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Le collectif des « 100 MOF en colère » manifestait mardi devant l’Assemblée nationale pour dénoncer les conditions d’organisation du concours de Meilleur ouvrier de France. En face, le comité d’organisation dénonce une « OPA pas amicale du tout » sur l’épreuve, symbole du savoir-faire artisanal français.
Ce petit liseré tricolore est le symbole de l’excellence de l’artisanat à la française. Ceux qui le portent appartiennent à une caste à part, celles des « MOF », pour Meilleur ouvrier de France. Mardi, quelques uns d’entre eux, réunis par le collectif « 100 MOF en colère », se sont donnés rendez-vous devant le Palais Bourbon pour crier leur inquiétude sur l’avenir d’un concours qui serait, selon eux, en passe de se vider de sa substance.
« Cela fait plus d’un an que ça couve. J’ai passé quelques nuits blanches, mais on a décidé de ne pas se laisser piétiner ou de mourir à petit feu », prévient Christian Janier.
« L’excellence, on ne peut pas la récompenser sur une simple note de 10/20 »
Maître fromager-affineur et MOF lui-même, il dénonce le rôle du Comité d’organisation des expositions du travail – Meilleur ouvrier de France (COET-MOF). Cette association fondée en 1961 a reçu du ministère de l’Education nationale une délégation pour l’organisation du concours. Et selon les « 100 MOF en colère », le COET aurait décidé de le « banaliser » en abaissant l’exigence et en augmentant le nombre de lauréats.
« On nous a bien fait comprendre qu’il fallait rentrer dans les clous de l’Education nationale, reprend Christian Janier. Mais l’excellence, on ne peut pas la récompenser sur une simple note de 10/20. Tous les autres diplômes, peut-être. Mais pas le MOF ».
Il reproche également au COET-MOF une « ingérence dans les sujets » définis par les professionnels. Chez les fromagers, « on nous a demandé de revoir huit fois notre copie. Alors que les années précédentes ça passait avec quelques modifications sans importance ».
La grogne dépasse désormais largement le cadre des métiers de la restauration et de l’hôtellerie. « Ça a commencé à gronder dans ma profession aussi, confirme Carole Peyrefitte, responsable d’écoles d’esthétiques et également MOF. Chez nous, le COET a remplacé une présidente de jury qui était une MOF par une non-MOF, qui s’est retrouvée là parachutée. Ils nous ont aussi demandé de maquiller des mannequins en plastique, c’est humiliant! Enfin, chez nous, il y a une technique qui s’appelle le démaquillage: c’est la première chose que vous apprenez à l’école. Qu’on nous fasse évaluer cette technique pour un titre de MOF, c’est hallucinant. Je ne supporte pas qu’au nom de l’égalité des chances, on abaisse le niveau ».
« Ils auraient envie de reprendre le concours que ça ne serait pas étonnant »
Alors que les épreuves qualificatives ont commencé dès fin 2016, et que les finales sont prévues pour la fin de l’année, le COET-MOF marche donc sur des œufs. Jean-Claude Chabanne, son secrétaire-général, se dit « sous le choc » face aux accusations de « banalisation ».
« On est dans le 26e concours, avec autour de 3000 candidats. 70% n’ont déjà pas franchi le cap des qualifications. Je ne pense pas qu’on puisse appeler ça de la banalisation… C’est un niveau très élevé, on est dans l’excellence professionnelle. Je n’ai aucune idée du nombre de lauréats, mais ça va se terminer entre 200 et 250. Nous, on a aucun intérêt à en avoir 3000. Quand on accuse, il faut des preuves », prévient-il.
Il dénonce aujourd’hui « une OPA pas vraiment amicale » des MOF sur leur concours. Problème, celui-ci délivre depuis un 2001 un diplôme de niveau 3 (équivalent bac+2, BTS ou DUT) et doit donc respecter les règles de l’Education nationale.
« La République française ne peut pas confier un diplôme à de l’entre-soi, reprend Jean-Claude Chabanne. Ils voudraient faire un énième compagnonnage. Nous on le vit comme ça. Ils auraient envie de reprendre le concours que ça ne serait pas étonnant. Mais si jamais c’était le cas, ce ne serait plus un diplôme ».
Recours au privé contre manquement à la déontologie
En attendant d’en arriver là, les deux camps se jettent des accusations à la face, comme un vieux couple qui s’envoie la vaisselle à la figure. Christian Janier reproche par exemple à Jean-Claude Chabanne d’avoir accepté l’aide matérielle de la chaîne de grossiste alimentaire pour professionnel Métro: « on ne peut pas être représenté par une firme qui ne représente pas l’excellence du métier« , peste le fromager.
« On a simplement une mise à disposition de matériel, pas un euro n’est entré au COET. Bizarrement, il y a quand même un grand nombre de MOF qui bossent chez Metro, mais là ça ne gêne plus personne », lui répond Jean-Luc Chabanne.
Celui-ci fait de son côté remarquer qu’il a dû intervenir parce que certains membres du jury se sont mis à coacher des candidats… tout en continuant à les évaluer.
« Apparemment les MOF ne supportent pas d’être contrôlés. Mais on a pleins de recours! Si votre fille n’est pas lauréate parce que c’est un système de cooptation, vous allez porter plainte contre le COET. On ne sanctionne pas pour le plaisir de sanctionner. Mais quand ça se voit comme le nez au milieu de la figure… », souffle Jean-Luc Chabanne.
« Dire que ça n’a jamais existé, je ne le dirais pas, mais je pense que c’est à la marge. J’ai quand même l’impression que les MOF, en termes de valeurs, forment une population plutôt saine », se défend Christian Janier.
« Irrespect » et « haine » contre « attaques diffamantes »
La situation s’est tellement envenimée que le problème semble désormais se résumer à une querelle de personnes. Du côté des MOF, on dénonce le « dédain », « l’irrespect » et même « la haine » contre leur « famille ». Au COET, on regrette « la violence » d’attaques « diffamantes » venant de gens ayant « oublié la solidarité entre les métiers ». Comment réconcilier des gens qui paraissent irréconciliables? Le député (MoDem) Richard Ramos, qui posera une question sur le sujet à Jean-Michel Blanquer mercredi à l’Assemblée nationale, veut alerter sur le fait de « retrouver les financements qui permettent la pérennité du concours ».
Quant à la tactique pour tenter de mettre d’accord les deux parties, il a sa petite idée sur la question. « Les MOF sont venus me chercher en me disant ‘vous êtes un député de combat, voilà le nôtre’, explique l’élu du Loiret. J’ai regardé. Ils ont en partie raison, notamment dans l’affaiblissement du niveau du concours. De l’autre côté, certains doivent aussi faire du ménage devant chez eux. En attendant, ils ne se parlent pas, il n’y a quasiment que des invectives. Des deux côtés, ils m’ont dit qu’ils viendraient déjeuner avec moi. Peut-être parce que je suis un ancien chroniqueur gastronomique, et qu’ils pensent qu’ils vont bien manger ». Le simple fait de tomber d’accord sur le menu s’annonce déjà compliqué.