Voici les Voeux de la chef Anne-Sophie Pic, qui résolument s’engage pour deux combats en 2018 :
- Que l’alimentation soit au coeur des débats de société
- Que les femmes trouvent leur place dans la gastronomie et dans le monde professionnel
F&S est assez admiratif des engagements et des convictions de la chef 3 étoiles de Valence, qui malgré les nombreuses occupations de son titre de chef, prend du temps pour défendre de nobles causes, qui sont aussi des enjeux importants pour le futur.
À lire ci-dessous :
Je voudrais saisir l’occasion offerte par le début d’année pour dresser un bilan de l’année qui s’est terminée et émettre des vœux pour celle qui s’ouvre.
1 – Les femmes osent !
2017 a vu la montée en puissance des femmes dans tous les univers et en particulier dans celui de la gastronomie. Est-ce la disparition de deux femmes remarquables, Françoise Héritier et Simone Weil, qui a mis un coup de projecteur sur leur place sans la société ? Nombreuses en tout cas sont les initiatives qui valorisent l’entreprenariat féminin et la prise de parole publique des femmes.
Quand on y pense, cette question relative à la place des femmes dans la gastronomie est somme toute assez récente. Je me souviens de mon grand-père évoquant la mère Brazier comme une référence incontournable. A l’époque, il n’était nullement question de se déterminer par son genre. Il y avait de la place pour tout le monde en cuisine. C’est plus tard, dans les années 60 que la profession s’est refermée sur les hommes. Quand je suis arrivée dans ce métier, il y avait très peu de femmes et le regard que portaient les hommes sur les femmes était plutôt dévalorisant. J’ai du me battre pour faire valoir ma légitimité tout en assumant ma féminité, qu’il était hors de question pour moi de mettre de côté. J’ai fait preuve d’engagement, de ténacité, d’endurance, de concentration…mais aussi de sensibilité et d’humilité ! Et j’ai veillé à favoriser la mixité en cuisine car la complémentarité homme/femme permet de travailler dans une ambiance sereine et apaisée. Il est vrai que le métier de chef est éprouvant physiquement et psychologiquement, avec des amplitudes horaires qui le rendent difficilement compatible avec une vie de famille. Mais c’est aussi un métier de passion qui donne de la joie !
Depuis quelques années, les femmes reprennent le chemin des fourneaux et je m’en réjouis. Comme le remarque Dominique Giraudier, directeur de l’institut Paul Bocuse, aujourd’hui les femmes représentent 55% des effectifs de l’école…ce qui augure d’une arrivée massive des femmes sur le marché. Bruno de Monte, directeur de Ferrandi, fait également le même constat. J’observe aussi un double mouvement : les hommes sont plus attentifs et ouverts aux talents des femmes ; les femmes s’affirment plus, osent plus. Elles sont en cela portées par des initiatives dont j’aimerais saluer quelques unes.
Il y a bien sûr le Parabere Forum crée par Maria Canabal qui porte depuis de nombreuses années la voix et la vision des femmes dans la gastronomie et dont les rendez-vous annuels sont des moments inspirants pour tous.
Je vous invite à aller voir le documentaire de Vérane Frédiani, A la recherche des femmes chefs. J’ai été particulièrement touchée par le travail de Vérane qui a su -avec la bonne distance- valoriser des parcours de femmes avec des histoires différentes mais animées de cette envie, de cette passion de leur métier, de cette volonté de transmission. Des parcours qui entrent en résonance les uns par rapport aux autres et montrent toute la richesse que les femmes peuvent apporter sans pour autant oublier leur féminité. J’aimerais aussi partager une initiative du magazine suisse Bilan qui a lancé un média en ligne dédié aux femmes leaders http://femmesleaders.ch dont l’objectif est de fournir des clés aux femmes qui veulent s’affirmer dans la vie professionnelle.
Des projets comme l’espace de co-working éphémère Mona by MyLittleParis ou la création de l’association Elles sont food contribuent également à mettre en avant les femmes.
2 – L’alimentation au cœur des débats de société
2017 a été marquée par des réflexions de plus en plus nombreuses sur ce que doit être notre alimentation, dans une logique de bien-être, de préservation de notre planète et de notre santé. Manger est un acte citoyen rappelle Alain Ducasse.
L’entrée du mot flexitarisme dans le dictionnaire est à mon sens très révélatrice d’une prise de conscience collective que nous sommes ce que nous mangeons, que les ressources de notre planète sont limitées, que nous sommes responsables de notre alimentation. J’aime bien cette idée de flexitarisme qui n’enferme pas dans une doctrine mais interroge notre rapport à ce que nous mangeons en proposant de repenser les proportions de nos assiettes. Moins de protéines animales, plus de végétal avec en filigrane le goût et le plaisir. Il s’agit donc de manger moins mais mieux, de favoriser des circuits courts, des produits frais et de saison. Au-delà du néologisme et de l’effet de mode, je sens une mutation en profondeur des modes de consommation alimentaire, qui se traduisent par un intérêt pour les produits non transformés, une recherche de qualité et privilégient une approche joyeuse et gastronomique du végétal.
Je pense qu’en tant que chef, il est de notre responsabilité de participer aux réflexions sur ce que pourrait être l’alimentation de demain. Nous devons avoir une approche culturelle, nutritionnelle, scientifique des produits que nous cuisinons. Mais nous sommes aussi les garants de la notion de plaisir, car manger rend heureux. La France n’a pas une vision fonctionnelle de l’acte de manger. C’est la commensalité, le partage, le plaisir, le goût, la joie qui sont au cœur de notre identité.