots cocos (tendres comme du beurre) et sauce champagne.
Hypnotique et optique : c’est le seul chef, à ma connaissance, dont les assiettes soient photographiables sous n’importe quel angle. Au restaurant, généralement, quand on pose une assiette sur votre table, ce n’est pas le bon angle. Il faut la faire tourner sur elle-même pour le trouver. Avec Antonin, vous pouvez shooter sur toute la circonférence. Lui seul à ma connaissance est capable de ça. Cela dénote un sens artistique qu’on trouve rarement ailleurs, du moins sous cette forme.
Tarte fine aux pommes Ariane, sorbet fromage blanc. Les tartes d’Antonin sont célèbres : ce sont toujours des pièces d’orfèvrerie et de gourmandise.
Et comme il n’est pas à une gâterie près, Antonin pose cette assiette en murmurant tendrement : « Ce sont les dernières. » Le dernières fraises, savourées avec une tuile, un crumble et une glace vanille.
Verveine, écorce d’orange séchée. C’est l’infusion du jour, transition entre notre repas et la visite de la boucherie.
Antonin et son travail expriment le calme très particulier de ceux qui ont traversé beaucoup de tempêtes. Il a bourlingué, il a vécu — L’Oustau de Baumanière, Michel Bras à Laguiole, la Green House à Londres, la Corée dont sa femme est originaire, enfin Paris où il chope une étoile Michelin au Sergent Recruteur, de même qu’il en a une à Quinsou. S’ensuit un bout de chemin avec le projet pharaonique et discordant de La Jeune Rue, où il semble avoir trouvé assez de contre-exemples pour renforcer encore son honnêteté et sa probité. Quand une gemme est pure, rien ne peut la ternir. Il se relève, même pas mal, et ouvre Quinsou, ce qui signifie « petit oiseau » en cévenol, mais surtout paix retrouvée.
Antonin, chef boucher, dans une des rares chambres froides sèches encore en activité à Paris.
En une démarche rare parmi les chefs mais qui n’a rien d’étonnant quand on le connaît un peu, Antonin a repris récemment une boucherie à quelques pas de son restaurant. C’est désormais la boucherie Grégoire, et Antonin y réalise un rêve : rapprocher du public ses producteurs et éleveurs chéris. Il hérite d’un local somptueusement vintage mais pas très clean dans les coins sombres, nettoie tout de fond en comble, garde ce qui est beau et solide, rénove le reste, et remplit tout cela des plus belles viandes de races anciennes et d’élevage extensif.
Nico, Monsieur Pâté en croûte à la Boucherie Grégoire (et à Quinsou).
Quand on découvre les produits de la boucherie d’Antonin, on comprend mieux encore sa cuisine et sa dimension esthétique où la forme n’est que la pure expression du fond : cette grâce est le résultat d’un contact amoureux avec la matière première. Cette beauté qu’il donne à ses assiettes, il la communique aussi à ses viandes : saucisses rondouillardes et généreuses, paupiettes joufflues et mignonnes comme des petits Amours de plafond vénitien, steaks hachés qui ressemblent à des natures mortes de Chardin. Il ne le fait pas exprès, c’est sa main qui est comme ça. Tout est beau, on a envie de tout acheter. Les poulets ont encore leurs pattes, on ferait volontiers des bisous au collier d’agneau, et les produits d’épicerie sont triés sur le volet.
Les plats cuisinés de la boucherie traditionnelle sont bien présents, sans aucune affectation : le bon vieux gratin dauphinois, le céleri rémoulade des familles, la terrine de bœuf cuit avec sa rangée de carottes, et, en hommage aux origines du chef, des caillettes cévenoles.
On a connu des bouchers qui deviennent restaurateurs, moins souvent des chefs qui deviennent bouchers. À une époque où la boucherie est menacée, entre attentats vegans et propagande anti-omnivore, et où la stupidité de l’époque entend mettre tout le monde dans le même panier — élevage industriel intensif et élevage traditionnel extensif —, il est bon que des chefs prolongent leur activité par des initiatives au service du bon goût, mieux : de l’alimentation, de l’agriculture, de la société même. Ce que La Jeune Rue voulait réaliser en mode élitiste et grandiloquent, Antonin le réussit en mode commerce de quartier. Alors merci, Antonin !
Quinsou – 33, rue de l’Abbé-Grégoire, Paris VIe. Tél. : 01 42 22 66 09. Ouvert du mardi au samedi, fermé lundi et mardi.
Boucherie Grégoire – 29, rue de l’Abbé-Grégoire, Paris VIe. Tél. : 01 42 22 58 41. Ouvert de 9 h 30 à 19 h 30 du mardi au samedi.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
Voir les commentaires (2)
Bonjour
Je suis attachée de presse et je souhaite vous rajouter à mon fichier de journalistes gastronomiques. Merci de me donner votre email pour les communiqués de presse à venir
Avec plaisir ! s.brissaud@foodandsens.com