The Duc Ngo : De l’immigration à la consécration, itinéraire d’une figure de la restauration Berlinoise devenue un succès populaire

Entretien réalisé avec le chef The Duc Ngo, Berlin

Arrivé à Berlin à l’âge de six ans, Duc Ngo incarne aujourd’hui l’une des trajectoires les plus marquantes de la scène gastronomique allemande. Chef, restaurateur et entrepreneur, il est à la tête d’une quinzaine de restaurants à Berlin et à Francfort, avec des incursions à Saint-Tropez. Mais derrière ce succès entrepreneurial se cache une histoire plus complexe : celle d’un immigré qui a dû se battre pour être reconnu, d’un homme qui a appris davantage de ses échecs que de ses réussites, et d’un cuisinier qui, malgré la reconnaissance du public, poursuit encore la quête d’une étoile Michelin !

Le secret d’un bon pho réside dans la poitrine de Boeuf, bien grasse ! Le chef Duc Ngo dans son restaurant Madame Ngo

Le souvenir fondateur prend forme autour de la table familiale. « Mon oncle était un chef cantonais. Je me souviens du goût du porc croustillant, du canard rôti. J’étais sous le charme de goût de poivre et je l’ai gardé dans ma tête et dans mon cœur. » Pour Duc Ngo, cuisiner, c’est d’abord de créer une émotion à partager le tout transmis par un héritage complexe : un père chinois, une mère vietnamienne, une enfance marquée par la découverte de l’Allemagne et l’expérience de l’immigration. « Quand tu est immigré tu n’as pas de reconnaissance et encore moins quand tu viens d’Asie et tu dois toujours travailler plus pour être accepté et reconnu ! » Avec une telle histoire, le terme fusion n’est pour Duc Ngo pas une mode, c’est une identité à part entière : chinoise, vietnamienne, allemande de part ses origines mais aussi italienne, française, coréenne, japonaise de part ses expériences de travail, « Je suis totalement fusionné par moi-même. »

Plateau de sushi et sashimi proposé au sein de son restaurant Ryotei 893

Cette trajectoire est aussi l’histoire d’une volonté de construire. Après quelques années passées en cuisines, il décide en 1999 d’ouvrir son premier restaurant. « J’étais jeune, naïf, peut-être arrogant et je pensais que je pouvais faire mieux que les autres. J’avais le courage de le faire! » Ce fut un projet familial : son cousin au service, son frère aux finances. Ensemble, ils lancent une première adresse. Puis d’autres suivent, jusqu’à avoir aujourd’hui une constellation de restaurants. Mais à chaque étape, Duc Ngo a dû négocier sa place, apprendre, et parfois échouer.

Car l’échec, loin d’être marginal a été à la racine de son succès actuel. Il raconte l’ouverture, en 2005, d’un immense restaurant de 140 places, conçu comme une table gastronomique. « J’avais 30 ans. Nous étions jeunes, inexpérimentés, mais nous voulions jouer dans la cour des grands, celle du Guide Michelin. Après deux ans, tout s’est effondré. J’ai perdu tout ce que j’avais gagné de 1999 à 2007. » Cette faillite fut un coup d’arrêt brutal et il a fallu totalement se reconstruire après cet échec. « Avant, je n’étais pas professionnel. C’était émotionnel. Mais là, j’ai compris que gérer un grand restaurant, c’est du business.»

Le chef Duc Ngo dans son restaurant Ryotei 893

De cette expérience, il tire une leçon durable : il préfère les restaurants à taille humaine, où l’équilibre entre cuisine et gestion reste possible. « Pour moi, Ryotei 893 est la taille parfaite. Rempli tout le temps et empreint d’une énergie unique. » Nous en venons au fait que pour Duc Ngo, cuisiner c’est avant tout une question de rythme et d’émotions, pas de gigantisme. L’échec a donc forgé son regard : « Si je n’avais eu que du succès, je n’aurais rien appris »

Et pourtant, malgré ce parcours d’entrepreneur accompli, malgré une reconnaissance publique immense, The Duc Ngo avoue un manque : l’absence d’une étoile Michelin. « Rien ne me reste à prouver à Berlin, sauf l’étoile au Guide Michelin. » Pour lui, la reconnaissance du Guide est à la fois une validation personnelle et une référence symbolique. « C’est comme les Jeux Olympiques pour un sportif. Tu peux être heureux sans, mais c’est une marque, un signe que tu as atteint un niveau. »

Filet de bar, sauce au champagne rosé, caviar

Cette quête de reconnaissance s’inscrit dans un paradoxe. D’un côté, il revendique une approche fondée sur l’émotion : « Il m’a fallu vingt ans pour comprendre que la cuisine, c’est d’abord croire à mes émotions, à mes goûts. » De l’autre, il reconnaît la nécessité d’une validation externe. « Quand tu es artiste, si tu n’es pas dans un musée ou une galerie, ce n’est pas la même chose. Pour la cuisine, c’est pareil : si tu n’es pas dans le Michelin ou le 50 Best, tu n’est pas au niveau que tu voudrais atteindre. » L’étoile n’est pas une fin en soi, mais un symbole incontournable !

Queue de boeuf braisé servie dans son restaurant « Manon » situé au sein de l’hôtel Roomers

Aujourd’hui, à la tête de quatorze restaurants, il navigue entre ses multiples casquettes : chef, entrepreneur, figure médiatique. Il reconnaît que le plus grand défi est de maintenir une âme dans chaque maison. « C’est difficile de garder chaque restaurant en vie avec cette âme. Parfois, je passe plus de temps dans l’un, puis je reviens à l’autre. Mais l’important, c’est que l’âme reste. » Il confie qu’il est devenu autant entrepreneur que chef, même s’il revendique toujours sa vocation première : « Je veux conserver ma casquette de chef. Mais en fait, je suis un entrepreneur. »

Et pourtant, au-delà des affaires, The Duc Ngo n’oublie pas ce qui fonde sa démarche : cuisiner pour les gens. « La gastronomie, ce n’est pas une religion. C’est une passion. C’est l’amour des gens, des invités, pour avoir un bon moment ensemble. » Sa vision tient dans cette idée simple : que le succès, le vrai, se mesure à la reconnaissance des convives. « Quand les gens sortent de mon restaurant et me disent merci, c’était incroyable, c’est ça le succès »

Propos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens

Publication connexe