AG Les Halles, Paris : l’autobus redémarre, Alan Geaam au volant

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 J’aime l’automne parce que c’est la saison des pommes, des champignons, des courges, des châtaignes et des ouvertures de restaurant. Bon, les restaurants ouvrent un peu tout le temps, c’est vrai, mais cette sensation de reprise des affaires, de fructification n’appartient qu’à cette saison. Et parmi les ouvertures de cet automne, celle d’Alan Geaam aux Halles est à noter, même si elle ne se fait pas tambour battant. C’est un slow opening, en douceur, pour bien mesurer les choses, goûter sans stress et ajuster le tir en fonction des avis collectés.

Ah mais je connais cet endroit ! Il y a peu, ça s’appelait encore L’Autobus Impérial et c’était toujours un peu à côté de la plaque. On n’y a jamais vraiment bien mangé. On se demandait qui allait un jour rendre justice à ce splendide espace Belle Époque aux volumes atypiques. C’est fait : Alan Geaam (propriétaire de l’Auberge Nicolas Flamel et d’AG Saint-Germain) réinvestit le lieu et se l’approprie, mettant fin à des décennies de manque de personnalité et de cuisine incertaine.

La salle a été revêtue d’un camaïeu de bleu roi et de tons porcelaine doux au regard. Une peinture murale toute fraîche affiche les mots apéro oublié. Et de fait Nathalie, la barmaid, excelle dans les breuvages doux-amers à l’ancienne, style vermouth ou negroni, tout en fraîcheur et en zestes d’agrumes.

Les plus beaux hommages à la cuisine française viennent souvent de gens qui ne sont pas nés en France. Les exemples sont légion, mais il n’est pas donné à tout le monde de voir le jour au Liberia de parents américano-libanais et d’avoir grandi sur trois continents. Alan a appris la cuisine en apprenant la vie : auprès de sa mère, puis de l’Australie au Liban, de l’Italie à Prague, avant de débarquer en France en 1999 sans un sou en poche mais déterminé à se former à la cuisine française, et pas à moitié. Au fil du temps, il y injecte les saveurs découvertes autour du monde. Le résultat est remarquable d’équilibre et de sagesse. Des saveurs dosées, travaillées, un peu sur le fil du rasoir, jouant tantôt de l’harmonie, tantôt du contraste, mais toujours pertinentes. Les meilleurs produits (à notre sortie du restaurant, une caisse provenant du domaine de Saint-Géry, dont je vous parlerai un jour, venait d’atterrir sur le comptoir). Des cuissons d’une grande précision, notamment sur les poissons. Un travail d’équilibriste, tout en nuances, dont la sincérité s’affirme à chaque bouchée. Et last but not leastdes prix remarquablement bas pour une cuisine de niveau gastro.

La première chose qu’on nous sert, c’est l’enfance d’Alan : mini-brioches tièdes accompagnées d’une huile d’olive versée sur des pincées de sumac et de zaatar. Une façon de nous signifier que nous allons partager avec le chef quelques-uns des souvenirs qui l’ont poussé très tôt vers la cuisine. Un cuisinier raconte toujours une histoire, mais tous ne la rendent pas aisément lisible. Plus le chef est animé du désir de donner, plus l’histoire est claire.

La kitchen team attaque fort avec un tartare d’huître à la granny smith. D’habitude, le tartare d’huître, je m’en méfie : saveurs pas toujours très nettes, mélanges finalement pas si heureux que ça, texture un brin aqueuse. Là, je ne sais trop comment Alan s’est débrouillé, mais il a évité tous les pièges tendus par le mollusque traître : c’est onctueux, doux et suave, et la petite crème montée au yuzu vient poser une note fraîche.

Raviole de foie gras, butternut, mandarine poudre de cacahuète, écume. Très comfort food, crémeux, immatériel, et hop — y en a plus.

Filet de maigre si parfaitement cuit que la délicatesse de ce poisson (trop souvent cotonneux) est intacte. Couteaux, vierge de salicorne, et risotto venere mêlé à des épinards (bonne idée).

Pavé chevillard, purée de panais, oignons grelots avec un beau jus de bœuf et un cromesqui de moelle.

Dessert épatant : savarin aux fruits exotiques, passion, tuile croquante, le genre de dessert que malheureusement très peu osent encore servir (d’ailleurs, la prochaine fois qu’on me sert du panais au sirop ou un entremets au céleri-rave, il va y avoir de l’assiette dans la figure).

J’allais oublier le fromage (de l’affineur Sanders, rue Lobineau). La confiture de pommes rubinettes aux raisins préparée par la belle-mère d’Alan, acidulée, peu sucrée, s’accorde avec tous les fromages du plateau.

La prudence d’Alan l’honore : un slow opening est toujours une bonne idée. Mais vu la qualité de ce qu’il sert, il aurait tout aussi bien pu faire un soft opening, un hard opening, un flash opening ou un fast opening, ça nous aurait été égal : quand c’est bon, c’est bon. Maintenant que c’est fully open, allez-y, vous vous régalerez sans vous ruiner. N’oubliez pas de prendre un petit cocktail avant, ça vaut le coup.

AG Les Halles
14, rue Mondétour, Paris Ier.
Tél. : 01 42 61 37 17. Ouvert
du lundi au samedi de 12 h 30
à 14 h 30 et de 19 heures
à 22 heures.
Formules déjeuner de 18
à 42 €, accords vins +20 €,
carte environ 35 €.
Formules du soir de 39
à 55 €, accords vins +30 €,
carte environ 40 €.

– À la petite cuillère –
Texte et photos : Sophie Brissaud

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