David « Dabiz » Munoz, meilleur chef du monde 2021 aux The Best Chef Award 2021, nous parle de son idée de cuisine, son passé et ses projets futurs – Une interview Food&Sens –
Chef extravagant à la créativité sans limite et à l’énergie contagieuse, Dabiz Munoz est le grand gagnant du classement The Best Chef Award 2021. Auréolé depuis 2013 de trois étoiles Michelin pour son restaurant DiverXo à Madrid, il est actuellement l’un des cuisiniers parmi les plus célèbres au monde, il n’arrête pas de travailler pour exporter l’ensemble de l’univers XO bien au delà des limites de Madrid. Il s’est confié à Food&Sens sur son idée de cuisine, son passé et ses nombreux projets futurs.
F&S : David, félicitation pour cette nouvelle reconnaissance ! DiverXo continue de fasciner les gourmets du monde entier. Quelles sont à votre avis les raisons de ce grand succès ?
DM : DiverXo, c’est un restaurant unique. Quand je l’ai ouvert, il y a 15 ans, j’ai voulu créer un lieu absolument exceptionnel, différent de tout ce qu’on pouvait trouver autour du monde. Il n’est ni meilleur ni pire que n’importe quel autre restaurant mais une chose est sûre : ce qui se passe à DiverXo, ne se passe qu’à DiverXo. J’aime offrir à mes convives quelque chose qu’ils ne pourront pas vivre ailleurs. Je veux qu’ils soient constamment surpris, qu’ils s’amusent, qu’ils aiment visuellement ce que je leur propose et que quand ils portent la cuillère à la bouche, ils se disent « WOW, c’est incroyable ! ». C’est les montagnes russes émotionnelles.
F&S : Y a-t-il des tendances particulières que vous suivez ou dont vous vous inspirez ?
DM : J’aime penser que chez DiverXo on ne suit pas les tendances mais qu’au mieux, on les crée. En ce moment, par exemple, la gastronomie connaît une période « less is more » avec des assiettes très épurées et très minimalistes, alors que moi je continue à proposer des plats très exagérés, pleins de contrastes et d’éléments différents. En général, j’aime aller à contre-courant plutôt que suivre des tendances. Et c’est également pourquoi DiverXo est un restaurant unique en son genre.
F&S : C’est avec cet esprit que vous avez inventé la cuisine liquide ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
DM : Bien sûr ! Pour moi la cuisine liquide est le summum de la créativité. C’est le bon mélange entre l’âme d’un barman et la technique d’un cuisinier. Dans la pratique, cela signifie que je pense aux cocktails avec le même esprit avec lequel je crée mes plats, en proposant des boissons très créatives qui cassent tous les codes et qui présentent des concepts très différents entre eux. Je peux proposer des cocktails qui sont préparés avec des techniques de cuisson qui n’ont jamais été utilisées auparavant dans le monde du bar ou des cocktails inspirés de plats traditionnels. Ça change tout le temps. Actuellement, par exemple, je propose un cocktail « Peking duck » qui a exactement la même saveur qu’un canard laqué de Pékin. C’est surprenant et c’est la raison pour laquelle j’adore la cuisine liquide. Je peux enfreindre toutes les règles et pousser ma créativité à bout. Ça représente très bien mon idée de cuisine : savoureuse, créative et avec beaucoup de personnalité.
F&S : Et est-ce que, au début de votre carrière, cette grande personnalité a été un problème pour vous ?
DM : Peut être. Quand j’étais plus jeune – j’ai ouvert DiverXo quand j’avais 27 ans– je m’inquiétais beaucoup du jugement des autres. Maintenant que j’ai grandi, j’ai compris que la seule chose qui m’intéresse est d’être heureux de faire ce que je fais. C’est vrai que souvent quand on veut faire les choses différemment et qu’on ne veut pas plaire à tout prix, il y a ceux qui te soutiennent et ceux qui au contraire te détestent et t’attaquent, parfois même durement. Au fil des années, cependant, je m’y suis habitué et ce qui me pousse à avancer, c’est de penser au fait que j’ai la chance de faire ce que je veux, comme je le veux. Évidemment, je ne possède pas la vérité. Ce que je dis ou que je fais ne reflète que mon opinion. J’aime le préciser. Cela dit, si quelqu’un se sent quand-même offensé ou agacé par ce que je fais… Et bien… franchement, je n’y peux rien !
F&S : Vous avez été l’un des plus jeunes chefs au monde à remporter 3 étoiles Michelin et vous venez de gagner le « The Best Chef Award » à seulement 41 ans. Qu’avez-vous dû sacrifier pour en arriver là ?
DM : Tout ! J’ai vraiment tout sacrifié ! Je voulais être chef depuis l’âge de 12 ans et même si j’étais très jeune, je savais déjà que je voulais ouvrir un restaurant créatif, innovant et différent de tous les autres. C’était mon plus grand rêve et, n’ayant personne dans ma famille travaillant dans la restauration, je savais que je devais être prêt à travailler dur et à sacrifier beaucoup de choses. Mais c’est comme ça, la vie est une balance. Si on a un grand rêve, on doit être prêt à faire de gros sacrifices. Comme ça, quand j’ai ouvert DiverXo, j’ai vécu et dormi dans mon restaurant pendant des mois, sans presque jamais sortir. Heureusement, ces sacrifices ont payé et aujourd’hui la situation a beaucoup changé. Je continue à renoncer à pas mal de choses, bien évidemment, mais je ressens aussi le besoin de consacrer du temps à ma vie personnelle. Et c’est ce que je fais.
F&S : Et comment continuez-vous à vous motiver après avoir accompli tant de choses ?
DM : Ma motivation est quelque chose dont je suis très fier. Malgré le succès obtenu, je n’arrête pas de rêver et de vouloir accomplir de nouvelles choses. Dès que je réalise un rêve, il y en a un autre qui me vient à l’esprit. Je vais vous donner un exemple. En ce moment DiverXo est à son apogée… C’est pourquoi j’ai décidé qu’en 2023 je vais le fermer et en ouvrir un tout nouveau. Il continuera de s’appeler DiverXo mais je changerai le concept, l’emplacement, la décoration, le style de cuisine… tout ! Je suis très excité, j’ai hâte que ce moment arrive. Du coup, pour revenir à votre question, voici comment je garde ma motivation. Je me fixe toujours de nouveaux objectifs, de plus en plus audacieux, et je travaille dur pour les atteindre.
F&S : Comme vous avez fait pour StreetXo et GoXo…
DM : Oui, exactement. Bien que les deux soient nés pour un besoin. StreetXo, par exemple, a été ouvert il y a 8 ans dans le but principal de gagner de l’argent pour soutenir mon travail à DiverXo. Mais au fil des années, le concept s’est affirmé, de nouvelles idées ont été développées et StreetXo est devenu un véritable succès à part entière. La même chose s’est produite avec le GoXo qui est né pendant la pandémie et qui ne propose que des plats en livraison. La raison de son ouverture a été toujours le besoin d’argent pour DiverXo, qui compte 45 cuisiniers pour 34 couverts, et qui – comme les autres restaurants – a été fermé pour une longue période. Cependant, plus le temps passait, plus j’adorais réfléchir à de nouveaux plats à emporter. Penser à la cuisine autrement a beaucoup stimulé ma créativité. Donc je ne l’ai jamais fermé. Au contraire, on en a ouvert un autre à Barcelone où, en octobre, en plus de la livraison, on proposera un concept unique de restauration rapide haut de gamme. Un fast-food super technologique, sans serveurs, où l’on pourra gouter des plats gastronomiques à prix très raisonnables.
F&S : On dirait presque que la pandémie vous a fait plus de bien que de mal…
DM : La pandémie a apporté beaucoup de mauvaises choses, c’est sur, mais j’aime penser que mon équipe et moi en sommes sortis plus forts que jamais. Ça n’a certainement pas été facile et il m’a fallu beaucoup de détermination et beaucoup de courage pour m’en sortir. Quand j’ai dû fermer StreetXo Londres pour manque de moyens, par exemple, j’étais très triste car Londres est une ville à laquelle je tiens particulièrement. Mais dès le lendemain, j’ai commencé à réfléchir à ce que je pouvais créer pour ne pas couler et faire couler en même temps mes salariés et maintenant, je peux dire que mon entreprise se porte encore mieux qu’avant la pandémie. Il y a eu la naissance du GoXo, le changement de concept pour StreetXo Madrid – qui a très bien marché – et plein d’autres nouveaux projets qui se profilent à l’horizon. En plus de tous ceux dont je vous ai déjà parlé, pour vous en donner un example – il y a aussi l’ouverture future d’un nouveau bar à raviolis, toujours à Madrid, qui proposera une sorte de fusion créative entre la cuisine chinoise et celle italienne.
F&S : Vous avez parlé de votre lien avec Londres, qui est la ville où vous vous êtes formé. Comment a-t-elle influencé votre cuisine ?
DM : Il y a beaucoup de Londres dans ma cuisine. J’ai emménagé là-bas à 20 ans et j’y suis resté pendant cinq ans. Si je devais choisir une seule ville au monde en dehors de Madrid, je choisirais toujours Londres. Pour moi, c’est ma deuxième maison, où j’ai beaucoup appris. Et c’est pourquoi j’ai hâte d’y retourner et d’ouvrir un nouveau StreetXo. Car oui, j’ai un nouveau projet d’ouverture là-bas aussi !
Propos recueillis par Lorena Lombardi
Crédits photo : Lorena Lombardi et The Best Chef Award