Depuis la table collée à une vitre plongeant sur la cuisine, le point d’observation du Relais 50 est dual ; d’un côté, la salle, où dînent joyeusement ce soir-là de nombreux convives. De l’autre, la vue sur la cuisine, où le chef Baudrand s’affaire d’un bout à l’autre du service. Premier arrivé, dernier parti : telle pourrait être la devise de cet ancien de chez Ducasse, Michel Portos et Michel Bras. Tandis qu’en salle, des murmures contents s’élèvent de table en table, lui ne verra rien de l’appréciation des clients ; le coup de feu le retient loin de la salle. D’autant qu’il fait tout tourner ; en cuisine, ils sont trois. Lui, un second, et une jeune pâtissière.
En bout de salle, une grande tablée réjouie participe à l’ambiance sonore de la soirée. « Ce sont des habitués », me glisse le chef de salle Frédéric Le Clerc, professionnel aguerri aussi courtois que culinairement érudit. Il vole d’un client à l’autre, guide les serveurs, revient, est présent mais pas trop, juste ce qu’il faut. Il veille aussi sur le chef, dont il se fait la fidèle expression en salle. À un moment, un groupe de quatre personnes se présente ; la salle est pleine, hormis une table vide. Il se fait tard, le groupe est gentiment refusé. C’est que, m’explique Mr. Le Clerc, « nous privilégions la qualité de l’assiette sur la quantité des clients. Certes, on aurait pu les prendre ; mais à quel prix ? Celui de la qualité ? Non. » De cette louable attention à l’assiette, qui refuse tout compromis qualitatif, il n’y a rien à redire. Le chef confirmera plus tard cette intention : « ce qui me fait vivre, c’est le retour client. Pour moi, ça n’a pas de prix. C’est vraiment pour ça que je travaille ; je trouve un second souffle dans la satisfaction du client. »
Arrivé il y a quatre ans au Relais 50, Noël Baudrand met son cœur dans ses plats ; et profite d’avoir carte blanche pour s’exprimer, essayer, innover. En 2017, la récompense Jeune Talent du Gault&Millau est venue adouber son travail ; « on a eu un boost phénoménal après ça », raconte-t-il. La même année, il a également décroché une assiette au guide Michelin. Sans doute son leitmotiv permanent a-t-il porté ses fruits ; « je me bats pour la régularité, en cuisine comme en salle », dit-il. Ses habitués apprécient. Ils sont, me dit-on en salle, de plus en plus nombreux. De fait, le Relais 50 « commence à avoir une réputation » ; le chef, modeste, en conçoit une joie légitime.
Du côté de la carte, les choses changent régulièrement ; forcément menées par le ballet des saisons, mais aussi par la volonté de surprendre, qui guide en filigrane l’histoire culinaire de cette table. « Chaque fois qu’il vient, l’habitué découvre une nouveauté. Au Relais 50, on veut évoluer. Exactement comme notre métier, d’ailleurs, qui n’a rien de routinier », explique le chef. Puis de développer : « il y a tant de choses à apprendre dans la cuisine ; rien que dans la façon de travailler les matières, par exemple ; ce n’est pas routinier. » Si le changement est le cap, un incontournable réjouissant a toutefois trouvé son séjour permanent au menu. Il s’agit du fameux dessert du chef (en photo ci-dessus) : le Banane et avocat, en tube croustillant de noix de coco, perles du Japon et gingembre. Un temps retiré de la carte, les habitués ont réclamé son retour. Depuis, ce dessert emblématique a ses quartiers au Relais 50. Le chef, lui, continue de chercher : « j’explore. J’aime trouver de nouvelles recettes. » Pourquoi, au fond ? La réponse est sans doute dans cette phrase : « un jour, un repas chez Michel Bras m’a donné des émotions marquantes. C’est ce que je cherche à créer à mon tour pour mes clients : des sensations. Vous savez, au fond je me bats pour un idéal : faire plaisir aux clients, et éventuellement, entrer dans leur mémoire… »
Par Anastasia Chelini
Pour aller plus loin : le Marseille culinaire du chef Baudrand.
Sur la scène culinaire marseillaise, dont l’évolution s’accélère ces sept dernières années, le chef revient volontiers. « Depuis 2013, on vit une mutation. On sort de la bouillabaisse traditionnelle, on revisite. Et on connaît une belle émulation, avec tous ces jeunes chefs et nouveaux chefs qui ouvrent à Marseille. Parmi ceux qui ont beaucoup fait pour la ville, il y a bien sûr Gérald Passedat ; Alexandre Mazzia, qui propose une cuisine totalement différente ; Lionel Lévy, Ludovic Turac, Coline Faulquier, qui sort des sentiers battus ; Vanessa Robuschi et sa table Une question de goût ; et plein de petits bistrots qui sortent du lot, comme La Mercerie, le restaurant Schilling, Le Peron (une institution marseillaise), ou encore La Délicatesse, tenu par mon ancien second ; il y fait des choses goûteuses, qui respectent le client et le produit. Il y a aussi le Restaurant Tabi par Ippei Uemura. »