L’incroyable roman de la succession du Palace le Negresco à Nice

 Jeanne Augier – une personnalité aussi atypique ne pouvait engendrer qu’une rocambolesque succession, et c’est bien le cas, un vrai roman la vie de Jeanne Augier la propriétaire du Palace NEGRESCO à Nice. Le magazine VanityFair explique en détail les rebondissements qui font que l’avenir de l’hôtel est toujours dans l’incertitude de connaître qui seront les héritiers.

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La limousine grise roule au ralenti vers l’église Saint-Pierre-d’Arène de Nice. Devant l’entrée, une haie d’honneur de grooms en livrée patiente au garde-à-vous. Un cercueil Empire à colonnes et dorures est porté jusqu’à l’autel, tandis que les pompiers jouent une marche militaire. Ce jour de janvier 2019, le Tout-Nice de la politique et des affaires est venu rendre hommage à la patronne du Negresco. Morte à 95 ans, Jeanne Augier régnait depuis plus d’un demi-siècle sur le palace le plus célèbre de la Côte d’Azur. Elle avait tout prévu des détails de son enter­rement. Elle voulait une messe flamboyante, à son image, avec trompettes, grandes orgues et brassées de poinsettias rouges. Un tableau la représentant trône entre deux drapeaux de la Légion d’honneur. Elle est là, chevelure rousse incandescente, lèvres entrouvertes, comme satisfaite du bon ordonnancement de la cérémonie.

Photo V.Hache/AFP

Une voix s’élève sous la nef : « Vous me permettrez que je m’adresse sim­plement à celle que j’appelais “madame” et qui un jour me disait : “Si j’avais été plus jeune, nous aurions fait de grandes choses ensemble.” » Carrure d’ogre et visage de chérubin, le père Gil Florini commence son oraison funèbre. Il était, depuis vingt ans, le confesseur de l’héritière, son plus proche ami. Avec elle, le prêtre partageait un franc-parler déroutant et ce qu’il faut bien appeler un grain de folie : il bénit téléphones portables et animaux. Après quelques Ave Maria d’usage, il en vient au sujet qui taraude en secret l’assistance. Qui va hériter de la fabuleuse fortune de la défunte ? Le trésor comporte une centaine d’œuvres d’art – des statues de Niki de Saint Phalle, des dessins de Dalí et de Picasso… –, une villa à Saint-Vallier-de-Thiey sur les hauteurs de Grasse et, donc, cet hôtel légendaire­ dont la valeur est estimée à près de 400 millions d’euros.

Et maintenant, l’abbé lance : « Il est parfois difficile de supporter tous ces faux-culs », citant une phrase souvent répé­tée par Jeanne Augier. Il énonce les dernières volontés de sa « délicieuse enqui­qui­neuse ». Et tant pis si son homélie semble plus inspirée par la section « droit des successions » du Code civil que par les Saintes Écritures. Avant sa mort, elle a créé un « fonds de dotation » pour « assurer la sauvegarde de l’hôtel et soulager la misère animale et humaine ». Les employés du Negresco, souvent reconnaissables à leur chapeau à plume et culotte bleu roi, fantaisie voulue par « madame », occupent une grande partie de l’église. Relégués au septième rang, loin derrière les officiels et le maire de Nice, Christian Estrosi, les cousins de Jeanne Augier fulminent. Ils ne comprennent toujours pas pourquoi leur chère aïeule, veuve et sans enfants, les a oubliés dans son testament. Pierre Couette, l’ami esthète dont Jeanne Augier s’est enti­chée à la fin de sa vie, s’est fait porter pâle. Il faut dire que, trois ans plus tôt, il a été mis en examen, soupçonné d’avoir profité de la fragilité de son amie. À tous les « faux-culs » présents ce jour-là, Florini adresse un message clair : « Le non-respect des volontés d’un mort porte malheur aux vivants. » Un souffle glacé parcourt l’église. Le père sait que plusieurs procédures judi­ciaires sont en cours, en particulier pour « abus de faiblesse » et « corruption ». « Au nom de votre salut à tous, je vous conjure de bien respecter les volontés de Jeanne Augier, puisqu’elles sont non seulement légales et attestées, mais surtout louables et charitables dans un monde qui, trop souvent, triche et ment. »

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À 80 ans passés, Paul Augier est victime d’un accident cérébral. Il reste plusieurs mois dans le coma à l’hôpi­tal Pasteur de Nice, puis dans une clinique privée « infâme », comme son épouse le raconte dans ses mémoires La Dame du Negresco (Éditions du Rocher, 2012), curieux mélange d’anecdotes fami­liales et de récriminations contre le monde tel qu’il va. Pour le protéger des infirmières « incompétentes et désagréables », elle le rapa­trie au dernier étage de l’hôtel, où il termine sa vie. Quelques jours après l’enter­rement, en 1995, le préfet des Alpes-Maritimes menace de fermer le Negresco : l’éta­blis­sement ne respecte aucune norme de sécurité. Jeanne Augier refuse obstinément de dénaturer son hôtel-musée avec des portes coupe-feu, comme la réglementation l’exige désor­mais. « Est-ce que je laisserais brûler Versailles ? » s’emporte-t-elle dans la presse. Elle finit par plier aux demandes du « fonctionnaire irresponsable », mais la réputation du Negresco est atteinte.

Malgré une santé déclinante, Jeanne Augier devient le cau­­­che­­mar des autorités locales. Pour elle, la promenade des Anglais – la « prom’ », comme elle dit – est sacrée. Elle veut un temps en faire un musée à ciel ouvert, prévoit d’y exposer les œuvres monumentales de Picasso, de César ou d’Arman. Mais elle se fâche avec le maire Jacques Peyrat, qui boude son « Beaubourg en plein air ». L’édile l’invite même, dans les journaux, à passer la main. Avec son successeur, ce sera pire. Christian Estrosisouhaite construire un tramway le long de la promenade, « sur le modèle des cable cars de San Francisco ». Colère de Jeanne Augier, convaincue que les rames gâcheront la vue des touristes. Cette fois, elle multiplie les interviews alarmistes dans Nice-Matin. La mairie est obligée de revoir le tracé du train, en évitant le bord de mer : « Je ne voulais pas prolonger le duel avec Jeanne Augier, qui, question technologies et nouvelles mobilités, n’était pas très avant-gardiste », soupire aujourd’hui Christian Estrosi, avant d’ajouter, philosophe : « Elle m’a fait perdre trois ou quatre ans, mais le projet final est plus beau et plus moderne. »

Au début des années 2000, Jeanne Augier semble de plus en plus isolée et fatiguée. Son caractère s’est durci. L’époque la désole. Dans son autobiographie, elle consacre une longue diatribe au « blue-jean » qui, selon elle, « a eu le tort d’envahir la journée de la femme et d’affadir sa beauté ». Et que dire des hommes dont le pantalon plisse sur les chaussures ? « Des crétins », qu’elle compare au clown Achille Zavatta. Et puis, un jour, elle voit arriver à l’hôtel un jeune élégant, issu d’une famille bourgeoise du Mans. Pierre Couette veut faire de la collection du Negresco le sujet de son mémoire de fin d’étude. Jeanne aime ces manières d’un autre âge. Il est si délicat, si attentionné, costumes sombres et foulard de soie noué autour du cou. Il a également le bon goût de la tenir pour l’une des plus grandes collectionneuses du siècle. Elle, l’autodidacte, qui n’a jamais suivi que ses intuitions, voit ses choix validés par un spécialiste, diplômé de la prestigieuse école du Louvre. Avec quelle ardeur son protégé se plonge dans l’histoire du Negresco ! Chaque jour, le hobereau annonce à Jeanne une nouvelle découverte. La vieille dame savoure. Elle l’embauche comme conseiller culturel. Bientôt, elle en fera son dauphin.

Le Negresco est alors mal en point. L’hôtel perd plus d’un million d’euros par an. Trop de frais, plus assez de clients et même un soupçon de ringardise. La décoration date un peu et Jeanne Augier refuse de construire un spa, comme l’exige l’époque qui a remplacé les fumoirs par les salles de massage. À chaque fois, elle doit puiser dans sa cassette pour renflouer les comptes, elle qui a toujours décliné les propositions d’investisseurs, du sultan de Brunei et de Bill Gates. À la suite d’un séjour, le patron de Microsoft lui aurait même envoyé un chèque sans montant, avec cette mention : « Indiquez la somme que vous désirez recevoir. »

Le prêtre distilleur de pastis

Quand, à l’automne 2009, Jeanne Augier se décide enfin à ripoliner le Negresco, le grand chantier débute. On ravale les façades classées monuments historiques ; on crée un étage de suites haut de gamme ; on transforme la rotonde en brasserie avec une grande terrasse… Pour préparer le centenaire de la maison en 2012, près de 10 millions d’euros sont investis. L’hôtel doit fermer ses portes pendant six mois.

Augier cherche un nouveau dirigeant. Passé par le George-V et par le Royal à Évian, Pierre Bord débarque au Negresco des diagrammes et bilans comptables plein les bras. Il trouve Jeanne Augier « un peu terrifiante » avec sa robe jaune pétant, assise sous une toile représentant Louis XIV en costume royal. Il s’est bien gardé de lui serrer la main. « Comme la reine d’Angle­terre, elle déteste être touchée », l’avait prévenu son entourage. Pierre Bord veut convaincre l’héritière des bienfaits du yield mana­gement, ce système de tarification intel­ligent, inventé par les compa­gnies aériennes. Mais « madame » ne parle pas anglais et goûte peu ces conversations d’épiciers. Elle préfère cuisiner l’impétrant sur les tapis de l’artiste Yvaral. « Préférez-vous le style Empire ou Louis XIV ? » l’interroge-t-elle, regard perçant derrière les lunettes bleutées.

À peine arrivé, Pierre Bord inscrit l’hôtel sur la plate-forme de réservation Booking.com et nomme une responsable de la communication, qui courtise blogueuses et journalistes étrangers. Il doit parfois aller contre certains caprices de « madame », qui s’oppose à ce qu’une femme tienne le bar : « Trop vulgaire ! » Bientôt, il lancera des travaux pour réaliser un spa au sous-sol.

Au même moment, à l’abri des échafaudages, on commence à parler de succession. Que va faire Jeanne de sa fortune ? La léguer à sa seule cousine, Madeleine, qui habite à cinq cents mètres ? Créer une fondation ? Ou tout donner à ses chiens : mais plutôt à Lilou le shar-peï ou à Lili le yorkshire-terrier ? En réalité, elle s’intéresse surtout à son œuvre. « Il faut en vendre des cafés pour faire vivre cent quatre-vingts familles », a-t-elle coutume de dire. Elle n’est pas spécialement généreuse, mais veut mettre ses employés à l’abri.

En février 2009, Jeanne Augier crée le fonds de dotation Mesnage-Augier-Negresco. Quelques mois plus tard, elle se rend avec deux vieilles amies chez son notaire, dans l’arrière-pays niçois. Elle dicte un testament que nous avons pu consulter. Chaque ligne est empreinte d’éternité : « J’aimerais que le Negresco vive dans l’avenir comme il a vécu jusqu’à ce jour afin que brille la France ! » énonce-t-elle en préambule. Avant de lister une multitude de détails, parfois baroques, sur l’avenir de l’hôtel : « Je vous prie, le jour où vous devrez renouveler les moquettes, faites-les reproduire exactement comme elles existent, dans les mêmes coloris. » Des motifs « fleur de lys » sur le modèle « du rideau du théâtre de Versailles » pour la « chambre du roi » et des « étoiles et des abeilles d’or » pour la « chambre Empire ». Surprise, un nom revient sans cesse : Pierre Couette. Ce sera à lui et lui seul de superviser la repro­duc­tion « très délicate » des tapis signés Jean-Pierre Yvaral, le jour où ils seront trop usés. Il est aussi désigné comme membre fondateur, administrateur à vie du fonds en compagnie de Michel Palmer, l’ancien directeur de l’hôtel. Pour cette fonction, il ne reçoit aucun salaire, mais quel pouvoir ! L’artiste peintre Isabelle Planté, le médecin personnel de « madame », Adina Richard, et le prêtre Gil Florini compléteront l’attelage.

Ce dernier a rencontré Jeanne Augier au milieu des années 1980. Il vient alors d’être nommé à Saint-Pierre-d’Arène, église posée derrière le Negresco. Un soir de messe, il rêvasse derrière une stèle quand une femme hurle au quatrième rang : « Plus fort, on n’entend rien ! » C’est Mme Augier « accompagnée de sa cour », comprend-il. À la fin de la cérémonie, il se décide à mettre au pas la turbulente : « Là-bas, c’est vous qui commandez. Ici, c’est moi ! »

En quelques années, Jeanne Augier fait de Gil Florini son « aumônier du palais », le fait participer au conseil d’administration. Et tant pis si la proximité de l’ecclé­sias­tique avec « madame » fait jaser. « Les autres se sont dit : “Merde, le prêtre s’insinue dans l’hôtel.” J’ai commencé à me faire des ennemis : un curé qui ne dit rien, ça plaît ; un curé qui donne son avis, beaucoup moins. » Circonstance aggravante, le père Florini est doté d’un solide sens des affaires. Il a obtenu la désa­cra­li­sa­tion du sous-sol de son église, afin d’y créer un restaurant et un centre de conférences. Il possède un élevage de poneys criollos dans l’arrière-pays et dirige une distillerie qui produit le véritable pastis de Nice. Des affaires entièrement au service de ses bonnes œuvres, lui qui dit gagner 1 070 euros par mois, son seul salaire de prêtre. Bien sûr, il sait bien que des méchantes langues le surnomment « l’abbé vinasse », l’imaginent roulant en Lamborghini, lui dont le 4 x 4 Isuzu « hors d’âge » affiche 320 000 kilomètres au compteur.

Voit-il en Pierre Couette un rival ? Florini n’a jamais senti ce trentenaire, « trop délicat pour être honnête et condescendant avec le personnel ». Il le soupçonne de toucher au patrimoine de Jeanne Augier. Et ce, alors que son amie est de plus en plus fatiguée. Cela fait longtemps qu’elle ne passe plus son doigt sur les meubles pour traquer la poussière. Elle peine à marcher, se déplace en chaise roulante… Parfois, elle paraît déboussolée, ses yeux partent dans le vide. Une scène a particulièrement choqué le prêtre : Pierre Couette aurait pris soin de faire sortir la vieille dame en chaise roulante, avant d’annoncer aux administrateurs que « madame » souhaitait leur offrir cent actions de l’hôtel. « À la fin de certains conseils, Pierre Couette et l’expert-comptable lui donnaient à signer jusqu’à douze lettres qu’elle ne regardait même pas », affirme Gil Florini. Il n’est pas le seul à être inquiet. Du jour au lendemain, Made­leine Marie, la vieille cousine, n’a plus de nouvelles de Jeanne Augier. Les deux femmes avaient l’habitude de prendre le thé chaque semaine à la terrasse du Chantecler. Elles ont grandi ensemble dans la maison familiale des Mesnage, à Bruz, dans le pays rennais. Madeleine a même un temps travaillé comme gouvernante au Negresco. « Elle n’a pas tenu très longtemps », indique sa petite-fille, Olivia. « Il y avait une sorte de rivalité entre elles. Jeanne était celle qui avait réussi, ma grand-mère a eu une vie très modeste. » Quand Madeleine appelle désormais, on lui répond que Jeanne est sous la douche ou en rendez-vous. Et puis, des choses bizarres parviennent à ses oreilles. Plusieurs de ses petits-neveux travaillent à l’hôtel. L’un d’eux, Alain, y est bagagiste. Un jour, il est monté dans la chambre de Jeanne et jure l’avoir entendu supplier : « Est-ce que tu peux aller à la police parce qu’ils veulent me foutre dehors ? »

À peine constitué par Jeanne Augier, le conseil d’administration implose­. Le 31 août 2012, Florini convainc la peintre Isabelle de Comeiras d’écrire au procureur de Nice pour demander un rendez-vous. Dans leur courrier, ils évoquent un « éventuel abus de faiblesse » face à l’état de santé « gravement détérioré » de la vieille dame. Cette fois, cela devient sérieux. L’avocat historique de Jeanne Augier, Frédéric de Baets, est inquiet pour sa cliente. Il décide de saisir le juge des tutelles. Une expertise médicale est menée. Ce que tout le monde devinait sans oser le formuler est enfin écrit noir sur blanc : Mme Augier est malade d’Alzheimer et souffre d’un état démentiel avéré depuis janvier 2012. Une administratrice judiciaire, Nathalie Thomas, est nommée pour gérer l’hôtel. Avec la tutrice Laurence Cina-Marro, elle décide de porter plainte.

Maintenant, les policiers entendent les salariés, procèdent à des perquisitions… Devant eux, Pierre Bord s’étonne : des employés au service de « madame » sont payés par l’hôtel ; certains contrats paraissent­ douteux ; des caisses de vin disparaissent des caves… En mars 2016, après deux ans d’enquête, Pierre Couette est mis en examen. On lui reproche d’avoir obtenu et fait signer sans témoin une série d’actes « à une époque suspecte où les capa­ci­tés à comprendre les choses de Jeanne Augier étaient faibles, voire nulles », détaille le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre. Il aurait profité du déclin de sa bienfaitrice pour s’octroyer des conditions de travail confortables. Son salaire de 44 000 euros par an n’avait pourtant rien d’astronomique, mais le conseiller culturel bénéficiait aussi d’un logement de fonction et d’un accès illimité au Chantecler. Pour réaliser l’inventaire du patrimoine du Negresco, il aurait perçu, de plus, 60 000 euros d’honoraires. Le procureur Jean-Michel Prêtre assimile le dossier à l’« affaire Bettencourt ». Il ignore encore à quel point la comparaison est bien choisie. Le conflit privé du Negresco va bientôt provoquer des déflagrations incon­trô­lables.

Le directeur en plein polar

Sur le plan des affaires, Pierre Bord tient la maison. Avec l’admi­nis­tra­trice judiciaire, Nathalie Thomas, ils forment un duo efficace. Le Negresco renoue avec les bénéfices : 100 000 euros en 2016, un million l’année suivante. Personne ne comprend donc qu’en août 2017, le procureur Jean-Michel Prêtre décide de mettre fin à l’administration judiciaire. Considère-t-il que ce n’est pas à la justice de gérer une entreprise ? Veut-il permettre à des investisseurs de racheter le Negresco ? Ailleurs qu’à Nice, personne ne se poserait ce genre de questions. Mais dans une ville dont le maire, Jacques Médecin, a dû s’exiler en Uruguay pour fuir les juges, tout semble possible. Même le roman­cier Graham Greene a pris le temps de consacrer un pamphlet, J’accuse : the dark side of Nice, au « mur niçois » ; il y dénonçait la collusion entre la justice, l’administration et la pègre locale.

Les convoitises autour du Negresco n’ont jamais cessé. Pierre Bord a dû éconduire un émissaire du groupe JC Decaux, qui se montrait trop pressant. Les investisseurs habituels du secteur, princes arabes et fonds asiatiques, seraient éga­lement sur les rangs. Ils ont déjà rendu leur splendeur au Ritz et au Crillon à Paris. Fin 2017, Pierre Bord est convoqué par le président du tribunal de commerce de Nice. Un brin parano, il décide de cacher un enregistreur dans sa poche. Le directeur, amateur de polars et de série télé, a eu du nez. Dès son arrivée, son télé­phone portable lui est confisqué. On lui explique que l’administration judiciaire a assez duré ; il transpire à grosses gouttes tandis que le dictaphone enregistre tout. Cet échange convainc Candice Guigon-Bigazzi, l’avocate du comité d’entreprise, d’écrire au président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. « Il était très étrange de voir la justice s’immiscer dans un dossier d’ordre privé », dit-elle aujourd’hui. En avril 2018, elle obtient que le tribunal de Nice soit dessaisi du dossier : l’avenir du Negresco se jouera à Marseille.

Et ce n’est pas fini : l’hypothèse de la conjuration, délirante au départ, prend corps d’une drôle de façon. En décembre 2018, trois juges d’instruction, dont Serge Tournaire et Aude Buresi, accom­pa­gnés par des policiers de l’office anticorruption, perquisitionnent le domicile et les bureaux de Jean-Michel Prêtre. Des juges qui enquêtent sur des juges. « C’est très violent », explique le procureur au Parisien, qui révèle l’infor­ma­tion. « La vocation de la justice n’est pas de diriger une entreprise, se contente-t-il de me dire aujourd’hui au téléphone. L’admi­nis­tra­tion provisoire pouvait seulement décider d’actes “de bon père de famille” et n’était pas en mesure d’établir une stratégie indus­trielle pour le Negresco. » À ce jour, les investigations des juges se poursuivent.

Un nouveau toit pour Lili et Lilou

Au bout du fil, Madeleine Marie, 95 ans, a la voix chantante malgré la fatigue : « Moi, je n’attends plus rien de Jeanne ; la jeune géné­ra­tion en dessous de moi, c’est autre chose. » Sa famille a sollicité Jean-Philippe Hugot, un avocat parisien spécialisé dans les successions difficiles. Il bataille aujourd’hui pour faire annuler le testament, si toutefois il avait été dicté dans un état de faiblesse. « Mais, quoi que je demande depuis quatre ans – avoir accès au dossier pénal ou consulter les dernières volontés de Mme Augier –, c’est non », peste-t-il dans son bureau parisien.

L’inventaire de la fortune de Jeanne Augier est en cours. Il devrait durer plusieurs mois. Les bijoux de Jeanne Augier seront bientôt vendus aux enchères à Nice. Une solution a été trouvée pour Lili et Lilou : ils ont été adoptés par un couple de riches Niçois. L’administratrice judiciaire du fonds de dotation, Béatrice Dunogué-Gaffié, s’attelle à transformer la structure en fondation. « Ainsi, me dit-elle, l’hôtel ne pourra plus être vendu et sera défi­ni­ti­vement protégé des prédateurs. » Pierre Couette reste président du fonds tant que la décision des juges n’est pas rendue.

Jeanne Augier n’a rien vu de toutes ces manœuvres. Les derniers mois, elle était trop fatiguée pour effectuer sa sortie quotidienne en chaise roulante sur la promenade des Anglais. Elle ne quittait plus son appartement, au sixième étage de l’hôtel. Dix personnes, infirmières et auxi­liaires de vie, s’occupaient de sa santé. Elle s’est éteinte la nuit du lundi 7 janvier 2019. Quelques heures plus tard, son cercueil était descendu à bout de bras, étage après étage. Choisi par Jeanne Augier de son vivant, il ne rentrait pas dans l’ascenseur. Les employés du Negresco lui devaient bien ce dernier effort.

 

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  • Pour moi, le Négresco c'est le souvenir que j'en ai de mon premier contact en été 1938, comme une petite fille qui passa devant ce superbe palace, dans lequel je n'ai jamais pénétré. Je l'ai revu plusieurs fois depuis, m'arrêtant toujours un moment pour l'admirer. L'émission télévisée de ces derniers jours ne me fait pas regretter, trop de faste, trop de décors, Le décor cosy et sobre des chambres du Normandy Hotel à Deauville que j'ai maintes fois fréquenté me conviennent mieux. En revanche j'apprécie toujours la qualité du service de tous les membres du personnel. Quand même, que l'on conserve le Négresco qui a sa clientèle du fait de la perfection qui règne partout.
    Madeleine - à ne pas confonddre avec la cousine de Mme Augier

    M

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