Cet article, je dois le préciser, répond à la question fondamentale : où aller à Paris quand vous êtes pris brusquement par une envie de pied de veau ? Ne riez pas. Vous en connaissez beaucoup qui vous en servent ? Plus personne, évidemment. Et vous trouvez ça normal ? Vous me décevez.
Barbès, entre autres détails pittoresques, est un quartier plein de mecs debout dans la rue avec leur portable. Appuyés sur un poteau, ils gueulent dedans ou ils pianotent dessus. Des gars s’attroupent devant les salons de coiffure, on ne sait jamais trop pourquoi. Un Pakistanais hèle les passants avec des Psst ! Psst ! mais personne ne s’arrête. Pendant quelques minutes, je deviens l’un de ces personnages à portable, je me cale moi aussi contre un poteau et je pianote à la recherche d’un restaurant dans le coin sur le site 716 La Vie de mon ami Guillaume Le Roux. Malheureusement, sa carte des restaurants de Paris n’est pas très praticable sur téléphone. Au bout de quelques tentatives infructueuses de localiser une gargote, je me dis : et puis zut, il fait trop chaud, mais il fait faim. Je range l’appareil et je regarde où je suis : au coin de la rue de la Goutte-d’Or. Ce sera bien le diable si je ne trouve pas quelque chose à manger rue de la Goutte-d’Or.
Au bout de quelques pas, je débarque sur une placette littéralement grillée de chaleur et de lumière. Une vision surexposée me laisse percevoir une enseigne, AGAD’OR, que j’ai déjà vue sur le site de Guillaume. Je ne sais pas ce que Guillaume a écrit dessus, mais si c’est sur le site, c’est que ça vaut le coup, donc j’entre en toute confiance.
Non sans avoir admiré le menu affiché sur la façade. Vous noterez que les prix de quelques assiettes ont été scandaleusement augmentés de 5 à 6 euros d’un adroit coup de marqueur. Il me suffit de lire pied de veau pois chiches, couscous maison, soupe harira ou foie et frites pour savoir instantanément que c’est un endroit pour moi.
Par cette chaleur, peu de gens sortent, il n’y a pas foule. Quelques convives assis mangent tranquillement. La salle est décorée de carreaux muraux à motif zelliges. L’ambiance est détendue, bienveillante. On sent qu’on est dans une affaire familiale. L’accueil est charmant, attentionné. Un bzzzzzzzt retentit, une délicieuse odeur de café moulu s’élève un instant. Le café est moulu sur place.
Le restaurant fonctionne en mode buffet. À gauche de l’entrée, la zone grillades et frites : les viandes marinées (poulet, foie d’agneau) sont rangées dans des bacs. Tout est très clean.
Du côté du buffet chaud, ça sent bon. Les plats sont variés. Il y a plusieurs viandes, plusieurs accompagnements. Le couscous paraît léger comme un nuage. Le poulet aux poivrons, aux olives vertes et aux petits pois a bonne mine. Guillaume a raison, il y a ici une véritable attention au détail.
Pour moi, ce sera le pied de veau. Le chef me demande quel accompagnement je désire : j’opte pour les haricots blancs, car je devine qu’ils sont exactement comme j’aime, noyés dans une sauce tomate pimentée.
Vous avez du piment ? demande une cliente. Oui madame, vous avez de l’harissa juste à droite.
Mon plateau. Haricots blancs tomate, pied de veau aux pois chiches, jus d’orange et bouteille d’eau fraîche. Je me sens comblée.
Je vous entends déjà : Par cette chaleur ? Eh bien oui, vous ne saviez pas ? Quand il fait très chaud et que notre organisme n’a aucune envie de faire le moindre effort, il n’est pas si bon que ça de manger des crudités, des salades, des trucs qu’on digère laborieusement et que la canicule défraîchit vite. Exception faite pour la tomate mondée, qui passe en toute circonstance. Il faut au contraire — et c’est la grande leçon apprise dans les pays chauds — des plats longuement cuits, très mijotés, abondamment saucés et de texture moelleuse. Un peu de piment, comme antiseptique et générateur de transpiration, ne fait pas de mal. Et avec ça, je me régale.
Les haricots sont parfaits, fondants dans cette sauce tomate, disons plutôt une soupe, subtilement pimentée. L’assaisonnement est parfait, on a mis beaucoup de persil plat. C’est délicieux, bienfaisant, digeste, très satisfaisant par cette chaleur.
Le pied de veau, lui aussi nappé d’une riche sauce tomate, se découpe à la cuillère. C’est un vrai régal.
L’addition : 8 euros. Il ne me reste qu’à remercier Guillaume et à ressortir de cet établissement régénérée par cette bonne nourriture. Même sous le cagnard, je ne ressens aucune pesanteur post-prandiale. J’ai eu mon fix de collagène et de sauce tomate au litre, ça me donne l’énergie de traverser en autobus la fournaise parisienne. Je reviendrai bientôt essayer les autres plats. Vous l’aurez compris, je n’ai pas besoin d’insister là-dessus : mon genre de cuisine préféré, c’est celui-là : populaire, humble, généreux, onctueux, savoureux. Je sais qu’il est à la mode, en ce moment, de prétendre que la common decency n’existe pas. Je ne suis pas de cet avis. Rien qu’en cuisine, elle nous prouve partout son existence.
Agad’Or – 46, rue de la Goutte-d’Or, Paris XVIIIe. Métro : Barbès-Rochechouart.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
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Didier GAUTHIER recherche DÉSESPÉRÉMENT une photo de son grand père : MOHAND HAMMICHE (1903-1961), NÉ À AîT SALAH, en Kabylie.
Arrivé en France, il avait ouvert un café à Barbès, Rue de La Goutte d'Or, dès les années 1920-30.
Célèbre dans ce quartier...Il était surnommé : "le ROI DE BARBÈS".
Didier GAUTHIER A MIS SON ANNONCE SUR : "PHOTOS ANCIENNES CHERCHE DESCENDANTS" depuis Novembre 2019, sans résultat...
même pas en allant sur place, à Aït Salah !
Est-ce que POUR LUI FAIRE PLAISIR, quelqu'un aurait une photo de ce café entre 1920 et 1961 à lui transmettre ? de ce genre de photos où on voit des clients au bar ou sur le trottoir ?
OU...MIEUX : une photo de son grand-père sortie de quelque part ? Merci ! Inch'Allah !
Merci Sophie pour ce super article qui retranscrit à merveille ce discret mais authentique et savoureux Agad'or, resté dans son jus dans tous les sens du termes (on maîtrise les sauces et les bouillons ici).
Je note tes conseils de pied de veau par canicule. Il est vrai qu'hier j'ai mangé une purée - saucisse de Toulouse au Petit Bar et je me suis régalé malgré les 34 degrés dehors. Il faut reprendre des forces par ce temps!